Jean Hvostoff n'est pas opposé aux génériques. Pas "par principe" en tout cas; en bon petit soldat de la santé publique, il en a même prescrit pendant des années. Jusqu'à ce jour de 2007 où un patient, salarié dans un laboratoire de génériques, lui lâche le morceau: si "son" médicament est moins cher que le princeps (la molécule de référence), c'est parce qu'il est produit dans un pays où "la matière première est moins pure. Donc, moins chère". "J'ai commencé à douter à ce moment-là. D'autant que, spontanément, de nombreux patients trouvaient ces traitements moins efficaces, plus difficiles à prendre, avec davantage d'effets secondaires. Bref, ce n'était pas pareil", se souvient ce généraliste en région parisienne.
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Longtemps, les pouvoirs publics ont balayé d'un revers de main méprisant les praticiens qui osaient, arguments à l'appui, mettre en question la doxa officielle. Le générique a la même efficacité que son princeps, martèlent-ils aujourd'hui encore. A peine concèdent-ils que certains malades peuvent, parfois, réagir moins bien. Mais c'est "dans la tête", ajoutent-ils aussitôt, insinuant à mots couverts que la faute en reviendrait en quelque sorte aux patients eux-mêmes. Jusqu'à l'argument massue, censé tout justifier: les économies ainsi réalisées légitimeraient à elles seules le remplacement automatique d'un médicament par un autre.
"Equivalent" ne signifie pas "identique"
Sauf que... Les "petits" généralistes ne sont plus seuls. Diabétologues, endocrinologues, neurologues, professeurs ou chefs de service, de plus en plus de spécialistes relaient ce discours. Et le renforcent par des exemples précis, difficilement réfutables. Les sociétés savantes s'y mettent également. Celles de cardiologie, d'hypertension artérielle, de pathologies infectieuses, notamment, ont fait part publiquement de leurs réticences. Jusqu'à l'Académie de médecine elle-même, qui a lancé une petite bombe en février 2012, en affirmant dans un rapport que "la bioéquivalence entre produit référent et générique ne signifie pas qu'il y a automatiquement une équivalence thérapeutique, en particulier lors de la substitution d'un générique par un autre". Ce qui a valu à ses auteurs une convocation de l'Igas, tant "le sujet dérange", constate son rapporteur, le Pr Charles-Joël Menkès.
La vente de génériques (médicaments remboursables, en millions de boîtes)
Or ces médecins ne sont pas idéologues ou militants. Pas davantage irresponsables ou achetés par les "big pharma", celles qui produisent des princeps et ont effectivement tout intérêt à jeter l'opprobre sur les génériques. Juste "des professionnels sensibles à la notion du juste soin au juste prix, mais attachés à la santé de leurs patients avant tout", selon la formule du Dr Jean-Yves Maes, installé à Lambersart, dans le Nord.
Peu à peu, un climat de suspicion générale s'est installé, d'autant plus regrettable que les génériques constituent une réelle alternative aux princeps. De fait, ces produits sont soumis aux mêmes exigences, aux mêmes contrôles et au même suivi pharmacologique que les médicaments classiques. Ils doivent avoir la même composition en principe actif et la même concentration dans le plasma - à 5% près. Sur le papier, donc, pas de différence. La réalité, elle, est plus complexe. Pour être mis sur le marché, un générique doit faire la preuve de son "équivalence" thérapeutique avec la molécule de référence. Mais "équivalent" ne signifie pas "identique". Dans certains cas, notamment pour les génériques "apparentés aux similaires", les excipients (les diluants, conservateurs ou colorants ajoutés au principe actif), la forme chimique mais aussi la galénique (la présentation sous forme de comprimés, poudre, gélules ou sirop) diffèrent sensiblement. Le plus souvent, ces variations de forme, de couleur ou de goût, même si elles peuvent troubler les patients, n'en modifient pas l'efficacité.
