26 juillet 2024

La Russie maîtresse du ciel

Une description de la campagne aérienne russe en Ukraine, essentiellement de sa défense aérienne, par Drago Bosnic. L’Ukraine révèle un très grand changement dans la guerre aérienne : avec la prolifération de missiles, de drones, l’arrivée des hypersoniques, la guerre aérienne réduit considérablement le rôle des aéronefs. C’est un gros problème pour les États-Unis qui ont basé toute leur puissance aérienne considérable sur la “Domination Aérienne” assurée par les aéronefs. Cette doctrine a perdu l’essentiel de sa pertinence aujourd’hui.


Le texte ci-dessous est paru sur un des sites indépendants les plus sérieux (‘SouthFront.press’) des questions liés au conflit ukrainien et à la puissance armée russe. Son auteur, Drago Bosnic, également un indépendant évidemment critique de l’OTAN et des USA, est un spécialiste incontesté de la puissance armée russe ; on ne peut en aucun cas le classer dans les différentes armées de propagandistes, d’un côté comme de l’autre. Il y a tout lieu de croire que son texte est le plus sérieux et le plus précis possible selon ce qu’on peut savoir à partir de sources référencées, envisagées selon un jugement indépendant. Le titre du texte porte sur un seul aspect du problème développé, qui est le sentiment du Pentagone sur les capacités de défense aériennes russes. Le titre est ci-après, avec le seul détail qui se réfère à un avis précis du Pentagone :

«  Qu’est-ce que dit le Pentagone de la défense aérienne russe »

« Le Pentagone donne des évaluations très différentes [de celles des Ukrainiens]. En effet, l’armée américaine donne en privé des chiffres complètement opposés, soulignant que les défenses aériennes de l’armée russe ont un taux de réussite stupéfiant de 97 %. »

En effet, diverses déclarations plus ou moins relayées ou publiques, des fuites diverses, montrent que le Pentagone est très fortement impressionné par les capacités militaires russes (notamment pour notre compte, la défense aérienne). Par exemple, le général Casoli, SACEUR de l’OTAN et commandant des forces US en Europe, lors d’un séminaire à Aspen, ce week-end, – et parlant de la puissance militaire russe :

« “À la fin du conflit en Ukraine, nous aurons un très gros problème avec la Russie”, a estimé Le commandant des forces américaines en Europe (Eucom), le général Cavoli. Et ce, “quelle qu'en soit l’issue”. ».

Il ne fait aucun doute que les capacités de défense aérienne russes et notamment cette souplesse qui peut la rendre offensive, en même temps que les capacités offensives de l’artillerie, constitue l’un des aspects fondamentaux de ce « très gros problème » dont nous avertit Cavoli. Bosnic passe en revue tous les aspects de la défense aérienne russe en action en Ukraine, avec un luxe de détails et de précisions à la fois techniques et opérationnels qui montrent combien la défense aérienne n’est pas (n’est plus) une simple défense plus ou moins statique mais un instrument extrêmement mobile, capable de remplir plusieurs missions et de tenir donc un rôle essentiel dans la guerre russe, y compris et d’une façon non négligeable, dans les opérations offensives. Cela est si évident qu’en fait de “défense aérienne”, on devrait plutôt parler de la composante centrale, offensive et défensive, de la force aérienne russe par rapport à un théâtre d’opération tactique.


La conception américaniste

Les  États-Unis (et leurs obéissants imitateurs européens) ont toujours eu une conception complètement différente. Pour eux, la défense aérienne est complètement secondaire dans la mesure où ils sont censés exercer, – et ils exercent, selon eux, sur le reste une considérable supériorité aérienne, laquelle interdit par définition l’activité ennemie, et par conséquent rend la défense aérienne très secondaire. Cette conception connut son zénith en 1990-1991, lorsque l’USAF réussit une formidable offensive aérienne contre l’Irak. L’on changea même, de façon très significative, le concept : de “supériorité aérienne”, qui supposait une concurrence possible mais de toutes les façons écrasée, on passa à la “domination aérienne” (‘Aur Dominance’) qui introduit une sorte d’absolu. Une “domination” suppose une sorte d’hégémonie que nul ne peut songer à concurrencer, – un nouveau signe de l’exceptionnalité américaniste.

(Pour mieux comprendre cette évolution, voir notre  ‘Analyse’ du 12 décembre 2008 qui, en, même temps qu’elle présentait l’‘Air Dominance’, en signalait la crise potentielle à laquelle elle se trouvait confrontée.)

