Il y a quelques années de cela, le Service du contrôle de la redevance audiovisuelle m'écrivait régulièrement, sur un ton poli mais légèrement menaçant, pour m'inciter à confesser la possession d'un poste de télévision. Puis l'administration s'est lassée, et j'ai pu croire un temps que mon mode de vie arriéré avait été, sinon approuvé, du moins reconnu. Cette croyance s'est trouvée renforcée quand le Ministère des finances a décidé d'inclure dans le formulaire de déclaration des revenus une case à cocher chaque année par les contribuables ne possédant pas de poste de télévision. Désormais, pensais-je, l'État et moi-même allions faire l'économie d'une correspondance aussi inutile que monotone. J'étais candide.
On a beau vivre une époque de liberté et d'individualisme, il se trouve toujours des signes de sa propre anormalité que l'on ne peut ignorer, particulièrement lorsqu'ils portent l'entête du Trésor public. Le Service du contrôle de la redevance audiovisuelle, toujours sceptique, m'a adressé l'an passé la lettre que voici :
Madame, Monsieur,
Je me suis présenté à votre domicile à 11h45 afin de pouvoir vérifier, comme vous l'avez déclaré, que vous ne détenez pas d'appareil récepteur de télévision dans votre résidence.
En raison de votre absence, je n'ai pu procéder à cette vérification.
Si vous reconnaissez détenir un appareil récepteur de télévision, je vous invite à régulariser votre situation en renvoyant la déclaration rectificative ci-dessous complétée et signée. Un avis d'imposition de 116 euros vous sera ultérieurement adressé. En effet à titre exceptionnel, aucune amende ne sera appliquée.
Si vous confirmez ne pas détenir d'appareil récepteur de télévision, vous devez également renvoyer la déclaration ci-dessous complétée et signée.
Je me tiens à votre disposition pour tout renseignement complémentaire et vous prie de croire, Madame, Monsieur, à l'assurance de ma considération distinguée.
Ce qui est nouveau dans la démarche, c'est que le récipiendaire doit renvoyer la déclaration jointe même s'il ne s'est pas trompé dans sa déclaration initiale. Ce qui n'a pas changé, c'est que l'administration ne fournit pas l'enveloppe réponse préaffranchie. Soucieux d'épargner à l'État le moindre doute sur ma situation télévisuelle, j'ai pris la peine de joindre à ma redéclaration de non détention d'un poste de télévision cette lettre :
Madame, Monsieur,
Vous vous êtes présenté à mon domicile à 11h45 afin de pouvoir vérifier si, comme je l'indique chaque année sur ma déclaration de revenu, je ne détiens pas d'appareil récepteur de télévision dans ma résidence.
À mon avis, la raison pour laquelle vous n'avez pu procéder à cette vérification est que vous m'avez rendu visite à une heure où je me trouve habituellement à mon travail, comme vous même et la plupart des gens.
Je confirme et réitère ne pas détenir d'appareil récepteur de télévision, ni grand, ni petit, ni ancien, ni récent, ni plat, ni portatif, ni noir et blanc, ni d'aucune autre sorte. Je précise à toute fin utile que les seuls appareils se trouvant à proximité de la prise d'antenne installée dans ce logement par un précédent occupant sont : un grille-pain, une bouilloire électrique, un four à micro-ondes, une cocotte à riz et une petite machine à laver proposant de nombreux programmes certes, mais dont aucun ne s'apparente de près ou de loin à ceux de la télévision. Je déclare ne jamais avoir possédé, loué ou emprunté de récepteur de télévision, ne pas lorgner sur le récepteur de télévision de mes voisins dont les fenêtres donnent sur notre cour commune et faire de mon mieux pour ne pas prêter attention à l'émission sonore de quelque récepteur de télévision que ce soit malgré la proportion étonnamment élevée de personnes souffrant manifestement de déficiences auditives dans mon immeuble. Je jure sur l'honneur n'avoir jamais eu l'intention d'introduire un récepteur de télévision dans mon foyer depuis que j'ai quitté celui de mes parents, cela malgré l'insistance des drogués télévisuels de mon entourage à vouloir m'équiper de l'instrument de leur vice sur leurs propres deniers. Enfin je porte à la connaissance de l'administration mon dégoût viscéral pour la chose télévisuelle tant dans sa forme que dans son contenu et exprime le vœu que l'État protège un jour prochain les mineurs et les usagers des lieux publiques de la consommation de télévision aussi fermement que de la consommation de tabac.