Néanmoins, l'Agence du médicament le reconnaît elle-même, les excipients appelés "à effet notoire" provoquent parfois des réactions inattendues. L'amidon de blé peut, par exemple, entraîner des manifestations cutanées ; le gluten, des allergies; le chlorure de benzalkonium, des irritations oculaires. Sans oublier l'huile d'arachide, la gélatine, le lactose, l'acide borique...
Le pharmacien est désormais tout-puissant, ou presque
Encore ne s'agit-il là "que" des effets secondaires. Car il y a aussi toutes les maladies où le médicament permet, dans la durée, d'équilibrer des paramètres biologiques et où les ajustements thérapeutiques doivent être strictement personnalisés, ce qui n'est pas toujours possible avec un générique. C'est le cas, notamment, du diabète, de l'hypertension artérielle, de l'épilepsie ou encore de l'hypothyroïdie - pour laquelle l'Agence du médicament a d'ailleurs reconnu officiellement des difficultés réelles. Combien cela concerne-t-il de patients? Difficile de répondre précisément. "5% environ", estiment, sans s'être concertés, le Pr Teissier, endocrinologue au CHU de Limoges, et le Pr Juillière, cardiologue au CHU de Nancy. Le pourcentage peut sembler faible. Mais, rapporté au nombre de malades, cela représente des dizaines de milliers de personnes.
De fait, et quoi qu'en disent les pouvoirs publics, le doute sur les génériques est bien réel. Catherine Bourrienne-Bautista, déléguée générale du Gemme (groupement des génériqueurs en France), a beau le justifier par "un manque de communication auprès du grand public", ajouter à juste titre qu'en Allemagne, où le médecin est à l'origine de la prescription de génériques (alors qu'en France, c'est le pharmacien qui les délivre), "ceux-ci sont mieux acceptés et il y a beaucoup moins de suspicion", le fait est là: au fil des ans, la défiance s'aggrave. Même le Leem, le syndicat de l'industrie pharmaceutique, l'a constaté. Selon une étude de son Observatoire sociétal du médicament, révélée le 28 mars, 42 % (plus 7% en un an!) des patients et 50% des médecins disent observer des différences d'efficacité entre un générique et son princeps.
Tous les spécialistes en conviennent pourtant: générique ou princeps, l'essentiel est de trouver le bon médicament pour un patient donné. "Et, surtout, de s'y tenir!" insiste le Pr Jean-Paul Stahl, chef du service des maladies infectieuses au CHU de Grenoble. Là encore, les génériques posent un problème. Les pouvoirs publics ayant décidé de pousser systématiquement ("à la schlague", lance le Dr Hvostoff) leur consommation, tout est fait pour décourager celle des princeps. Ainsi, sur son ordonnance, le médecin doit désormais inscrire "non substituable" en face de chaque médicament. A gauche, à la main et sans rature. Faute de quoi le pharmacien délivrera d'office un générique. Le patient refuse, arguant qu'il préfère son médicament habituel? Depuis mai 2012, il devra alors avancer la totalité de la dépense et attendre plusieurs semaines pour se faire rembourser. Pis, le pharmacien est désormais tout-puissant ou presque. C'est lui, et lui seul, qui décide du générique que recevra le patient. Au gré des approvisionnements de son officine. Ou des accords passés avec tel ou tel laboratoire, et qui changent tous les six mois. Parfois même, il s'affranchit de la mention "non substituable", au motif que le princeps n'est pas disponible. Et se garde bien d'en avertir le médecin traitant.
Vingt ans de forcing sanitaire
1994 Edouard Balladur, alors Premier ministre, évoque le recours préférable aux génériques.
1996 Servier crée la société Biogaran, devenu le premier fabricant de génériques en France.
1997 Jacques Barrot, ministre de la Santé, signe le décret sur les médicaments génériques.
1999 Bernard Kouchner, secrétaire d'Etat à la Santé, accorde aux pharmaciens le droit de substituer aux médicaments classiques des génériques.
