Le grand accord entre l’Arabie saoudite et l’Iran, dont la Chine fut le médiateur, pourrait bientôt susciter de nouveaux problèmes.
L’accord comprenait des clauses de sécurité :
[Des clauses confidentielles ont été insérées dans l’accord de Pékin pour garantir à l’Iran et à l’Arabie saoudite que leurs impératifs de sécurité seraient respectés. Certains de ces détails ont été fournis à The Cradle, avec l’aimable autorisation d’une source impliquée dans les négociations :
- L’Arabie saoudite et la République islamique d’Iran s’engagent à n’entreprendre aucune activité susceptible de déstabiliser l’un ou l’autre État, que ce soit au niveau sécuritaire, militaire ou médiatique.
- L’Arabie saoudite s’engage à ne pas financer les médias qui cherchent à déstabiliser l’Iran, comme Iran International.
- L’Arabie saoudite s’engage à ne pas financer les organisations désignées comme terroristes par l’Iran, telles que l’Organisation des moudjahidines du peuple (MEK), les groupes kurdes basés en Irak ou les militants opérant à partir du Pakistan.
- L’Iran s’engage à veiller à ce que ses organisations alliées ne violent pas le territoire saoudien depuis le territoire irakien. Au cours des négociations, il a été question du ciblage des installations d’Aramco en Arabie saoudite en septembre 2019 et de la garantie de l’Iran qu’une organisation alliée ne procéderait pas à une frappe similaire depuis le territoire irakien.
- L’Arabie saoudite et l’Iran s’efforceront de déployer tous les efforts possibles pour résoudre les conflits dans la région, en particulier le conflit au Yémen, afin de trouver une solution politique qui garantisse une paix durable dans ce pays.
Selon des sources impliquées dans les négociations de Pékin, aucun détail sur le conflit au Yémen n’a été convenu, car des progrès significatifs ont déjà été réalisés lors des discussions directes entre Riyad et le mouvement de résistance Ansarallah du Yémen, en janvier dernier. Ces pourparlers ont abouti à des accords majeurs entre les deux États belligérants, que les États-Unis et les Émirats arabes unis ont furieusement cherché à saper afin d’empêcher la résolution de la guerre au Yémen.
Toutefois, à Pékin, les Iraniens et les Saoudiens ont accepté d’aider à faire avancer les décisions déjà prises entre Riyad et Sanaa, et de s’appuyer sur celles-ci pour mettre fin à cette guerre qui dure depuis sept ans.
Les engagements saoudiens sont importants pour l’Iran. Depuis le mois d’octobre dernier, manifestations et émeutes se succèdent, associées à des attentats terroristes perpétrés par des militants sunnites dans la région de Baloch, dans le sud-est de l’Iran, et à des attentats terroristes perpétrés dans le nord-ouest de l’Iran par des militants kurdes sunnites qui ont traversé la frontière au nord de l’Irak.
Les manifestations ont été alimentées par Iran International, une chaîne financée par l’Arabie saoudite et basée à Londres. Cette chaîne s’est installée à Washington DC où elle semble avoir trouvé de nouveaux financements. L’Arabie saoudite finançait également les rebelles kurdes et baloutches. Ils ont maintenant cessé leur attaque en Iran. Aujourd’hui, l’Iran a annoncé une amnistie pour quelque 22 000 personnes qui avaient été arrêtées pendant les émeutes :
Le chef du pouvoir judiciaire iranien, Gholamhossein Mohseni Ejehi, a déclaré qu’un total de 82 656 prisonniers et personnes inculpées avaient été graciés. Parmi eux, quelque 22 628 avaient été arrêtés lors des manifestations. Les personnes graciées n’ont pas commis de vols ou de crimes violents, a-t-il ajouté.
Les engagements iraniens ont également résolu les problèmes de sécurité de l’Arabie saoudite. Il n’y aura plus d’attaques contre ses infrastructures pétrolières.
Un autre élément du rapport de The Cradle est également significatif :
Sur une note légèrement distincte liée à la sécurité régionale – mais ne faisant pas partie de l’accord de Pékin – des sources impliquées dans les négociations ont confirmé à The Cradle que, pendant les pourparlers, la délégation saoudienne a souligné l’engagement de Riyad à l’égard de l’initiative de paix arabe de 2002, refusant une normalisation avec Tel-Aviv avant la création d’un État palestinien indépendant, avec Jérusalem comme capitale.
C’est évidemment mauvais pour Israël qui espérait entraîner l’Arabie saoudite sur son terrain pour ensuite attaquer l’Iran. C’est désormais impossible. L’accord conclu sous la médiation de la Chine est également un signal d’alarme pour Washington :
L’accord affaiblit la position des États-Unis dans la région. Les États-Unis ont réduit leurs effectifs en Syrie après avoir retiré leurs forces d’Afghanistan en 2021.
L’accord intervient également alors que l’Arabie saoudite exige certaines garanties de sécurité, un flux régulier de livraisons d’armes et une assistance pour son programme nucléaire civil afin de normaliser ses relations avec Israël, un allié majeur des États-Unis, a confirmé la Maison Blanche vendredi.
