Quand on regarde bien la frappe américaine, pardon ukrainienne, sur un entrepôt quasi-vide d’armes datant de la période soviétique dans la région de Briansk, on ne peut s’empêcher de penser que ce qui se passe n’a rien à voir avec “le déclenchement de la “Troisième Guerre mondiale” dont certains nous parlent depuis trois jours. Non seulement personne ne sait ce que “Biden” aurait vraiment ordonné. Mais il se peut que Vladimir Poutine ait tendu un piège à ses interlocuteurs américains pour élargir encore sa marge de manœuvre face à Trump dans quelques semaines. Bienvenue dans une partie d’échecs beaucoup plus complexe encore qu’elle n’en a l’air.
Les partisans de la Guerre d’Ukraine et ses adversaires sont pour une fois d’accord: dès réception de l’« autorisation de Joe Biden”, l’Ukraine aurait lancé une frappe ATACMS sur le dépôt russe du 67e GRAU dans la région de Briansk.
Depuis lundi, je m’efforce de vous montrer que nous sommes dans quelque chose qui est loin d’avoir la limpidité prétendue.
Joe Biden est devenu incapable de gouverner. On ne nous a montré aucun ordre signé de sa main ou déclaration décisive. Et dès dimanche soir les médias américains nous expliquaient qu’il y avait en fait des tas de restrictions aux tirs envisagés.
C’est le Ministère de la Défense russe qui a communiqué !
Plus curieux encore, c’est le ministère russe de la défense qui a officiellement annoncé l’utilisation de 6 ATACMS, dont 5 auraient été abattus, dans la région de Briansk (pas vraiment une frappe à longue portée). Et Simplicius nous explique que les traces d’une frappe sont pour le moins difficiles à identifier :
Il est difficile de croire les déclarations d’abattage de l’une ou l’autre partie, car les deux parties inventent régulièrement des « abattages » pour couvrir des frappes réussies, mais dans ce cas, nous verrons lorsque les photos satellites BDA apparaîtront s’il y a des dommages réels correspondant à plus d’une frappe.
Mais tout d’abord, mettons les choses au clair. De nombreuses personnes ont suggéré que la seule vidéo claire de la frappe était en fait une vidéo recyclée, affirmant que même la carte FIRMS de la NASA réfutait toute explosion à grande échelle :
Je n’ai pas encore vérifié moi-même la carte FIRMS, mais il est vrai que les autres vidéos prises dans les environs montrent surtout des bruits d’explosion, mais pas de boule de feu ni de panache semblables à ceux de la vidéo principale, ce qui semble corroborer les propos du ministère russe de la défense selon lesquels les frappes n’ont causé « aucun dommage ». Lors des frappes précédentes sur des dépôts russes plus importants, nous avons eu plusieurs vidéos de l’explosion gigantesque – celle-ci est donc un peu suspecte, bien qu’il y ait d’autres vidéos montrant ce qui semble être des explosions secondaires au loin, bien que, comme toujours, une vérification absolue soit impossible.
D’autres rapports, comme celui de la chaîne Condottiero, affiliée à Wagner, corroborent également le fait qu’il n’y a pas eu beaucoup de dégâts :
Condottiero
À propos de Briansk et de l’arsenal du ministère russe de la défense, je vais décevoir les blogueurs de guerre des deux pays. Je vais décevoir les blogueurs des deux camps. L’arsenal et son territoire principal ne sont pas endommagés.
Tout le reste figure dans le communiqué de presse du ministère russe de la défense.
Enfin, même les comptes pro-AU admettent que cet arsenal abrite de vieux stocks soviétiques et n’a aucun rapport direct avec l’OMU en cours.
Serait-on depuis dimanche dans une opération de communication?
Là encore, Simplicius est sans pitié avec les marchands de peur :
Qu’est-ce que tout cela signifie ?
Que même si l’Ukraine a réussi à frapper, il ne s’agissait encore une fois que d’une opération de relations publiques de type « low hanging fruit » destinée à frapper un objet sans intérêt dans le même vieux but de monter au tableau d’affichage et de gonfler la soudaine montée en puissance narrative de la « solidarité américaine ».
N’oublions pas que les dernières attaques ont réussi à faire sauter d’énormes morceaux de ces anciens dépôts soviétiques à Tver et ailleurs, et quel en a été l’effet ? L’offensive record actuelle de la Russie, qui déborde les lignes ukrainiennes partout, a commencé littéralement juste après la destruction des dépôts, alors que la presse occidentale nous assurait que « 50% des munitions de l’armée russe ont été anéanties ».
Ils ont prétendu que cela allait paralyser la Russie et réduire immédiatement ses offensives, mais c’est tout le contraire qui s’est produit. La frappe actuelle, relativement minime, aura encore moins d’effet sur les hostilités en cours.