2003 Les autorités sanitaires imposent aux patients qui refusent les génériques de payer la différence.
2009 Pour être dispensé d'avance de frais, le malade doit accepter les génériques.
2012 Les patients qui refuseront les génériques ne se verront pas appliquer le tiers payant et, par conséquent, devront payer leurs médicaments princeps en avançant les frais.
Médecin généraliste à Paris, le Dr Sauveur Boukris a recueilli de nombreux témoignages concordants de praticiens et de patients en ce sens. Dans un livre réquisitoire à paraître le 10 avril, dont L'Express publie de larges extraits (voir page 78), il pointe, exemples à l'appui, les dérives d'une gestion purement administrative des génériques en France. Et dénonce, pêle-mêle, "une escroquerie intellectuelle, un non-sens économique et un danger sanitaire" - lié, en particulier, au manque de contrôle dans certains pays étrangers des matières premières qui servent à fabriquer les génériques. Lui arrive-t-il d'en prescrire, malgré tout le mal qu'il en pense ? "Bien sûr ! Pour des pathologies bénignes, des durées courtes et des patients jeunes, répond-il. En revanche, je m'y refuse devant des personnes âgées. J'ai trop souvent vu chez elles de confusions, de mauvais suivi, voire l'arrêt des traitements." A fortiori si elles sont polymédicamentées ou atteintes de pathologies chroniques. Car d'un mois à l'autre, d'une pharmacie à l'autre, les génériques diffèrent sensiblement. Impossible de s'y retrouver. Plus grave encore, en cas d'effet indésirable, il est quasi impossible de le signaler aux autorités sanitaires puisque le médecin ne sait pas ce que son patient a pris, et ce dernier a le plus souvent jeté la boîte ! Dès lors, rien d'étonnant à ce que l'Agence du médicament assure, données chiffrées en main, que les génériques n'engendrent "pas plus d'effets secondaires ou de réactions allergiques" que les princeps...
Ces dérives sont d'autant plus désolantes que, bien employés, les génériques rendent de réels services. Grâce à leur faible prix, ils font baisser le déficit de l'Assurance-maladie en France. En Afrique, ils contribuent à enrayer l'épidémie de sida, rappelle le Dr Rémy Gauzit, réanimateur à l'Hôtel-Dieu à Paris. Ce médecin, auteur d'un travail remarqué sur les limites des génériques pour les antibiotiques, ajoute d'ailleurs qu'"aucune étude n'a jamais réussi à démontrer que les génériques marchent moins bien que le princeps". Mais il précise aussi que "dans les pays développés, les vrais enjeux sont financiers, pas sanitaires. Les autorités n'osent pas l'avouer et continuent de marteler que, sur le plan thérapeutique, c'est exactement la même chose. Mieux aurait valu dès le début être tout à fait honnête". Sans doute. Car l'honnêteté constitue la base indispensable d'une relation de confiance. En santé comme ailleurs.
Trois familles de génériques
La "vraie copie" ou "auto-génériques" Il s'agit de la même molécule, avec le même dosage, la même forme galénique (apparence) et les mêmes excipients (substances autres que le principe actif qui donnent la consistance, le goût et la couleur du médicament). On les appelle les "autogénériques".
Les "médicaments similaires" Ces génériques comportent le même principe actif, le même dosage, la même forme galénique que le médicament classique, mais des excipients différents.
Les "médicaments assimilables" Ce sont les génériques dont le principe actif se présente sous une autre forme chimique que celle du médicament classique, tout en ayant le même dosage. Ils ont une forme galénique et des excipients différents.
Source
Le plus amusant, c'est qu'on leur retire leur expertise, trop d'ordonnances "non substituables" délivrées par un même médecin et il se fait tomber dessus par la cpam. Autrement dit, le médecin n'est pas là pour penser mais pour panser...
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