Ainsi, les américanistes, à la différence des Russes, ont toujours négligé la défense aérienne propre aux forces terrestres. Les Russes, au contraire, parce qu’ils sont étrangers à la présence d’un absolu dans un domaine de la guerre et parce qu’ils n’ont pas ce même sentiment d’exceptionnalité, ont toujours considéré comme nécessaire de développer une défense aérienne très puissante et fortement intégrée dans les forces terrestres, en plus de défendre les différents domaines et points stratégiques. Au départ, cette tendance situe évidemment l’importance centrale à laquelle ils mettent les forces terrestres, à la différences des théoriciens américanistes influencés par le rôle de la puissance aérienne dans la “projection de forces” à partir de la présence des étendues navales.

La leçon ukrainienne

L’Ukraine est, dans l’histoire moderne, le premier conflit majeur et équilibré, c’est-à-dire avec des forces employant des moyens de guerre équivalent au plus haut niveau et impliquant, directement et indirectement la Russie et les USA. En ce sens, c’est un cas exceptionnel et, qui plus est, intègre opérationnellement des moyens de guerre tout à fait inédit.

A notre sens, le domaine le plus important et le plus “révolutionné” est celui de la guerre aérienne où le rôle (surtout tactique de théâtre) des aéronefs a été largement réduit par l’emploi massif d’engins divers, – bien entendu, les missiles de toutes catégories, les missiles hypersoniques et les drones en quantité considérable. (Les Russes utilisent très peu leurs aéronefs en appui direct, mais beaucoup en plate-formes pour tirer de loin des armes guidées vers le sol, jusqu'aux monstrueuses FAB-3000.) Le résultat est que les notions de supériorité aérienne, et encore plus de “Air Dominance”, n’ont plus guère de sens. Au contraire, la disposition d’une défense aérienne au sens le plus large, très souple et en bonne partie mobile jusqu’à parfois devenir offensive, est devenue complètement fondamentale, surtout quand elle est renforcée par des capacités de guerre électronique sans égales (les Russes). On voit bien qui est favorisé et qui ne l’est pas, et l’on comprend les craintes du général Cavoli. L’ultra-puissante USAF n’est absolument pas structurée et équipée pour cela, les Russes oui...

Le texte de Drago Basic décrit la guerre de la défense aérienne comme instrument de guerre universel, telle que la conçoivent les Russes et telle qu’ils l’ont appliquée et continuent à l’appliquer en Ukraine.

dedefensa.org

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Qu’est-ce qu’en dit réellement le Pentagone?

L’ex-Union soviétique accordait une grande importance à la défense aérienne dans le cadre de sa doctrine militaire. Les hauts gradés de Moscou n’ont jamais compté mener une guerre avec une supériorité aérienne absolue, comme c’est le cas en Occident politique, en particulier aux États-Unis. Ainsi, l’URSS et plus tard la Russie ont conçu et produit les meilleurs systèmes de défense aérienne de l’histoire. Ils constituent l’une des principales capacités militaires modernes qui assurent une protection adéquate à la fois aux unités terrestres et aux ressources stratégiques stationnaires. Au cours des dernières décennies, les défenses aériennes sont devenues de plus en plus réseautées et multicouches, offrant aux défenseurs une multitude d’options pour abattre des avions, des missiles, des drones, des moyens spatiaux hostiles, etc.

À notre époque, les armées modernes ont commencé à s’appuyer sur des essaims de drones bien coordonnés, conçus pour saturer une zone et submerger les défenses aériennes existantes. Seule une poignée de pays ont développé et testé des systèmes contre ces nouvelles armes offensives. Depuis plus d’un demi-siècle, la Russie est à l’avant-garde du développement de divers systèmes SAM (missile sol-air) et d’autres types de défense aérienne. Ce qui a commencé comme un effort visant à annuler l’avantage des bombardiers à longue portée occidentaux au lendemain de la Seconde Guerre mondiale s’est rapidement transformé en un domaine clé de la stratégie de défense, au point qu’il est effectivement impossible d’imaginer une guerre moderne sans systèmes SAM avancés.

Dans les années 1970, la défense aérienne n’était plus uniquement axée sur les avions de combat ou les bombardiers ennemis, mais aussi sur les missiles balistiques et même sur les moyens spatiaux, civils et militaires (même si cette fracture semble s’estomper de jour en jour, notamment si l’on prend en compte les projets comme le « Starlink » de SpaceX). Depuis le début de l’opération militaire spéciale (SMO), la Russie a également déployé un nombre accru de défenses aériennes à courte portée, notamment avec le désormais légendaire système hybride SAM-AAA (missiles sol-air-artillerie antiaérienne) “Pantsir”. Ceux-ci ont pour tâche de protéger des zones cruciales dans les grandes villes et les régions industrielles, en particulier la capitale Moscou, qui est le cœur même de la Russie et de son État.