Ceci étant dit, Poutine réagit toujours avec le sérieux d’une diligence raisonnable étant donné la nature apparemment confirmée de l’utilisation de l’ATACMS sur le territoire russe. À ce titre, il a de nouveau fait les gros titres en ratifiant les nouvelles modifications de la doctrine nucléaire.
Poutine a-t-il sacrifié un pion pour engranger des gains ailleurs?
Et si le bénéficiaire du psychodrame médiatique actuelle était….Vladimir Poutine? On ne manque pas d’arguments allant dans ce sens:
+ il a profité de l’occasion pour attirer l’attention sur la nouvelle doctrine nucléaire de la Russie.
+ les frappes russes en Ukraine ont repris et elle font d’énormes dégâts sans les médias occidentaux y prêtent attention. Ces derniers jours, des frappes massives ont eu lieu sur des usines dans la région de Zaporoje et d’Odessa. Nous le disions hier, les frappes sur les infrastructures électriques ont repris.
+ L’armée russe sait forcément que les Ukrainiens n’ont plus beaucoup de missiles du type ATACMS à disposition:
Le choix de l’Ukraine d’utiliser ses très rares stocks d’ATACMS restants sur un dépôt soviétique inutile sans aucun lien avec le SMO est très révélateur. Cela révèle une fois de plus que l’Ukraine n’a aucun espoir de gagner la guerre sur le plan cinétique et qu’elle ne se donne même pas la peine d’essayer d’utiliser les ATACMS contre des cibles utiles sur le terrain. Au lieu de cela, Zelensky choisit délibérément une « pièce maîtresse » sans défense pour faire la une des journaux parce qu’un vieux stock soviétique créera le plus gros champignon atomique visible pour épater les observateurs, alors qu’il n’aura aucun effet appréciable. Les ATACMS auraient pu être utilisés quelque part sur le front pour dévaster les groupes d’assaut russes, ou les quartiers généraux des échelons C2, etc.
Le Sunday Times britannique affirme que l’Ukraine ne possède pas plus de 50 missiles ATACMS. Si 6 d’entre eux sont utilisés contre des objets inutiles, cela réaffirme tout ce que nous savions sur l’impulsion stratégique restante de Zelensky
+ Enfin, le dernier élément, le plus important, me semble être le fait que Poutine a tout intérêt à laisser les Américains s’enferrer. Cela lui facilite toute négociation future, une fois que Trump sera devenu président.
Comme je vous l’ai expliqué hier et avant-hier, l’establishment américain est profondément divisé: Trump voudrait négocier une fin de guerre dès son arrivée à la Maison Blanche. Les néoconservateurs essaient de lui gâcher son jeu et de peser encore sur les événements.
Enfin, le choix d’un entrepôt sans rapport avec “l’Opération Militaire Spéciale”, visiblement vide, et dont on n’est pas sûr qu’il ait été même touché, nous indique que soit le Pentagone, en désaccord avec l’escalade, avait informé la partie russe. Soit ils voulaient envoyer un signe gros comme une maison au président russe.
Là encore, Simplicius est “Saint Jean Bouche d’Or”:
En fait, l’attaque semble avoir le goût d’un autre échange secret par la porte arrière, c’est-à-dire permettre à l’Ukraine de frapper un objet connu pour être un dépôt soviétique inerte et sans intérêt afin de satisfaire superficiellement la foule des faucons de guerre néoconservateurs sans trop encourir la colère de la Russie. À l’appui de cette théorie, des rumeurs selon lesquelles l’administration Biden s’est abstenue d’« autoriser » le Royaume-Uni – et par extension la France – à donner à l’Ukraine un feu vert similaire pour frapper la Russie avec Storm Shadow/Scalps. Il semble que, comme toujours, ils contournent habilement la ligne de démarcation.
Quoi qu’il en soit, en ce qui concerne les missiles français, la France dispose d’un nombre limité de missiles à longue portée :
La France dispose d’un nombre limité de missiles Scalp à longue portée qu’elle pourrait transférer à l’Ukraine, écrit le journal français Le Monde.
Paris n’a jusqu’à présent livré que 10 missiles sur les 40 promis.
Selon Zelensky et les statistiques officielles du gouvernement ukrainien, la Russie a lancé au total plus de 6 000 à 7 000 missiles sur l’Ukraine au cours de la guerre, et l’on peut constater que l’Ukraine est encore en pleine forme. Mais la Russie, bien plus grande et plus ingénieuse que l’Ukraine, est censée être battue par 50 missiles ATACMS et 10 missiles français ? C’est juste du fourrage pour les chuds. L’Ukraine continuera à être méthodiquement déconstruite sans délai.
Bien entendu, tout ceci ne veut pas dire qu’il n’y aura pas de dérapage. Mais nous répétons notre recommandation: il faut garder la tête froide. Ce qui se passe réellement ne correspond pas aux apparences.
Source : https://lecourrierdesstrateges.fr/2024/11/20/ukraine-le-pentagone-et-le-kremlin-se-sont-ils-mis-daccord-sur-la-cible-des-missiles-atacms/?
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