06 octobre 2024

Vers une interdiction totale du dioxyde de titane ?

Des études confirment les risques du TiO2. Déjà interdit dans l’alimentation, ce composé disparaît peu à peu des médicaments et des cosmétiques.

Le dioxyde de titane (TiO2) est dans le viseur des agences réglementaires. Autorisé en 1969 comme additif alimentaire, il a été beaucoup utilisé dans les bonbons, les chewing-gums, les confiseries de chocolat (Mentos, Malabar, M & M’s…), mais aussi dans des glaces, certains sodas, sauces blanches…

Suspecté d’être génotoxique et de présenter d’autres risques pour la santé, à l’état nanoparticulaire ou non, le TiO2 a été interdit comme additif alimentaire. Il est donc désormais absent de tous les produits et compléments alimentaires. La mesure, d’abord adoptée le 1er janvier 2020 en France, a été étendue en 2022 dans toute l’Union européenne.

« En mai 2021, les principaux arguments qui ont conduit l’Union européenne à interdire le dioxyde de titane étaient son accumulation dans des organes systémiques (foie, rate, placenta) et le risque génotoxique susceptible d’endommager l’ADN des cellules », rembobine Eric Houdeau, directeur de recherche à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae), à l’origine de l’une des études sur ce sujet. Or de nouvelles données viennent enrichir l’argumentaire… et plomber un peu plus l’avenir de ce composé.

Un passage dans l’organisme par les muqueuses buccales

Une nouvelle étude menée par l’équipe d’Eric Houdeau montre que la première voie d’entrée dans l’organisme du TiO2 est la bouche, avant l’intestin. Cette étude est innovante, car la voie buccale n’est pas prise en compte dans les évaluations toxicologiques. « La plupart des études sont menées chez des rongeurs dont la bouche est kératinisée : il n’y a pas d’absorption par les muqueuses. On ne considérait donc que l’absorption par l’intestin », explique le chercheur de l’Inrae.

Cette fois, l’étude a été réalisée chez le porc, plus proche de l’homme, pour étudier le passage de substances par les muqueuses buccales dans l’organisme. Les résultats suggèrent que nous sommes exposés au TiO2 non seulement par les aliments et les médicaments que nous ingérons, mais aussi par tout ce qui peut entrer en contact avec la muqueuse (dentifrice, cosmétiques type baume à lèvres, rouge à lèvres, mais aussi les poussières de peinture ou les poudres de maquillage inhalées).

Le TiO2 altérerait la barrière de l’intestin

Une autre donnée préoccupante provient d’une étude réalisée sur des cellules buccales humaines en culture. Eric Houdeau et son équipe révèlent que le TiO2 altère le renouvellement des cellules et leur processus de réparation, surtout les cellules épithéliales en prolifération et non adultes.

Ces cellules épithéliales tapissent les organes creux (l’intérieur de la bouche, la paroi de l’intestin…) et jouent un rôle de barrière biologique face à ce que nous ingérons. « Si le dioxyde de titane bloque la cyclicité des cellules, on peut avoir un épithélium qui vieillit, et qui sera moins efficace dans son rôle de barrière », traduit le chercheur.

Le dioxyde de titane sur la sellette

Le TiO2 fait actuellement l’objet de réévaluations par divers organismes de contrôle et agences de réglementation (Anses, ANSM, DGCCRF, DGAL au niveau français, Ema, CSSC au niveau européen…). Leurs résultats pourraient sonner le glas du dioxyde de titane dans d’autres usages au sein de l’Union européenne, mais aussi modifier les réglementations hors de l’UE puisque le TiO2 est encore autorisé dans l’alimentation hors Europe, notamment au Royaume-Uni et en Amérique du Nord.

En France, premier pays à avoir appliqué le principe de précaution, le dioxyde de titane est en cours de retrait de la plupart des produits où il reste autorisé. Une enquête d’Avicenn, l’association de veille et d’information civique sur les enjeux des nanosciences et nanotechnologies, montre que sa disparition s’est considérablement accélérée dans les dentifrices.

De moins en moins de TiO2 dans les dentifrices

En 2022, 60 Millions en avait trouvé dans la moitié des références de son banc d’essai. Dans son enquête parue le 18 juillet 2023, Avicenn a repéré pour sa part une cinquantaine de dentifrices listés par l’association Agir pour l’environnement comme contenant du TiO2 en 2021 et qui, désormais, n’en contiennent plus.

Cela porte à « près de 75 le nombre de références dans lesquelles le TiO2 a été supprimé depuis 2019. Sans compter les très nombreux nouveaux dentifrices qui ont été formulés depuis sans TiO2 dès leur première mise sur le marché », souligne Avicenn. D’après l’association, les dentifrices Casino, Labell, Monoprix, Signal, Vademecum… ainsi que tous les dentifrices bio labellisés Cosmos Organic ne contiennent ainsi plus de TiO2.

Toujours présent dans les médicaments

En revanche, la situation évolue moins vite sur le front des médicaments, où le dioxyde de titane figure encore sur la liste des excipients comme colorant (E171). « En 2022, la Commission européenne a laissé trois ans à l’Agence européenne du médicament [Ema] pour savoir si l’industrie du médicament devait continuer à l’utiliser ou rechercher des alternatives », commente Eric Houdeau.

