05 décembre 2012

Au temps de la comète


J’ai lu la Guerre des mondes alors que je n’avais pas encore du poil au menton. Ensuite, plus tard dans ma jeunesse, j’ai vu les adaptations cinématographiques de L’homme invisible et de La machine à remonter le temps. Toujours j’ai été fasciné par ces films qui doivent davantage à l’imagination délirante de l’auteur qu’à la justesse de la prospective scientifique du savant. Aussi, quand l’envie m’a pris de lire un nouveau Wells, je m’attendais à passer un moment de détente avec une bonne histoire associée au genre S-F. Mais ça ne s’est pas passé comme ça. Certes, le moment fut agréable, mais aussi fort déroutant car Wells, contrairement à Conan Doyle, pour ne nommer que celui-là, dresse un tableau percutant de la société occidentale au tournant du XXème siècle. En effet, le monde traverse une période fort sombre : en pleine crise de surproduction industrielle, il vit les deniers soubresauts du capitalisme sauvage pendant que se profile à l’horizon l’immense guerre à venir dont celle des Boers, avec ses milliers de victimes, constitue le prélude macabre.

Dans la première partie, intitulée La comète, Wells décrit la descente aux enfers de Williams Leadford, un adolescent exalté qui n’accepte pas le monde tel qu’il est, c’est-à-dire un monde d’une criante injustice pour les hommes et les femmes des classes laborieuses. Élevé par sa mère « dans une foi bizarre, archaïque et étroite, acceptant certaines formules religieuses, certaines règles de conduite, certaines conceptions de l’ordre social et politique, absolument sans rapport avec les réalités et les besoins de la vie quotidienne contemporaine », il professe des idées socialistes. Malgré les avis répétés de son ami Parload qui prédit une crise de surproduction susceptible d’appauvrir encore davantage les habitants de la région, il quitte son emploi en claquant la porte et se retrouve pratiquement à la rue. Dans ses nuits de veille, il constate l’avancée de la comète qui concurrence la lune par sa luminosité croissante. Parload prédit aussi qu’elle frappera bientôt la terre, mais il n’en a cure : ses préoccupations sont ailleurs, notamment vers Nettie, une jeune fille qu’il connaît depuis l’enfance et dont il est amoureux. Quand celle-ci quitte sa famille pour suivre Verrall, le fils d’un industriel local, il voit rouge, s’achète un revolver et se met à leur poursuite…

En cette première partie, fort enlevante, nous suivons les tribulations quasi tragiques du jeune Leadford jusqu’au moment où, alors qu’il s’apprête à commettre l’irréparable, survient le grand Changement au cours duquel un brouillard vert enrobe la terre de son aura. Alors le monde bascule dans une ère positive, une ère où les hommes sont « délivrés de leurs passions moins nobles, de la concupiscence vulgaire et animale, des pauvres éventualités, des imaginations grossières ». Pendant une centaine de pages, Wells décrit les effets du grand Changement sur la société occidentale. Des pages trop nombreuses, sans doute, pendant lesquelles le récit tombe à plat, atténuant forcément l’intérêt du lecteur contemporain.

En dépit de la seconde partie du récit pendant laquelle Wells livre un discours un peu mièvre, j’ai pris beaucoup de plaisir à lire Au temps de la comète qui constitue un réquisitoire exceptionnel contre le capitalisme, la propriété privée et la guerre, les trois sources de l’appauvrissement des masses populaires à la fin du XIXème siècle. À mes yeux, il ne fait aucun doute que, pour Wells, le grand Changement provoqué par l’écrasement de la comète sur la terre représente l’avènement de la Raison, celle héritée des Lumières qui offre une portée universelle au sentiment religieux, abolissant du même coup la propriété individuelle, les conflits entre les nations et l’exploitation de l’homme par l’homme. Bref, avec la comète, un sentiment de paix souffle sur le monde tout en préservant le sentiment amoureux, car « de la passion d’aimer le Changement ne nous avais pas affranchis ».

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4 commentaires:

  1. Cet aspect du "visionnaire" HG Wells ne m'était pas connu.
    Il a décrit les criantes injustices de la société du "grand capital prédateur" de la fin du 19°siècle-début du 20°, décrites aussi par de grands romanciers de son époque.

    L'assommoir de Zola, Oliver Twist de Dickens, et des décennies avant, Honoré de Balzac, avec la "Comédie Humaine"...décrivent aussi cette civilisation féroce, où les banquiers et capitalistes dirigent le monde vers le chaos (déjà, la guerre de Sécession en 1861, la guerre de 1870, les 2 guerres des, Boers : 1880 et 1899... avant l'apocalypse de la grande guerre).

    HG Wells semble dans ce roman "la Comète" (et Dieu sait si on en a vu ces derniers temps dans le paysage du NET, avec ELENIN en 2011 et ISON (# SION) en 2013...) anticiper un soudain changement de paradigme, lié à un évènement céleste :

    "...jusqu’au moment où, alors qu’il s’apprête à commettre l’irréparable, survient le grand Changement au cours duquel un brouillard vert enrobe la terre de son aura. Alors le monde bascule dans une ère positive, une ère où les hommes sont « délivrés de leurs passions moins nobles, de la concupiscence vulgaire et animale, des pauvres éventualités, des imaginations grossières ». Pendant une centaine de pages, Wells décrit les effets du grand Changement sur la société occidentale. "

    Cette "société occidentale" que décrivait Wells, on l'a reconnaît bien dans l'actuelle.

    Si HG Wells était visionnaire, peut-être son scénario (moins connu que d'autres œuvres, le public préfère les romans noirs comme "La Guerre des mondes" aux romans roses) verra son exécution prochainement.

    Une sorte de "miracle", un "brouillard" (dans la Bible on parle des "nuées") viendrait changer nos cœurs et nos consciences, en enlevant le voile qui nous obscurcit la vue et nous contraint à cheminer dans l'ombre, en trébuchant...le paradoxe serait que le "brouillard vert" nous ferait retrouver la véritable vision, celle du coeur et de la conscience.

    L'ami Pierrot

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  2. Je me disais aussi, en lisant l'article, tout comme l'ami Pierrot : j'aimerais bien que Wells soit un visionnaire, un peu comme Jules Vernes, et que tout à coup nous basculions en conscience dans un humanisme qui n'aurait plus rien à voir avec la vie que nous menons aujourd'hui.
    Je n'y crois pas trop, mais pourquoi pas ? Un monde comme celui de 'la belle verte' par exemple ?

    Ca me plairait vraiment, oui. ^^ Rêvons. Peut-être que les rêves peuvent se réaliser ?

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  3. L'auteur de cet article a lu de façon fort incomplète l'oeuvre de Conan Doyle.
    "Les Aventures du Professeur Challenger" sont pleines d'enseignements pour qui sait lire.

    Edouard

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  4. Oh!Oui, vraiment un monde à l'exemple de "La Belle Verte" et l'on serait revenu au paradis!..
    Vraiment,cela me fait rêver aussi!Merci pour l'évocation de tels rêves Elba!..
    J'vais peut-être me procurer le bouquin et le lire!
    Je crois qu'il y a des prophéties qui évoquent un miracle comme celui dont parle l'ami Pierrot.

    P.P.du S.

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