C’est un désastre qui se prépare depuis 80 ans. À la fin de la Seconde Guerre mondiale, les États-Unis étaient pratiquement seuls en tant que puissance économique. Représentant 50 % du PIB mondial, ils détenaient 80 % des réserves mondiales de devises fortes. En 2024, la part des États-Unis dans l’économie mondiale est tombée à 14,76 % (chiffre calculé à partir des données fournies par la Banque mondiale et le Fonds monétaire international).
Mais même ce chiffre est trompeur, car 20 % de l’économie américaine est constituée de ce que l’on appelle par l’acronyme FIRE (Finance, Insurance, Real Estate) : finance, assurance et immobilier. Ce sont des parasites improductifs de l’économie productive. Les soins de santé sont un autre parasite improductif : ridiculement surévalués, ils représentent près d’un quart de toutes les dépenses aux États-Unis. Ni les ressources consommées par l’industrie FIRE, ni les dépenses de santé ne contribuent beaucoup à la position des États-Unis dans l’économie mondiale.
Si l’on tient compte de ces éléments, la part des États-Unis dans l’économie mondiale se réduit à un peu plus de 8 %. Bien qu’elle soit loin d’être négligeable, cette part est loin d’être suffisante pour donner aux États-Unis une majorité de voix ou un droit de veto dans les affaires mondiales. La tragédie de cette situation est que l’état d’esprit des Américains, en particulier de ceux qui occupent des postes à responsabilité à Washington, n’a pas été en mesure de s’adapter à cette évolution. Leur mentalité semble figée pour toujours : ils croient qu’ils peuvent encore dicter leurs conditions au monde entier et ils ont de plus en plus de mal à dissimuler le fait que la quasi-totalité du monde (à quelques exceptions notables près) se sent désormais libre de les ignorer.
Dès le lendemain de la Seconde Guerre mondiale, alors qu’une grande partie de l’industrie mondiale était en ruine, les États-Unis ont pu utiliser leur puissance industrielle, soutenue par leur puissance militaire, pour faire pencher la balance économique en leur faveur. Le dollar américain étant la principale monnaie utilisée dans le commerce international et, surtout, dans le commerce du pétrole, les États-Unis ont pu maintenir une mainmise sur la finance et le commerce internationaux en resserrant et en relâchant alternativement l’offre de dollars. Alors qu’il était initialement possible d’échanger des dollars contre de l’or, cette option a été supprimée en 1971. En 1986, les États-Unis sont passés du statut de créancier net (position qu’ils occupaient depuis 1914) à celui de débiteur net, faisant de leur capacité à emprunter au reste du monde dans leur propre monnaie une question de survie. Dans le même temps, la part décroissante des États-Unis dans l’économie mondiale a réduit l’efficacité de la guerre financière américaine, déplaçant inévitablement l’accent sur la guerre proprement dite. Le maintien de leur capacité d’emprunt sans restriction, ainsi que de la valeur du dollar américain, a été rendu possible par des moyens de plus en plus oppressifs et violents, ce qui a valu aux États-Unis le titre d’« empire du chaos ».
À partir des attaques terroristes mises en scène le 11 septembre 2001, les États-Unis ont tenté de libérer leur puissance militaire dans une « guerre contre le terrorisme » inventée de toutes pièces, afin de terrifier suffisamment leurs adversaires pour faire à nouveau pencher la balance en leur faveur. Cette mission n’a pas été couronnée de succès. Voici une citation du Monde Diplomatique, décrivant quelques-uns de leurs succès.
Depuis l’invasion de l’Afghanistan en octobre 2001, tout ce que l’armée américaine a touché au cours de ces années s’est transformé en poussière. Les nations du Grand Moyen-Orient et d’Afrique se sont effondrées sous le poids des interventions américaines ou de celles de leurs alliés, et les mouvements terroristes, plus sinistres les uns que les autres, se sont répandus de manière remarquablement incontrôlée. L’Afghanistan est aujourd’hui une zone sinistrée ; le Yémen, ravagé par une guerre civile, une campagne aérienne saoudienne brutale soutenue par les États-Unis et divers groupes terroristes, n’existe pratiquement plus ; l’Irak, au mieux, est une nation sectaire déchirée ; la Syrie existe à peine ; la Libye, elle aussi, est à peine un État de nos jours ; et la Somalie est un ensemble de fiefs et de mouvements terroristes. Dans l’ensemble, c’est un sacré bilan pour la plus grande puissance de la planète, qui, d’une manière nettement non impériale, a été incapable d’imposer sa volonté militaire ou un ordre quelconque à un État ou même à un groupe, quel que soit l’endroit où elle a choisi d’agir au cours de ces années. Il est difficile de trouver un précédent historique à cela.
Ce qui est remarquable dans cette citation, c’est ce qu’elle omet : le fait que les États-Unis n’ont même pas réussi à provoquer le chaos. La plupart des nations du Moyen-Orient et d’Afrique (à l’exception d’Israël/Palestine et du Liban) sont au moins superficiellement stables ; l’Afghanistan se porte beaucoup mieux sous le règne des talibans et élabore de vastes plans de développement avec la Chine et la Russie ; l’Irak est faible mais allié à l’Iran ; la Syrie ne s’est pas effondrée et contrôle à nouveau une grande partie de son territoire. Mais la conclusion est correcte, et étrange : les États-Unis ont même échoué à imposer le chaos.
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