L’incendie ?
Celui, survenu mercredi dernier, d’un terminal de câble sous-marin qui arrive dans le Kent, à Sellindge, en provenance de la France. Avec sa capacité de 2.000 MW, c’est l’un des quatre qui relient la Grande-Bretagne au continent (National Grid has deux de France (IFA, celui victime d’un incendie et IFA2), un des Pays-Bas Netherlands (BritNed) et un de Belgique (Nemo Link). L’incendie à détruit un équipement lourd. Si la moitié de la capacité devrait être remise en service vers la mi-octobre, il faudrait attendre jusqu’à mars 2022 pour retrouver les 2.000 MW. Autant de connexions capables de fonctionner dans les deux sens, mais la plupart du temps la Grande-Bretagne importe. Le résultat d’un manque d’investissements qui la rend dépendante de ces importations pour la sécurité de son approvisionnement. Ainsi, pour le premier semestre de 2021, le solde net de ses échanges avec la France est de 8,6 térawatt/heures (pour comparaison, les deux réacteurs nucléaires de Penly de 1.300 MW ont produit environ 16 TW/h pour toute l’année 2020).
Prier pour qu'il y ait du vent !
Cet accident fonctionne comme un brutal révélateur de la fragilité des systèmes électriques européens après deux décennies de dérégulations au nom de « la concurrence libre et non faussée », de prosternations idéologiques devant certaines technologies (éolien et solaire), certes décarbonées, mais non pilotables et de retard à investir dans des capacités de production pilotables non carbonée. Les électriciens britanniques ont du remettre en service des centrales à charbon. Et prier pour le vent se remette à souffler sur les éoliennes de la Mer du Nord.
La stratégie électrique de la Grande-Bretagne repose sur deux piliers pour parvenir à la neutralité carbone : l’installation de gigantesques capacités éolienne offshore en Mer du Nord et le recours à des centrales nucléaires remplaçant les anciennes en fin de vie. Mais par quelles centrales ? EDF construit deux EPR à Hinkley Point, en propose d’autres, à condition de trouver la clé de financement. Un projet de construction de réacteurs de conception chinoise, les Hualong, avait été envisagé, il semble abandonné pour des raisons géopolitiques plus que techniques ou financières. Dans les deux cas, même si les industriels britanniques peuvent participer aux chantiers, l’essentiel de la technologie doit être importée.
200 euros le MW/h
Les tensions sur le système électrique britannique ne sont en effet pas isolées de celles qui surviennent sur le continent. Il suffit de jeter un œil sur les prix spot du marché intégré pour en prendre la mesure. Jeudi 16 septembre, à 19h, autrement dit une heure de pointe, mais en l’absence de tout chauffage électrique en Europe en ce tout début d’automne, on frôle les 200€ le MW/h pratiquement partout, contre des prix allant de 53 à 82 € l’an dernier aux mêmes date (le jeudi 17 septembre 2020) et heure.
Ces tensions ne vont pas se calmer. Les prix du gaz sont sur une pente ascendante, surtout en raison de l’appétit chinois qui attire les méthaniers par des prix de plus en plus élevés à l’achat. Et ils sont un peu boostés par les manœuvres de la Russie pour mettre en exergue la nécessité du nouveau gazoduc Nord-Stream-2 qui la relie à l’Allemagne via la Baltique. L’augmentation de la taxe carbone fait monter les prix du charbon et du gaz et elle doit encore monter à l’avenir. Quant aux ENRI (éoliennes et solaire), si les prix unitaires continuent de diminuer, le coût du système global ne va pas diminuer : même si l’on stoppe les subventions aux ENRI, dès lors que les ENRI dépassent la part du total qui rend les centrales thermiques non rentables par une utilisation trop réduite dans l’année, le surcoût se déplace vers ces dernières, ou vers des systèmes de stockage massif d’électricité ou d’énergie encore à inventer et déployer.
Il est piquant de se souvenir du tollé soulevé par l’accord obtenu par EDF du gouvernement britannique pour la centrale nucléaire de deux réacteurs EPR en construction à Hinkley Point : un engagement de prix minimal de 92,5 livres (environ 108 €) du mégawattheure (prix 2012).
Il est possible de tirer quelques leçons de cet épisode britannique :
Trop dépendre des voisins pour assurer son approvisionnement en électricité est dangereux, ils ne seront pas toujours là, et cela peut coûter très cher.
Trop procrastiner la construction des moyens de production nécessaires débouche inéluctablement sur la pénurie ou la décision de prolonger la durée de vie d’équipements (centrales à charbon et gaz ou nucléaire) que l’on voudrait stopper ou remplacer. Une alerte sévère pour la France en raison de l’effet falaise dû à la rapidité de construction du parc nucléaire actuel dont la fin de vie des réacteurs sera ipso facto très concentrée dans le temps. S’y prendre trop tard pour les remplacer est une garantie de gros problèmes à venir. Surtout lorsque les prévisions de besoins en électricité sont fortement revus à la hausse, avec l’électrification des transports et la décarbonation de l’ensemble de l’économie.
Le discours sur « il y a toujours du vent quelque part » ne se vérifie toujours pas. Les périodes de vent faible sur l’ensemble de l’Europe de l’ouest sont trop fréquentes et trop longues pour ne pas associer aux capacités éoliennes un back-up de puissance presque équivalente. C’est cher. et il faut y penser avant d’avoir détruit les capacités pilotables actuelles. Sinon, c’est pénurie ou recours au gaz, voire au charbon.
Tant qu’on n’a pas de capacité de production non carbonée ou de stockage équivalent à l’arrêt de la production éolienne ou solaire (et des moyens de stockage garnis), ces périodes se traduisent par la remise en service de centrales à charbon et gaz. Comme l’indique cet article de Nature qui rend hommage à la chancelière Angela Merkel, cette dernière a sacrifié le climat au bénéfice des centrales à charbon et de l’importation de gaz russe.
Sylvestre Huet
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