Son emploi n’a rien d’anecdotique : une étude réalisée en juin 2021 a révélé sa présence dans 60 % des formes sèches de médicaments. D’après la base de données Thériaque (consultable après inscription gratuite), il existe 4774 médicaments utilisant cet excipient actuellement commercialisés en France. « Le dioxyde de titane n’y est pas utilisé pour le goût ou la couleur », défend Thomas Borel, directeur des affaires scientifiques et responsabilité sociétale des entreprises au Leem (Les entreprises du médicament), « c’est un opacifiant qui est utilisé pour stabiliser les principes actifs en les protégeant de la lumière ».

Un changement de formule complexe ?

Les industriels doivent donc trouver comment retirer le dioxyde de titane sans modifier la stabilité de leurs médicaments. Une dizaine de molécules sont à l’étude : le carbonate de calcium ou de magnésium, le sulfate de calcium, l’amidon, l’oxyde de magnésium, etc. Mais pour l’instant, « aucun d’entre eux n’a démontré permettre la même stabilité que le TiO2 », explique Thomas Borel.

Du moins, aucun substituant unique n’offre la même combinaison de propriétés en toutes circonstances. « Chaque médicament concerné doit donc faire l’objet d’un examen et d’une évaluation individuelle », résume un porte-parole de Sanofi. D’autant que nul ne semble savoir, a priori, dans quelles spécialités le dioxyde de titane est essentiel ou accessoire, remplaçable ou irremplaçable.

La suppression ou le remplacement ont tout de même été quelques fois réalisés. Si l’on reprend les spécialités que 60 Millions avait épinglées en 2018, on constate par exemple qu’Upsa a retiré le TiO2 des comprimés pelliculés d’Efferalgan et Sanofi des sachets-doses de 200 mg de Doliprane. En revanche, il est toujours présent dans les comprimés de Spasfon, de Zyrtecset 10 mg, de Nurofen 400 mg et d’Euphytose.

De manière plus générale, Sanofi a retiré le dioxyde de titane de toutes les formulations de Doliprane, à l’exception des gélules. Sur la Base de données publique des médicaments, le TiO2 ne figure pas dans la liste d’excipients des gélules de 500 mg et les gélules de 1 g sont annoncées comme en fin de commercialisation. L’entreprise nous a affirmé en juin que des « études de faisabilité [étaient] actuellement en cours pour le remplacer » dans ces deux produits.

Un problème de rentabilité… et de volonté politique

Face à l’incompréhension du grand public à l’égard de la persistance du dioxyde de titane dans les médicaments, il n’est pas rare que les industriels tentent de le justifier. Trouver un substitut est complexe, long… et coûteux : il implique de mener des essais et de déposer un nouveau dossier auprès des autorités réglementaires.

Certaines entreprises brandissent d’ailleurs la menace de tensions d’approvisionnement qu’une interdiction trop rapide pourrait susciter. Ou encore de la disparition de médicaments produits en très petite quantité pour lesquels rechercher une alternative au TiO2 ne serait pas rentable…

Pour Avicenn, tout est pourtant une question de volonté politique. Une procédure commune et accélérée pourrait ainsi être mise en place pour les spécialités pour lesquelles une suppression sans substitution est possible. Ce qui limiterait le risque « d’embouteillage » au niveau des services réglementaires de l’Agence européenne du médicament (Ema), parfois lui aussi brandi. Mais sur le front des médicaments, la volonté politique se joue surtout à l’échelle européenne et non nationale, comme cela a pu être le cas dans l’alimentation.

Une décision européenne attendue en 2025

La décision de la Commission européenne sur le dioxyde de titane est attendue en 2025, notamment sur la base d’un rapport d’évaluation commandé à l’Ema pour avril 2024. En attendant, en France, la communication de l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) sur le sujet est assez minimaliste et certains y voient une forme d’attentisme. « Les autorités sanitaires devraient être plus proactives afin de davantage protéger la santé des patients. Il y a urgence notamment à s’intéresser au dosage du TiO2 chez des patients chroniques pour savoir à quoi ils sont exposés, faire une estimation des risques », commente Mathilde Detcheverry, d’Avicenn.

Il serait également intéressant que la liste des spécialités qui en contiennent soit accessible avec les alternatives existantes sans TiO2. Ici, c’est au consommateur de trouver la forme générique alternative sans TiO2 (par exemple le phloroglucinol EG à la place du Spasfon) sur la base de données publique des médicaments, ou d’interroger son pharmacien. Sachant qu’il n’y a pas toujours de solution sans E171 malgré pléthore d’alternatives, comme l’illustre l’exemple du Zyrtecset.

Le dioxyde de silicium aussi en voie de disparition ?

Le dioxyde de titane n’est probablement pas la seule substance chimique à pénétrer par les muqueuses buccales. Le dioxyde de silicium (E551), utilisé pour ses propriétés anti-agglomérantes dans l’alimentation, pourrait s’ajouter à la liste. Composé lui aussi de nanoparticules, il est encore autorisé, mais il n’apparaît pas toujours dans la liste d’ingrédients.

Il s’agit, en effet, d’un auxiliaire technologique qui peut être utilisé en amont de la recette, pour fluidifier les poudres alimentaires avant qu’elles ne soient mélangées. Dans ce cas, il n’est pas mentionné, ni lui, ni la mention nano qui lui serait obligatoirement accolée puisqu’il est composé à 100 % de nanoparticules… Pratique !

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