Selon Jean-Marc Jancovici, l’humanité est acculée à choisir entre la sobriété choisie ou contrainte. Pour Thomas Jestin, de nombreuses données viennent contredire cette affirmation.
Dans les débats sur la transition énergétique, la figure de Jean-Marc Jancovici est incontournable : à l’écouter, si nous voulons limiter les dégâts, il est urgent de réduire notre consommation d’hydrocarbures,
et dans tous les cas, ceux-ci ne seront plus aussi abondants que par le passé. Par exemple, il aime répéter que le pic de production mondiale du pétrole conventionnel a été atteint en 2008.Compte tenu, d’une part, des difficultés à déployer en masse énergies renouvelables et nucléaire, et d’autre part, du problème de l’intermittence pour les énergies renouvelables non-pilotables, on n’aura le choix au XXIe siècle, dit-il, qu’entre les privations subies ou choisies : pauvreté ou sobriété.
Entre autres renoncements, oubliez l’avion comme moyen de transport intercontinental bon marché pour les masses.
C’était un raisonnement pertinent jusqu’à récemment.
Nous avons depuis quelques années assez de recul sur certaines tendances de fond pour pouvoir dire qu’il comporte des failles majeures quant à l’après 2050.
En résumé :
- Le prix de l’énergie solaire photovoltaïque baisse de façon quasi continue depuis 1970.
- Au rythme actuel, avant 2040, il sera moins cher de produire des hydrocarbures de synthèse neutres en carbone grâce à l’air ambiant et au solaire photovoltaïque que de les extraire du sol dans la plupart des cas.
- Il y a assez de matières premières et de surfaces ensoleillées dans le monde pour construire et installer un parc de panneaux potovoltaïques à même de générer chaque année l’équivalent en gaz de synthèse de notre consommation actuelle en énergies fossiles.
- Au rythme actuel des déploiements des panneaux, avec un parc total installé qui double tous les deux ans, on pourrait atteindre la taille critique avant 2040.
On en conclura à la fin que l’abondance énergétique verte et pilotable est en vue avant 2050, ce qui permettrait de faire chuter d’ici là à quasi zéro les émissions nettes mondiales de CO2, soit l’objectif fixé par le GIEC pour le CO2 en 2050 pour contribuer à limiter la hausse du réchauffement climatique aux fameux 1,5°C.
Les incitations économiques se mettent en place pour cela, mais tout effort de sobriété et investissement supplémentaire dans les autres énergies décarbonées est plus que bienvenu pour limiter plus encore la casse d’ici à 2050.
Voici la première partie.
La vertigineuse chute du coût de l’énergie solaire photovoltaïque
Le coût de production de l’électricité solaire photovoltaïque a décliné de 89 % en 10 ans, entre 2009 à 2019.
On parle bien ici du coût LCOE, pour Levelized Cost Of Energy, qui prend le coût initial de construction d’une infrastructure, et l’ajoute aux coûts d’opération et de maintenance (dont les coûts financiers, le loyer) sur toute sa durée de vie, et divise ce tout par la quantité totale d’énergie produite, pour arriver à un coût complet par unité d’énergie produite.
Cette chute spectaculaire a fait mentir les pronostics de l’Agence Internationale de l’Énergie.
En 2010, elle prévoyait qu’en 2019 l’énergie solaire photovoltaïque coûterait autour de 0,23 dollar/kWh, près de six fois plus que la réalité, 0,04 dollar/kWh !
Cette chute se poursuit : en avril 2020, un chantier aux Émirats arabes unis a reçu et retenu une offre à 0,0135 dollar/kWh LCOE. On parle bien de 1,35 cent le kWh ! Offre faite par un consortium composé du fabricant chinois de panneaux solaires Jinko et de… cocorico, EDF !
Un an plus tard, en avril 2021, une installation en Arabie saoudite « vendra de l’électricité à un prix record mondial de 0,0104 dollar/kWh ».
Vous voyez le sens de l’histoire ?
Pourquoi les prix de l’énergie solaire photovoltaïque ont-ils chuté à ce point ?
Du fait des progrès techniques, innovations et économies d’échelle réalisés à mesure que la quantité de panneaux solaires produite chaque année augmente !
