En soutien de cette revendication, des exercices conjoints de garde côtes sino-russes ont été signalés.
CNN a rapporté la semaine dernière que “Les garde-côte chinois affirment être entrés dans l’Océan Arctique pour la première fois, alors que le pays continue de resserrer ses liens de sécurité avec la Russie“. Au moment du présent article, ni les garde-côte russes, ni les garde-côte étasuniens n’ont confirmé la présence chinoise en Arctique. CNN a également noté que le rapport émis par TASS sur ce sujet se contente de citer les affirmations des garde-côte chinois sur leur page WeChat. Savoir si les garde-côte chinois sont vraiment entrés en Arctique ou s’ils sont en fait restés en Mer de Bering reste donc discutable.
Cette distinction est importante, car la perception de la tenue récente d’exercices de garde-côte sino-russes en Arctique, même si cela est potentiellement inexact comme l’a justement relevé CNN, pourrait entretenir les tentatives menées par l’Occident pour contenir la Russie sur ce front. Et ce récit apporte également à tort un soutien aux hypothèses artificiellement construites selon lesquelles la Russie serait prête à céder sa souveraineté à la Chine dans cette région après être devenue trop dépendante de celle-ci au cours des deux dernières années, depuis le début de son opération spéciale.
À ce sujet, le lecteur devrait avoir à l’esprit plusieurs lois russes au sujet de son espace maritime en Arctique. Une loi promulguée en 2017 interdit le transport sous pavillon étranger de pétrole, de gaz naturel et de charbon sur la Route Maritime du Nord ; une loi de 2018 stipule que les navires en question devront avoir été fabriqués en Russie. Ces lois ont été complétées en 2022 par une nouvelle loi qui précise que tout navire étranger devra demander une autorisation préalable avant d’emprunter la Route Maritime du Nord, et qu’un seul pourra y passer à la fois. Ces trois lois sont toujours en exercice.
Leur objet est d’assurer que la Russie bénéficie autant que possible de la Route Maritime du Nord et puisse correctement y protéger sa souveraineté. La Chine ne pose aucune menace envers la souveraineté russe, mais autoriser ses navires de guerre à opérer sans limite au sein des eaux territoriales russes pourrait augmenter les chances d’un incident en mer avec ses rivaux occidentaux en Arctique, surtout les États-Unis. Les navires de guerre chinois n’ont en outre aucune raison de “monter” jusqu’en Arctique, car la Russie est plus que capable d’assurer par elle-même sa sécurité sur cette route.
On peut en dire autant des garde-côte chinois, au vu de l’éloignement qui sépare l’Arctique des côtes chinoises, mais il est possible en théorie que les brise-glace chinois qui ont pénétré ces eaux pour la première fois durant l’été puissent se voir escortés par les garde-côte chinois pour ouvrir la voie à des navires commerciaux. Si cela se produit, l’action sera sans doute coordonnée avec la Russie, et s’intégrera dans un signal envoyé à l’Occident, dans la même veine que ce que Nikolai Patrushev, le dirigeant du nouveau Conseil Maritime, avait laissé à penser au cours d’une interview accordée l’été dernier.
Des exercices maritimes formels pourraient être opérés en Océan Arctique pour commencer, ici encore dans l’idée d’envoyer un signal à l’Occident, même si celui-ci est trompeur, car la Chine ne constitue pas une puissance maritime en Arctique et n’est liée par aucun engagement de défense mutuel avec la Russie, contrairement à ce qu’une telle acrobatie pourrait laisser à penser. Ces fausses perceptions pourraient être délibérément envoyées dans le vent comme signal envoyé à l’Occident, malgré la probabilité que celui-ci les exploite en retour pour essayer de contenir la Russie sur ce front.
La Russie pourrait conclure qu’elle ne peut de toutes façons rien faire pour arrêter ces développements, et qu’il est préférable pour elle de les prendre en compte dans son jeu afin de faire croître son soft power dans le Grand Sud, en laissant à penser à ces pays qu’elle et la Chine s’emploient conjointement à contrer l’Occident en Arctique. Mais même dans ce cas, la Russie restera le partenaire dominant à cet égard dans la relation, étant donné son statut de véritable État Arctique, la Chine ne pouvant prétendre qu’à un soi-disant statut de “proximité de l’Arctique”.
La politique de la Chine a pour objet de s’assurer de disposer d’un siège à la table des discussions multilatérales au sujet de ces eaux, qu’elle envisage d’utiliser pour accroître le commerce qu’elle pratique avec l’Europe au travers de la Route Maritime du Nord. Il s’agit de l’évolution naturelle de son désir de jouer un rôle plus important dans la gouvernance mondiale en général, et spécifiquement sur toutes les frontières en émergence, comme l’Arctique, l’intelligence artificielle, le changement climatique, etc. Les exercices que mènent dans ces eaux les garde-côte chinois avec leurs homologues russes, même s’ils ne sont pratiqués que dans la Mer de Bering, renforcent cette revendication d’“État proche de l’Arctique”.
La Russie appuie tacitement ces revendications, comme le prouve ce qui précède, mais il est difficile de savoir si elle accueille bien l’idée d’un rôle joué par la Chine dans la gouvernance de l’Arctique, que la Russie est réticente à internationaliser, de crainte que cela puisse réduire la souveraineté qu’elle a écrite dans ses lois concernant la zone. Tous les pays veulent faire baisser les coûts du commerce, ce qui justifie la volonté chinoise de voir ses propres navires de gaz naturel, de pétrole et de charbon traverser la Route Maritime du Nord au lieu d’avoir à contracter avec ceux de la Russie pour y passer.
Pour éviter toute incompréhension, nous n’affirmons rien au sujet d’un problème possible au sein du partenariat stratégique entre les deux pays à cause de ce sujet, car les deux pays ont des différends naturels à cet égard ; jusqu’ici ces différends ont été gérés de manière responsable, et il n’existe aucune raison de voir cela changer. La coopération sino-russe en Arctique est indiscutablement sur une voie de continuation, y compris dans la dimension de la sécurité. Il faut s’attendre à voir une coopération en matière d’énergie et de logistique mener cette tendance.
Andrew Korybko est un analyste politique étasunien, établi à Moscou, spécialisé dans les relations entre la stratégie étasunienne en Afrique et en Eurasie, les nouvelles Routes de la soie chinoises, et la Guerre hybride.
Traduit par José Martí, relu par Wayan, pour le Saker Francophone
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