La semaine dernière, le monde découvrait un peu étonné que les Canadiens, loin d’être un peuple de mammifères mous et polis, comportait quelques individus qui, tout en restant fort polis, ne voulaient pas se laisser faire : alors que la vaccination devenait obligatoire pour passer la frontière américano-canadienne, les routiers ont décidé de protester contre cette obligation en allant paralyser Ottawa, la capitale du pays.
Les premiers heures de stupeur passées, les médias grand public ont fini par relayer un peu la nouvelle tout en n’omettant pas d’abord de minimiser l’ampleur du phénomène : insistant sur le fait que ce mouvement ne représentait qu’une faible tranche d’une population de toute façon un peu marginale tant l’ensemble des mesures covidosanitaires semblent acceptées par tous avec gourmandise, les journalistes de terrain n’ont pas hésité à essayer de dépeindre les individus concernés comme les inévitables suprémacistes blancs néo-nazis mangeurs d’enfants communistes. Malheureusement, le discours bien rôdé de ces grands médias a mal survécu de la collision avec les images, très nombreuses, en provenance des réseaux sociaux, qui montraient des familles, des échanges cordiaux, des petits groupes joviaux de Canadiens s’entraidant et s’échangeant des embrassades ou de la nourriture dans une ambiance bon enfant.
Dans ces mêmes chaînes d’informations, signalons aussi l’interprétation particulièrement hardie de certains journalistes qui ont vu derrière ce rassemblement spontané de camions et de tracteurs la marque certaine d’un complot ourdi par les Russes, jamais en retard d’un coup fourré pour enquiquiner l’Occident alors même que – tout le monde le sait, c’est évident, voyons, ne discutez pas – Poutine va envahir l’Ukraine. Ce Vlad, quel méchant !
La consternation – logique – qui a accompagné cette interprétation
farfelue ne s’est guère calmée lorsque Justin Trudeau, l’actuel Premier
ministre canadien, en a remis une couche. On se souvient qu’il avait
discrètement pris la fuite déclaré un petit Covid commode
pour se mettre en quarantaine loin de l’agitation camionneuse et il
n’était pas réapparu devant la presse du pays avant plusieurs jours qui
lui ont manifestement été nécessaires pour pondre un discours dont la
substance n’a pas réellement apaisé les tensions.
Plutôt qu’ouvrir un utile débat sur la fin des obligations et des restrictions mises en place pour lutter contre une pandémie dont tout indique qu’elle touche maintenant à sa fin, le Premier ministre a choisi la voie douteuse d’un bon jet d’huile sur le feu en caractérisant les camionneurs comme autant de mâles blancs suprémacistes, racistes, sexistes et transphobes et ce alors que leurs demandes, clairement exprimées et résumables en « fin de l’obligation vaccinale, fin des restrictions sanitaires », ne laissent planer aucune ambiguïté. Sans grande surprise, Trudeau s’est donc copieusement ridiculisé avec ce discours, et ce d’autant plus qu’il apparaît maintenant qu’une majorité de Canadiens (54%) partagent les mêmes points de vue que les camionneurs. La « petite minorité » dépeinte par le clown progressiste actuellement à la tête de l’État canadien est en fait une majorité de plus en plus solide et qui supportera de moins en moins de se faire ainsi insulter.
Et alors que d’autres villes canadiennes commencent à observer les mêmes phénomènes routiers (Québec, Toronto), que la province d’Alberta envisage de faire sauter toutes les restrictions sanitaires (pass compris), la presse et certaines officines gouvernementales continuent de présenter avec application les mouvements engendrés comme autant de petits prurits d’irréductibles minoritaires, auxquels il serait maintenant envisagé de répondre… avec l’armée.
En réalité, si la question a bien été évoquée par des forces de police complètement débordées et très peu suivies par la population, l’intervention de l’armée pour faire dégager les rues d’Ottawa (et des autres cités canadiennes à présent) ne semble pour le moment pas sur la table. On peut s’en réjouir tant une telle intervention serait lourde de sens, mais justement, le fait même que ce soit évoqué en dit assez long sur la propension de nos beaux démocrates, Trudeau en tête, à accepter les protestations (pourtant pacifiques) de la population.
Encore une fois, la démocratie et l’expression populaire sont parfaitement acceptables tant qu’elles suivent l’agenda des gouvernants : on sera même parfaitement prêt à accepter quelques « débordements » (lire : émeutes, homicides et incendies criminels) tant que les revendications des émeutiers correspondent à la mise en place d’une politique souhaitée par le gouvernement. On se souviendra à bon escient de ce qui s’est passé aux États-Unis en 2020 où les médias ont fait assaut d’inventivité pour transformer des pillages en manifestations légitimes et « globalement pacifiques ».
Ici, la situation est diamétralement à l’opposé : les rassemblements de camionneurs (et de fermiers à présent) sont calmes, déterminés mais clairement non violents et la presse se bouscule pourtant pour tenter d’y trouver des groupuscules fascistes et des exactions abominables qui justifieront l’emploi des méthodes de répression les plus fermes – l’armée étant évoquée très vite, rappelant en cela les méthodes habituelles des pires régimes totalitaires du globe.
On pourrait croire à une légère exagération, mais la façon dont les manifestations néerlandaises furent réprimées, à balles réelles en novembre dernier, donne une indication parfaitement claire de la réalité de terrain : si vous manifestez avec des revendications défavorablement sanctionnées par le pouvoir en place et les médias qu’il subventionne, tous les coups seront permis et l’écrasement des protestations éventuellement jusqu’à façon Tiananmen ne fera pas rougir les grands défenseurs de la démocratie et des droits humains fondamentaux.
Du reste, la mue progressive des forces de police, auparavant destinées à protéger le citoyen des racailles, en une force d’occupation intérieure, mue visible dans l’attirail et les outils habituels, dans ses couleurs (on est rapidement passé du bleu au noir par exemple), ne doit rien au hasard : politiquement, le peuple est devenue un paramètre encombrant des politiques publiques actuelles et sa répression un outil clairement utilisé pour faire passer des réformes et des contraintes de plus en plus impopulaires.
Il apparaît clair que la démocratie dont se gargarisent politiciens et médias n’existe plus depuis un moment et à mesure que les manifestations se font plus nombreuses, que les mouvements populaires gagnent du terrain, on sent poindre l’envie de répression de plus en plus ferme.
Jusqu’à quel point ?
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