Un cycle vertueux a été enclenché : plus leur coût de fabrication baisse, plus on en installe, et plus on en installe, plus on investit dans la recherche et plus on apprend à les faire plus efficacement, et plus leur coût de fabrication baisse, et ainsi de suite.
Les panneaux solaires se prêtent à la loi de Wright, une loi empirique qui décrit cette tendance des produits construits en masse, et dont la demande n’est pas saturée à voir leur coût baisser d’un pourcentage à peu près constant à chaque doublement de la production totale cumulée, du fait de l’innovation, de la concurrence et des économies d’échelle.
On connaît bien le nom de cette loi pour les microprocesseurs, la loi de Moore ; elle porte aussi un nom pour les panneaux solaires, la loi de Swanson.
De 1970 à 2020, le coût d’un panneau solaire a ainsi été divisé par 500, passant de 100 dollars/watt à 0,2 dollar/watt. Cette chute des prix est en fait unique dans l’histoire du déploiement d’infrastructures physiques, selon l’expert en énergie Ramez Naam. On peut calculer que le prix a baissé en moyenne de 20 % à chaque doublement du parc total installé sur cette période.
Et si on en revient au coût de l’énergie solaire photovoltaïque produite, le Levelized Cost Of Energy, l’Agence Internationale pour les Énergies Renouvelables a calculé qu’il baisse de 38 % à chaque doublement du parc total installé. La conséquence est qu’on assiste à une explosion des installations et de la production année après année.
La capacité installée totale cumulée dans le monde croît également de façon exponentielle, au sens où elle double à intervalle de temps régulier. C’est même mieux que cela, cet intervalle de temps se réduit ! Il a fallu quatre années pour arriver au doublement en 2015, seulement trois années pour le doublement en 2018, et moins de deux années pour le dernier doublement achevé en 2023.
Cette explosion a en fait surpris tout le monde.
Il
est intéressant d’en revenir aux prévisions de l’Agence Internationale
de l’Énergie : elle s’est systématiquement trompée. Son rapport de
2019 prévoyait qu’en 2021 on installerait moins de 125 GW de panneaux
solaires. En réalité 180 GW ont été installés cette année, et
l’explosion du déploiement se poursuit à ce jour !
Pourquoi les prix de l’énergie solaire photovoltaïque continueraient-ils à baisser les prochaines années ?
Car hausse de la demande, augmentation des volumes et baisse des prix s’autoalimentent, et que les ressources nécessaires pour produire les panneaux sont suffisamment abondantes (cf partie 3).
L’énergie solaire photovoltaïque est déjà moins chère que ses concurrentes dans certains endroits du monde, où il est maintenant plus rentable d’installer et d’opérer un nouveau champ de panneaux solaires que de continuer à opérer une centrale existante au charbon ou au gaz.
Compte tenu de l’appétit insatiable de nos économies modernes pour l’énergie, et plus encore pour une énergie propre et bon marché, à mesure que les coûts baissent, il sera rentable de produire cette énergie renouvelable dans de plus en plus d’endroits sur Terre. La demande ne peut donc que continuer à exploser tant que les prix baissent.
Et les prix
baisseront en parallèle, du fait des économies d’échelle réalisées grâce
aux volumes de production toujours plus grands, grâce aux
investissements en R&D, aux améliorations apportées aux processus de
fabrication des panneaux et de leur installation, exploitation et
maintenance.
Les prix vont-ils continuer à baisser indéfiniment ?
Non bien sûr. Mais en réalité, il suffit juste qu’ils baissent encore quelques années au rythme actuel pour qu’on puisse produire du gaz et autres hydrocarbures de synthèse neutres en carbone à un prix compétitif d’abord, mais ensuite rapidement plus bas que ceux du marché, quasiment partout sur Terre.
Cela permettra à l’explosion des installations de continuer jusqu’à saturation de la demande et élimination quasi totale des énergies fossiles !
Une fois ce niveau atteint, estimé à 0,01 dollar/kWh (déjà quasi atteint dans certains endroits), les prix du solaire photovoltaïque pourront continuer à baisser, mais ce ne sera même pas nécessaire pour éclipser les hydrocarbures extraits du sol, c’est-à-dire fossiles.
Par Thomas Jestin dans Contrepoints du 5/10/23
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