L’anxiété et la colère concernant l’avenir de l’Union européenne augmentent depuis un certain temps. L’Union est en proie à une crise de plus en plus grave – ou plutôt à plusieurs crises de plus en plus graves : une crise du coût de la vie, une crise du logement, une crise migratoire, une crise de la croissance lente et, surtout, une crise politique. Elle est confrontée à un défi de taille : l’extrême droite, qui progresse dans les sondages dans de nombreux pays de l’UE, menace de mettre à mal la fragile cohésion de l’Union et les « valeurs libérales ».
Il y a quelques jours, le Parti de la liberté (extrême droite) a remporté les élections autrichiennes avec 30 % des voix. L’extrême droite est peut-être encore exclue du processus de formation du gouvernement en Autriche, mais ses autres variantes européennes sont au pouvoir ou soutiennent un gouvernement dans 9 des 27 pays de l’UE.
Sur le plan international, le défi le plus important auquel l’UE est confrontée est sans doute la poursuite de la guerre dans l’Ukraine voisine, qui ne montre aucun signe d’apaisement malgré un flux soutenu d’armes en provenance d’Europe et des États-Unis. Et, bien sûr, il y a l’ombre du changement climatique, qui continue d’alimenter des catastrophes naturelles mortelles.
Sans surprise, la réponse des dirigeants politiques de l’UE à ces crises croissantes n’a pas été de s’attaquer à leurs causes profondes, qui se résument toutes aux politiques néolibérales destructrices qu’ils ont joyeusement embrassées. Au lieu de cela, ils ont réagi en faisant du bellicisme, espérant peut-être que la perspective de la guerre aiderait les Européens à oublier leurs griefs.
Au cours des deux dernières années, nous avons entendu à maintes reprises que la plus grande menace pour la sécurité européenne était la Russie et que la solution consistait à vaincre la Russie en Ukraine. On nous a répété que le chemin de la paix passait par l’escalade.
Les armes européennes ont afflué en Ukraine, les pays de l’UE élargissant progressivement leur gamme pour y inclure des armes plus meurtrières et plus destructrices. La dernière en date est l’insistance des dirigeants européens, dont le chef de la diplomatie européenne sortant, Josep Borrell, pour que l’Ukraine soit autorisée à utiliser des missiles à longue portée pour frapper des cibles sur le territoire russe.
Le 19 septembre, le Parlement européen a adopté une résolution non contraignante demandant aux pays fournissant des missiles à l’Ukraine de l’autoriser à les utiliser contre des cibles russes.
La Russie a mis en garde à plusieurs reprises contre une telle initiative. Elle a même récemment mis à jour sa doctrine nucléaire, abaissant le seuil d’utilisation des armes nucléaires.
Alors que l’escalade par la fourniture d’armes à l’Ukraine se poursuit, les Européens apprennent également que leurs pays doivent dépenser davantage en armements pour se préparer à l’éventualité où cette même escalade qu’ils encouragent deviendrait incontrôlable et où l’UE se retrouverait en guerre contre la Russie. Andrius Kubilius, commissaire européen à la défense désigné – un poste nouvellement créé pour faire face à la « menace russe » – estime par exemple que l’Union devrait devenir un « entrepôt d’armes de guerre » pour dissuader Moscou.
Le mantra de l’économie de guerre a également été promu, les Européens étant poussés à croire qu’une construction militaire pourrait stimuler une économie européenne en train de battre de l’aile.
En septembre, l’économiste libéral Mario Draghi, ancien président de la Banque centrale européenne et ancien Premier ministre italien, a publié un rapport très attendu intitulé « L’avenir de la compétitivité européenne », qui a été salué par beaucoup comme un « pas dans la bonne direction » pour promouvoir une intégration économique plus profonde de l’Union.
« La paix est l’objectif premier de l’Europe. Mais les menaces à la sécurité physique augmentent et nous devons nous y préparer », écrit Draghi dans l’introduction du rapport. Il suggère ensuite que l’UE investisse massivement dans le développement de son industrie de l’armement.
Les dirigeants européens semblent de plus en plus adhérer à l’adage latin « Si vis pacem para bellum », ou « Si tu veux la paix, prépare la guerre ». Le problème de la « guerre pour la paix » aujourd’hui est que l’existence d’armes nucléaires, qui peuvent anéantir la civilisation humaine, a radicalement changé l’équation guerre-paix, en particulier dans les cas où une puissance nucléaire est impliquée.
On peut bien sûr arguer que les dirigeants européens sont forts en paroles, mais pas tellement en actes – d’où leur réticence à autoriser l’Ukraine à utiliser des missiles à longue portée, malgré la résolution du Parlement européen et toute la rhétorique enthousiaste. Cependant, l’ambiguïté et les menaces rhétoriques restent dangereuses car elles ouvrent la voie à des incidents militaires qui pourraient avoir de graves conséquences.
Toutes ces discussions sur la guerre, la préparation à la guerre et l’armement pour la guerre ont pour effet de détourner l’attention des nombreuses crises de l’UE et de leurs origines.
Malgré son insistance à défendre les droits de l’homme, la liberté, la démocratie et l’équité, l’UE est essentiellement une organisation néolibérale qui protège les droits des riches à devenir plus riches. La politique économique n’est pas façonnée par le souci de la santé et du bien-être des citoyens européens ordinaires, mais par celui de garantir les profits des entreprises.
C’est pourquoi l’État-providence recule dans toute l’Europe, l’emploi devient de plus en plus précaire et dominé par l’économie des petits boulots, et les prix de l’alimentation, des services publics et du logement sont inabordables pour beaucoup. Les politiques néolibérales extractives de l’UE, sous la forme de divers accords commerciaux avec les pays en développement, ravagent également les économies du Sud et favorisent la migration vers le continent.
Le noyau néolibéral de l’UE est également la raison pour laquelle les dirigeants européens ne parviennent pas à mettre en place une transition écologique juste sans en faire supporter le coût aux citoyens ordinaires.
Le bellicisme, l’armement et la création d’un grand complexe militaro-industriel unifié ne résoudront aucun de ces problèmes. L’UE devrait plutôt revoir ses stratégies politiques, sociales, climatiques et économiques pour se concentrer sur les valeurs sociales, la démocratie participative, le pluralisme, le bien-être, la croissance durable, la paix et la coopération. Cela pourrait signifier le développement d’une nouvelle forme de socialisme pour remplacer le désastre néolibéral actuel et élever toute l’Europe.
Santiago Zabala et Claudio Gallo
Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone
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