Le passe sanitaire qui devait initialement être abandonné après le 15 novembre pourrait être prolongé. Pour l'analyste politique, cette manœuvre vise surtout à séduire un électorat plutôt âgé et favorable au dispositif.
Consultant et analyste politique, Mathieu Slama collabore à plusieurs médias, notamment Le Figaro et Le Huffington Post. Il a publié La guerre des mondes, réflexions sur la croisade de Poutine contre l'Occident, (éd. de Fallois, 2016).
Cette fois, le doute n'est plus permis : le gouvernement prépare les esprits à la prolongation du passe sanitaire. Il y a quelques jours, il affirmait, par la voix de son porte-parole Gabriel Attal, que le passe sanitaire pourrait être supprimé dans certains territoires où le virus ne circule plus mais conservé dans d'autres. Puis on apprenait, par une «fuite» dans la presse (méthode de communication classique pour préparer les esprits à des annonces fortes et clivantes), qu'un projet de loi était en préparation pour prolonger la durée de vie du passe, initialement censé se terminer le 15 novembre dans le cadre de la précédente loi votée.
Le gouvernement ne donne donc aucune limite de temps au passe. La seule concession qu'il accorde est, semble-t-il, sa modulation selon les territoires. Récemment, Olivier Véran affirmait même qu'il serait nécessaire aussi longtemps que le virus était présent dans le pays, ce qui revenait à dire qu'il n'était pas près de disparaître. Quant à Emmanuel Macron, il affirmait en marge d'un déplacement à propos du passe : «On va le conserver dans la poche».
Le passe sanitaire apparaît donc désormais pour ce qu'il est et ce qu'il a toujours été, c'est-à-dire un outil de coercition destiné à rendre la vie des non-vaccinés impossible et ainsi les pousser à la vaccination.
Mathieu Slama
Cette décision de prolonger le passe sanitaire pose d'abord question d'un point de vue juridique. Le Conseil d'État et le Conseil constitutionnel avaient validé (hélas…) le passe sanitaire généralisé au motif qu'il était «strictement proportionné aux risques sanitaires encourus», et soulignait qu'il devait y être «mis fin sans délai lorsqu'il n'est plus nécessaire». Or la situation épidémique est sous contrôle, le taux d'incidence en baisse quasi-constante partout sur le territoire métropolitain et le cataclysme annoncé du variant Delta n'a pas eu lieu. Comment justifier, dans ces conditions, la prolongation d'un outil qui, si l'on suit les raisonnements du juge constitutionnel, n'a plus lieu d'être ?
D'autre part, il est désormais admis par la communauté scientifique que le vaccin, s'il diminue la possibilité de contaminer autrui, ne la supprime pas. Cela signifie, très concrètement, qu'une personne dotée d'un test négatif peut potentiellement être contaminée par une personne vaccinée. Dans ces conditions, l'argument sanitaire du passe ne tient plus, ou est très fortement fragilisé (et on ne prend pas une mesure aussi grave sur des fondements scientifiques aussi fragiles).
Le passe sanitaire apparaît donc désormais pour ce qu'il est et ce qu'il a toujours été, c'est-à-dire un outil de coercition destiné à rendre la vie des non-vaccinés impossible et ainsi les pousser à la vaccination. Coercition renforcée par la décision du gouvernement, qui sera effective à la mi-octobre, de ne plus rembourser les tests «de confort», c'est-à-dire l'unique moyen pour les non-vaccinés d'accéder aux lieux de sociabilité. Rappelons ici que le Conseil d'État avait insisté, dans l'avis qu'il avait rendu sur l'extension du passe sanitaire, sur le fait que le passe ne pouvait être un outil d'incitation à la vaccination mais uniquement un outil de protection sanitaire. Mais nous ne sommes plus à une contradiction ou à un reniement prêt. Et il y a fort à parier que le Conseil d'État comme le Conseil constitutionnel sauront trouver, pour valider cette nouvelle loi de prolongation du passe sanitaire, les artifices juridiques nécessaires…
Comment, d'autre part, justifier la prolongation du passe quand la Grande Bretagne, au même moment, annonce y renoncer alors que son taux de vaccination est quasiment identique à celui de la France ? Pour justifier cette décision, le ministre de la Santé britannique a notamment déclaré : «Je n'aime pas l'idée de devoir présenter ses papiers pour une activité de la vie quotidienne». On aurait aimé entendre nos dirigeants tenir un même discours...
Et que dire du Danemark, qui a abandonné son passe début septembre avec un taux de vaccination proche du nôtre (quoique plus élevé pour les 60 ans et plus) ? Et si l'on considère que la France est encore en retard dans la vaccination des plus âgés (et donc des plus à risque), croit-on vraiment que le passe sanitaire, qui encourage avant tout les jeunes à se faire vacciner, va résoudre ce problème ?