La capitale russe est protégée par l'un des réseaux de défense aérienne les plus denses et les plus étendus au monde et comprend également des systèmes capables d'abattre des ICBM (missiles balistiques intercontinentaux), des ogives MIRV (véhicules de rentrée à ciblage multiple indépendant), des satellites et d'autres systèmes spatiaux. Cependant, il s’agit de systèmes stratégiques de défense aérienne et antimissile qui ne mettent pas Moscou à l’abri des attaques de sabotage impliquant des drones et des essaims de drones. C’est précisément pourquoi les systèmes à courte portée sont cruciaux, car ils fournissent des moyens de défense aérienne abordables et facilement déployables, capables de couvrir les sections les plus importantes de n’importe quel espace aérien.

Un bon exemple en est justement le “Pantsir”, qui a fait ses preuves contre une pléthore de cibles, abattant des milliers de drones, missiles, roquettes et autres armes au Moyen-Orient et en Ukraine, où il a pu neutraliser des barrages entiers de roquettes et de missiles tirés par les systèmes bénéficiant d’une grande publicité HIMARS et M270/MARS, y compris le tristement célèbre ATACMS. En protégeant et en prenant en charge les actifs à plus longue portée, tels que le “Buk” (en particulier la dernière variante M3 “Viking” dotée de capacités autonomes) et les séries S-300/S-400 de systèmes SAM, le “Pantsir” a effectivement sauvé des centaines de personnes. lors d'une récente attaque terroriste orchestrée par l'OTAN contre Sébastopol.

Depuis le mois dernier, l’armée russe a abattu des centaines de missiles et des milliers de drones, sauvant d’innombrables vies et évitant des dommages massifs à son économie. Au cours du seul week-end des 20 et 21 juillet, au moins huit drones kamikaze ont été interceptés, dont trois au-dessus de la région de Belgorod et cinq au-dessus de la mer Noire. En outre, au moins deux ATACMS de fabrication américaine ont été interceptés au-dessus de Kherson. Une semaine auparavant (les 10 et 11 juillet), au moins cinq drones avaient été abattus au-dessus des oblasts de Briansk, Moscou, Tambov et Toula. Au cours des deux derniers jours de juin, la défense aérienne russe a intercepté une attaque de drones à grande échelle qui a ciblé six oblasts, neutralisant ainsi 36 drones.

Environ 10 jours plus tôt, l’armée russe avait intercepté plus d’une douzaine de drones kamikaze qui volaient vers plusieurs régions de l’ouest et du sud de la Russie. Moins d’une semaine auparavant, une frappe massive de drones impliquant au moins 87 drones kamikaze avait été interceptée. Plus tôt ce mois-là, une autre attaque de drones à grande échelle a été repoussée après que près de 30 drones eurent été abattus. Cela n’inclut que les drones qui ciblent les infrastructures civiles, puisque l’armée russe les intercepte plusieurs fois plus près de la ligne de front, ainsi que de nombreuses roquettes et missiles provenant de l’OTAN que les forces du régime de Kiev tirent sur les troupes et les installations russes.

Pendant ce temps, la machine de propagande dominante affirme qu’environ 60 % des missiles russes “échouent”. Le Pentagone donne des évaluations très différentes. En effet, l’armée américaine donne en privé des chiffres complètement opposés, soulignant que les défenses aériennes de l’armée russe ont un taux de réussite stupéfiant de 97 %. Combinés aux capacités de guerre électronique (GE) inégalées de Moscou, ses systèmes SAM offrent une protection sans précédent aux infrastructures militaires et civiles russes, en particulier si l'on prend en compte l'ampleur massive des attaques de drones et de missiles de la junte néonazie soutenue par l'OTAN contre les villes et régions russes. .

Ces défenses aériennes de classe mondiale permettent au Kremlin de couvrir ses troupes, qui utilisent ensuite des systèmes avancés de frappe à longue portée pour rechercher diverses plates-formes de lancement de fusées et de missiles provenant de l'OTAN. Et contrairement au régime de Kiev, qui ment régulièrement sur ses “succès” en matière de défense aérienne, y compris contre les armes hypersoniques, l’armée russe publie régulièrement des données vérifiables (y compris des séquences vidéo) sur les interceptions de divers types de munitions hostiles à guidage de précision (MGP). C’est précisément la raison pour laquelle même certains pays de l’OTAN refusent d’abandonner leurs systèmes SAM de fabrication russe, notamment la Grèce et la Turquie, cette dernière sacrifiant même l’acquisition difficile du F-35.

Drago Bosnic

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