Pendant que le monde se poursuit son grand déchirement post-moderne, tournant la page des habits désormais trop grands de 1945, les querelles franco-françaises vont bon train, à la faveur des discussions budgétaires qui occuperont le pays jusqu’à la fin de l’année. Sous les lambris dorés d’une République qui ressemble de plus en plus à l’empire byzantin, une querelle gonfle étrangement : celle du milliard que le gouvernement aimerait prélever sur les réserves de l’AGIRC-ARRCO pour financer le relèvement des “petites pensions”. Dans ce bal des faux-culs, nous vous expliquons ce que cachent les cris d’orfraie poussés par chacune des parties, sachant que le gouvernement pourrait tomber sur cette question technique, mais sensible.
Il faut absolument lire les déclarations du témoin de mariage d’Emmanuel Macron, Marc Ferracci, sur l’irresponsabilité des partenaires sociaux (enfin, il faut perdre de l’argent en souscrivant un abonnement au journal capitaliste de connivence “l’Opinion”, porté à bout de bras par le CAC 40 depuis sa création, pour lire cette interview peu prometteuse). Pour l’essentiel, Marc Ferracci reproche aux partenaires sociaux de revaloriser les retraites complémentaires de près de 5%, et surtout d’avoir signé un texte qui exclut une ponction de l’Etat sur les réserves afin de financer les petites retraites.
Ferracci reprend à son compte le projet, mis en avant depuis plusieurs années par la Cour des Comptes, de placer la gestion des régimes complémentaires dans le scope de la loi de financement de la sécurité sociale et donc du Parlement.
Marc Ferracci crache dans la soupe
Confisquer le pouvoir des partenaires sociaux, soudain taxés d’irresponsabilité ? Marc Ferracci ne manque décidément pas de culot (et c’est probablement la marque de fabrique des macronistes). Rappelons quand même que Marc Ferracci sera l’héritier d’une jolie petite fortune familiale taillée dans la roche par son père, Pierre Ferracci, fondateur d’un cabinet d’expertise comptable qui a beaucoup prospéré grâce à ses relations avec la CGT…
Petit-fils du responsable du Parti Communiste en Corse, Marc Ferracci est donc bien placé pour savoir comment les “irresponsables” des syndicats peuvent se montrer gratifiants et généreux avec les amis qui leur débrouillent les dossiers les plus compliqués… et parfois les plus embarrassants, notamment lorsqu’il s’agit d’obtenir la signature d’un délégué CGT au bas d’un plan social particulièrement discutable.
Il est hallucinant aujourd’hui de voir tout ce petit monde qui a prospéré grâce à la désindustrialisation et à l’opacité de la “démocratie sociale” nous expliquer que les partenaires sociaux sont des irresponsables. On se pince pour savoir si on rêve ou pas.
Le gouvernement a une mémoire de poisson rouge
Au passage, on notera avec amusement que le gouvernement a soudain perdu la mémoire. En 2019, les partenaires sociaux signaient un accord difficile pour garantir l’équilibre des comptes de l’AGIRC et de l’ARRCO pour les années à venir. Cet accord prévoyait une décote de la retraite pour tous ceux qui partaient avant 64 ans… à une époque où Emmanuel Macron peinait à modifier l’âge de départ à 62 ans.
Donc, depuis 4 ans, les partenaires sociaux sont parvenus à se mettre d’accord sur des mesures bien plus restrictives que ce qu’Emmanuel Macron parvenait à imposer. Les déclarer irresponsables relève évidemment de l’imposture.
Et si l’on s’avouait que la Sécu, c’est minable ?
Du côté des “partenaires sociaux”, les réactions ne sont guère plus transparentes ni satisfaisantes. Si le gouvernement veut prélever un milliard € sur les réserves de l’AGIRC et de l’ARRCO (sujet que nous avions soulevé il y a quelques semaines), c’est très largement parce qu’un tiers environ des retraités aujourd’hui perçoivent moins de 1.000€ du fait du régime général.
C’est bien le problème de notre système de retraite : il est très coûteux, mais très paupérisant. D’immenses quantités de cotisations sont englouties dans un système de redistribution qui ressemble furieusement à un système de précarisation. Nous avons déjà évoqué l’inquiétante proportion de retraites versées sous le niveau de pauvreté.
Le bon sens consisterait ici à préconiser une réforme du système de retraites pour le rendre plus équitable. Mais quel syndicat de salarié ose le faire ?
Solidarité ? cause toujours, tu m’intéresses…
Au passage, on remarquera quand même que tout le monde s’accorde (surtout dans les syndicats de salariés) pour dénoncer le cancer des petites retraites qui affament nos “petits vieux”. Déplorer, dénoncer, geindre, il n’y a aucun problème : on trouve des candidats à foison pour le faire.
Mais ouvrir les cordons de la bourse pour aider, là, c’est tout autre chose. Les syndicats de salariés s’arc-boutent sur la défense des privilèges et des rentes en expliquant à qui veut l’entendre qu’il faut agir, mais à condition que ce soit l’Etat qui paie, comme disait François Hollande. Au-delà des postures de communication, personne n’est prêt à payer.
Un paritarisme indépendant ? La grosse blague
Le pompon du mensonge et de l’injonction paradoxale est quand même donné à l’argument volontiers utilisé par le patronat sur la prétendue indépendance du paritarisme : l’Etat ne devrait pas piocher dans les réserver de l’AGIRC-ARRCO, parce que celles-ci sont indépendantes de l’Etat !
Bien sûr… et lorsque, en 1972, les partenaires sociaux ont profité d’une première loi de généralisation des retraites complémentaires, ils ne peuvent absolument pas être accusés de s’être volontairement placés sous la protection de l’Etat ? Et lorsque, en 1994, ils ont demandé une nouvelle loi leur permettant d’échapper à la mise en concurrence prévue par le traité de Maastricht, les partenaires sociaux ont consciemment accepté de “ranger” leurs comptes dans la catégorie “comptes publics”.
Invoquer désormais l’indépendance des partenaires sociaux est évidemment une grosse farce. Que les partenaires sociaux allemands, néerlandais, tchèques, qui ont refusé d’être des régimes de “solidarité” au sens européen du terme, soient indépendants, c’est une chose. Que nos régimes prétendument “solidaires” (et on voit combien ils ne le sont pas) soient indépendants de l’Etat, alors que c’est celui-ci qui les a sacralisés, est évidemment une farce.
Réformer la sécurité sociale, vite
Une fois de plus, nous voyons combien notre modèle obsolète de sécurité sociale accumule les contradictions internes sans pouvoir les dépasser, et sans pouvoir régler le problème de la pauvreté de ses bénéficiaires.
Une seule solution : réformer en profondeur, pour plus de justice et moins de gaspillage.
Source : https://lecourrierdesstrateges.fr/2023/10/11/agirc-arrco-cris-dorfraie-au-bal-des-faux-culs/
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