S’adressant aux journalistes, le porte-parole du Conseil national de sécurité, John Kirby, a déclaré que les États-Unis étaient « informés » des discussions entre l’Arabie saoudite et l’Iran, mais qu’ils n’y jouaient aucun rôle.
On peut se demander si la récente campagne anti-chinoise n’a pas été lancée parce que les États-Unis étaient au courant de l’accord et ont tenté de l’interrompre.
L’accord pourrait bien avoir des problèmes de mise en œuvre :
Le rôle de la Chine dans l’accord entre l’Arabie saoudite et l’Iran est capital. Toutefois, Pékin pourrait constater que ses relations dans la région sont compromises à cause d’échecs dans la mise en œuvre de l’accord.
…
En tant qu’intermédiaire de l’accord, ou du moins en tant que pays tiers mentionné dans la déclaration, la question clé est de savoir si la Chine va – ou même peut – de manière réaliste soutenir ou appuyer la mise en pratique de l’accord. La première question est celle des capacités. Contrairement à Washington, les capacités de projection de puissance de la Chine sont très limitées. Avec sa seule base militaire étrangère à Djibouti et aucune architecture de sécurité substantielle dans la région, Pékin serait incapable de faire respecter l’accord par l’usage – ou la menace – de la force.
Bien que cette absence de puissance militaire puisse constituer une source de puissance douce pour la Chine aux yeux des États de la région, étant donné qu’elle témoigne d’un désir sincère de ne pas interférer dans les affaires des autres États, Pékin ne peut pas protéger des actifs clés dans la région ou répondre à des transgressions. Pékin reste tributaire de Washington à cet égard.
Quels sont les « actifs clés » dans la région ? N’appartiennent-ils pas aux pays dans lesquels ils se trouvent ? Si l’Iran et les Saoudiens respectent l’accord, la présence des États-Unis n’est pas nécessaire. Pékin ne compte certainement pas sur ce que Washington pourrait faire dans la région.
La deuxième question, bien plus urgente, est celle de la volonté. Il est peu probable que le rôle de la Chine dans la négociation de l’accord lui permette de sortir la tête de l’eau en cas de violences ou de tensions. Pékin a déployé des décennies d’efforts diplomatiques pour cultiver de bonnes relations avec tous les États de la région. Il est tout simplement peu probable que la Chine risque de tout gâcher en prenant le parti d’un partenaire au détriment de l’autre.
L’auteur semble croire que la Chine devrait prendre parti. Si l’accord est maintenu, il n’y aura pas lieu de le faire. Dans le cas contraire, la Chine jouera à nouveau le rôle de médiateur jusqu’à ce que la paix revienne.
Fondamentalement, cet accord revient aux deux États de la région (et même aux autres États du CCG). S’ils jouent le jeu, la Chine pourra revendiquer une victoire monumentale dans la diplomatie moyen-orientale. Si, comme c’est plus probable, des tensions apparaissent, Pékin se rendra compte qu’elle a été trop sollicitée. Il est presque certain qu’elle ne pourra pas et ne voudra pas se porter garante de l’accord. Pour obtenir une victoire diplomatique rapide, la Chine a mis en péril sa politique de neutralité. Du point de vue de la Chine, la question actuelle est de savoir si elle conservera le respect de toutes les parties en cas d’échec de l’accord.
Les véritables problèmes de mise en œuvre auxquels l’accord et la Chine seront confrontés ne sont pas ceux que mentionne l’auteur cité plus haut.
Les États-Unis n’apprécient pas l’accord parce qu’il diminue leur rôle dans la région. Israël n’aime pas l’accord parce qu’il réduit ses chances de s’en prendre à l’Iran :
Les États-Unis et Israël ne voient pas d’un bon œil la nouvelle de la percée diplomatique. Ils craignent tout d’abord que la Chine n’affirme de plus en plus son rôle dans la région, et les États-Unis ne veulent pas vivre ce que la Grande-Bretagne a vécu à Suez en 1956 : un moment décisif marquant son déclin mondial. Les États-Unis se sont opposés à la Grande-Bretagne, à la France et à Israël qui s’étaient alliés pour attaquer l’Égypte après que son dirigeant Gamal Abdel Nasser eut nationalisé le canal de Suez. Cet événement est considéré comme le dernier acte de l’Empire britannique avant qu’il ne rejoigne l’imperium américain, plus puissant.
…
Si l’accord atteint l’objectif d’apporter réellement la paix et l’amitié entre les deux rivaux, la Chine pourrait alors profiter d’un moment Suez : celui où monde signalera la fin de l’empire américain comme ce fut le cas pour les Britanniques.
Israël et les États-Unis sont tous deux capables et probablement désireux de faire tout ce qui est nécessaire pour empêcher la mise en œuvre de l’accord. Ils peuvent probablement utiliser leurs bonnes relations avec les Émirats arabes unis pour rendre les choses difficiles. Des attaques sous faux drapeau en Iran et en Arabie saoudite pourraient être un moyen d’y parvenir. Si une nouvelle attaque de drone « iranien » a lieu dans les champs pétroliers saoudiens ou si une nouvelle attaque terroriste « financée par l’Arabie saoudite » a lieu en Iran, l’accord pourrait en effet être annulé.
Il faut espérer que la Chine et les autres parties impliquées dans l’accord en sont conscientes.
Moon of Alabama
Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone.
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