Après trois jours de discussions, la commission parlementaire spéciale a adopté jeudi 21 septembre 2023 le projet de loi visant à "sécuriser et réguler l’espace numérique" (SREN). Plusieurs amendements, dont ceux relatifs aux pouvoirs de l’Arcom, ont été approuvés. Des articles controversés et considérés comme attentatoires à la liberté individuelle comme le bannissement des réseaux sociaux ou l’obligation des navigateurs Internet à censurer des sites web ont également été adoptés par la commission. Le texte sera examiné par les députés de l’Assemblée en séance publique à partir du 4 octobre.
Adopté à l’unanimité le 5 juillet par le Sénat, le projet de loi SREN entend "sécuriser Internet" et adapter le droit français aux nouveaux règlements européens, particulièrement le Digital Markets Act (DMA) et le Digital Services Act (DSA). De nombreuses mesures y sont proposées, comme le renforcement de la lutte contre l’accès des mineurs aux sites pornographiques, la création de "filtres anti-arnaques", le "bannissement" des réseaux sociaux et la dotation d’une identité numérique de 80% des Français à l’horizon 2027.
Le texte a fait l’objet de 952 amendements mais "seulement" 208 ont été adoptés. Plus de 110 propositions ont été retirées, dont celle du député Mounir Belhamiti du parti Renaissance, qui a suscité la polémique en proposant "d’interdire à tout utilisateur d’un réseau social de publier, commenter ou interagir en utilisant un réseau privé virtuel" (VPN).
Obliger les FAI et les navigateurs à bloquer des sites
Mais les articles adoptés par la commission spéciale ne sont pas moins controversés. L’une des nouvelles mesures permet à l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (ARCOM) de censurer immédiatement un site frauduleux, sans recourir à la justice. Un article de loi potentiellement liberticide que des collectifs ont déjà dénoncé.
La même Autorité est aussi dotée de nouveaux pouvoirs pour "lutter contre la désinformation", comme la possibilité de mettre en demeure puis de bloquer, en sollicitant les fournisseurs d’accès à Internet (FAI), des médias électroniques, dont le pays est visé par des sanctions de l’Union Européenne (article 4, alinéa 2).
Si le projet de loi SREN est adopté, les FAI ne seront pas les seuls à être sollicités pour censurer des sites web. Les navigateurs web comme Chrome ou Mozilla pourraient être contraints de bloquer l’accès à un site web, en application de l’article 6. Il s’agit essentiellement des sites frauduleux, qui seront mis en demeure de cesser leurs opérations et dont "l’adresse électronique sera notifiée aux fournisseurs de navigateurs internet".
Le texte a suscité la réaction de la Fondation Mozilla, derrière le navigateur Firefox, qui a regretté une "tentative périlleuse de lutter contre la fraude en ligne" tout en lançant une pétition contre cette disposition. "Malgré sa motivation légitime, cette mesure qui vise à bloquer des sites web directement dans le navigateur serait un désastre pour un Internet libre et serait disproportionnée par rapport aux objectifs du projet de loi, à savoir la lutte contre la fraude", lit-on dans un article de la fondation.
Pire encore, poursuit Mozilla, cette mesure "fournira également aux gouvernements autoritaires un moyen de minimiser l’efficacité des outils qui peuvent être utilisés pour contourner la censure".
L’identité numérique pour mettre fin à l’anonymat
L’article 5 du projet de loi prévoit de créer une peine complémentaire de blocage du compte d'accès aux plateformes en ligne d'une personne condamnée lorsque ce compte a été utilisé pour la commission de plusieurs délits comme le harcèlement sexuel. Les plateformes qui n’appliqueraient pas ce blocage, qui peut durer jusqu’à 6 mois, pourront encourir une amende de 75.000 euros.
Autre disposition et pas des moindres: l’article 4AC qui fixe comme objectif la dotation de 80% des Français d’une identité numérique d’ici 2027 et de près de 100% à l’horizon 2030. Une mesure inévitable selon le collectif la Quadrature du Net, qui affirme que le contrôle d’identité sous-entend nécessairement la mise en place de l’identité numérique. Il s’agit, essentiellement, des sites pornographiques et des plateformes de jeux en ligne qui devraient se doter de systèmes permettant la vérification de l’âge des utilisateurs, sous peine de sanctions de la part de l’Arcom.
"Ces quelques articles de ce projet de loi sont très inquiétants, au regard de la mise à mal de l’anonymat en ligne, de l’atteinte à la liberté d’expression et de la négation du droit à la vie privée qu’ils instaurent", lit-on dans le communiqué du même collectif, qui estime que le contrôle de "l’accès au porno" n’est qu’un "prétexte pour mettre fin à l’anonymat".
Le projet de loi SREN sera examiné en séance publique par les députés de l’Assemblée à partir du 4 et jusqu’au 13 octobre. Évoquées depuis de nombreux mois par l’exécutif français et européens, de nombreuses lois jugées liberticides commencent à voir le jour. D’ailleurs, le projet de loi SREN entend justement adapter le droit français aux nouveaux règlements européens, particulièrement le Digital Markets Act (DMA) et le Digital Services Act (DSA). Ce dernier, en vigueur depuis le mois d’août, oblige les réseaux sociaux à s’autocensurer. Une censure que le président Emmanuel Macron a déjà évoquée, pendant les émeutes et les violences urbaines qui ont secoué en juin plusieurs villes françaises, se disant favorable à "couper les réseaux sociaux".
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