Emmanuel Macron, qui est, reconnaissons-lui cette qualité, un fin tacticien, a compris l'intérêt politique qu'il y avait à étendre puis prolonger le passe sanitaire pour remobiliser son électorat et éventuellement attirer vers lui un électorat âgé et conservateur.
Mathieu Slama
Mais le vrai problème n'est ni juridique, ni scientifique. Il est politique.
Comment accepter qu'un gouvernement mette en place des mesures aussi liberticides sans donner aucun élément de calendrier ? Pourquoi cette incapacité à dire très clairement que le passe est une mesure temporaire qui a vocation à prendre fin prochainement ? Pourquoi ces ambiguïtés permanentes sur un passe qui ne disparaîtra pas tant que le virus sera là, sur un passe qu'on «garde dans la poche» comme si c'était une mesure anodine, alors que le gouvernement, au départ, promettait qu'il ne s'agissait que d'une mesure exceptionnelle et très provisoire ? Pourquoi s'obstiner à conserver une mesure aussi grave alors qu'elle n'est, à tout point de vue, absolument pas nécessaire ?
La raison de cette obstination est simple : il s'agit d'un calcul politique et électoral. Le chef de l'État est un homme en campagne : désormais, chaque mesure, chaque action est décidée et menée dans la perspective de l'élection présidentielle. Il n'en va pas différemment de la politique sanitaire. Les sondages le montrent très bien, l'électorat d'Emmanuel Macron, majoritairement âgé et aisé, est dans son immense majorité favorable au passe sanitaire et à l'obligation vaccinale. Il considère le passe comme la condition du retour de nos libertés, et il juge très sévèrement les réfractaires à la vaccination et les manifestants anti-passe qui défilent chaque samedi depuis plus d'un mois maintenant. Il y a donc une forte demande sociale, dans notre pays, en faveur du passe sanitaire.
Emmanuel Macron, qui est, reconnaissons-lui cette qualité, un fin tacticien, a compris l'intérêt politique qu'il y avait à étendre puis prolonger le passe sanitaire pour remobiliser son électorat et éventuellement attirer vers lui un électorat âgé et conservateur pas forcément macroniste mais favorable à une politique sanitaire coercitive et ferme vis-à-vis des non-vaccinés. Cette stratégie cynique s'est accompagnée, ces dernières semaines, d'un discours profondément clivant et ostracisant, les non-vaccinés étant qualifiés par le gouvernement d'irresponsables et d'égoïstes, le délégué général de LREM allant jusqu'à affirmer que les manifestants anti-passe étaient mus par leurs «névroses». Là encore, cette stratégie du bouc émissaire n'a qu'un seul but : mobiliser l'électorat macroniste contre un «ennemi» commun, les non-vaccinés, et solidifier sa base en vue du premier tour de la présidentielle.
Nos libertés fondamentales sont sacrifiées sur l'autel du médiocre calcul politicien et électoraliste. Le passe sanitaire, qui s'apparente à une forme de déchéance de citoyenneté pour les non-vaccinés, est contraire à tous nos principes républicains. Il fonctionne comme un outil disciplinaire, destiné à punir ceux qui se comportent mal et à récompenser ceux qui se comportent bien, aux antipodes des principes essentiels de libre arbitre et de consentement éclairé. Il rompt avec les principes d'égalité, remet en cause notre droit du travail et oppose les citoyens les uns aux autres. Il représente une rupture totale avec notre conception de la citoyenneté et avec notre contrat social.
L'acceptation du passe sanitaire est certainement, pour beaucoup, une résignation plutôt qu'une approbation, comme en atteste l'échec retentissant des quelques manifestations pro-passe sanitaire.
Mathieu Slama
Ce qui doit nous inquiéter, c'est la banalisation et la normalisation d'un tel outil, qui devient progressivement une mesure politique comme une autre, un instrument de politique publique qui fait désormais partie de notre arsenal juridique démocratique. Il est désormais possible et acceptable, dans notre démocratie, de recourir à une mesure qui prive certains citoyens de leurs droits pour les amener à adopter le «bon comportement».
Tout aussi inquiétante, et peut-être plus encore, est la manière dont nous nous sommes habitués à ces mesures exceptionnelles et gravissimes. Lors d'un entretien sur France Info, la ministre Emmanuelle Wargon s'est réjouie du fait que «le passe sanitaire est en vigueur, il fonctionne, et finalement, on s'y est tous habitués et ce n'est plus gênant dans la vie quotidienne». Comment se réjouir d'un tel constat ? Comment se réjouir du fait que des personnes, en raison de leur choix vaccinal, soient suspendues de leur travail, ne puissent accéder à des services publics essentiels comme l'hôpital, soient marginalisées au sein de la société ?
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