Étant enjoint par votre courrier à vous déclarer une fois de plus ma non détention d'un appareil récepteur de télévision, je vous prie de trouver ci-joint ma déclaration dûment complétée et signée. Je vous serais reconnaissant, à titre exceptionnel, de me rembourser l'affranchissement de ce courrier. Il me semble en effet que si l'État est disposé à exonérer du paiement de l'amende les contribuables ayant effectué une fausse déclaration, il serait juste et raisonnable que les contribuables ayant effectué de vraies déclarations soient dispensés de payer le timbre nécessaire à la réitération de celles-ci.
Dans l'attente de votre réponse que j'espère positive, je me tiens à votre disposition pour toute déclaration supplémentaire et vous prie de croire Madame, Monsieur, à l'assurance de ma respectueuse considération.
Après ce déchaînement de correspondance administrative, une page de poésie.
L'odyssée immobile
L'homme contemporain est un zéro tragique
Un rebut du destin, un Ulysse psychique
Qu'une Olympe usurière, pour sa distraction
Chassa vers les chimères de la télévision
Polyphème le retient prisonnier en son œil
De bronze, hypnotisé, ceinturé au fauteuil
Hermès, joignant Circé, bourre son crâne de pourceau
De babil éolien, de pilules de loto
Tandis que les sirènes poussent leur chant pénible
Scylla suce, obscène, ce cerveau disponible
Et Charybde, obsédée, chaponne le micheton
Ni sa molle paresse, ni la nymphe salope
Ne laisseront Ulysse retrouver Pénélope
Moribond possédé par le dieu Possédons
L'homme contemporain est un zéro tragique
Un rebut du destin, un Ulysse psychique
Qu'une Olympe usurière, pour sa distraction
Chassa vers les chimères de la télévision
Polyphème le retient prisonnier en son œil
De bronze, hypnotisé, ceinturé au fauteuil
Hermès, joignant Circé, bourre son crâne de pourceau
De babil éolien, de pilules de loto
Tandis que les sirènes poussent leur chant pénible
Scylla suce, obscène, ce cerveau disponible
Et Charybde, obsédée, chaponne le micheton
Ni sa molle paresse, ni la nymphe salope
Ne laisseront Ulysse retrouver Pénélope
Moribond possédé par le dieu Possédons
Par Tancrède Bastié
Source
J'aime énormément cette 'odyssée immobile' ^^
RépondreSupprimerSi un jour les gens se séparaient de leur télévision, l'état trouverait bien un moyen de taxer... les machines à laver, par exemple ?
Il leur faut de l'argent, de l'argent, encore plus d'argent !
Bien dit Paul
RépondreSupprimerPerso, mon épouse, ma fille et moi-même nous avons fait ce même choix depuis l'an 2000 et nous avons été contrôlé 2 fois en dix ans. en 2010 nous avons déménagé en Thaïlande ou nous continuons sur ce beau chemin.
Bravo et God bless you :)
Le problème de la redevance n'est pas lié à la possession ou la non possession d'un téléviseur mais à l'accès aux chaînes publiques. La question que je me pose est de savoir comment se déconnecter "physiquement" de celles-ci (que je ne regarde jamais) tout en conservant l'accès aux autres (chaînes privées). EX : Je ne peut jouir de mon abonnement "Orange cinéma" qu'au travers de mon écran de télévision... Idem pour la TNT, ARTE et autres... Si une solution existe, merci de m'en faire part. Quant au contrôle du fisc, j'y ai eu droit aussi. Lui ayant refusé l'accès à ma maison et au vu des sanctions brandies, j'ai dû me démerder pour que "tout rentre dans l'ordre" à moindre frais -pour moi- C'est ainsi que depuis ce jour je règle la foutue redevance. Amitié de la part d'Atmosphère
RépondreSupprimer