Un siècle s’était écoulé depuis la mort de l’Occident. La chute fut bien plus brutale qu’on ne l’avait imaginée. La décadence avait enfin achevé son œuvre. Les structures technocratiques avaient empli des tomes de normes par tonnes, vautrées dans des orgies de lois toujours plus dures, toujours plus strictes et toujours plus désastreuses pour les peuples, tandis qu’en leur intérieur creux, avait proliféré le pourrissement sur le stupre des élites consanguines.
Puis, de ces édits déments, plus personne n’eut plus rien à foutre...
Les petits chefs disparurent, vous les connaissez bien, amis du passé, il s‘agit de ceux dont l’unique horizon se bornait à emplir les rangs des armées de larbins déments de la Machine collectiviste, à servir le Procuste fou qui coupait les têtes des géants pour les agrafer sous les pieds des nains. Puisque s’évanouissait la main corrompue qui les protégeait des conséquences de leur cruauté, et puisque bien sûr ils étaient lâches, ils s’enfuirent prestement, et disparurent. Si bien qu’explosa le génie latent de l’Humanité bâillonnée, son feu sacré, son Souffle. On put enfin œuvrer sans avoir par dépit à imiter le vide de ses semblables réifiés. Lorsque le secret d’État s’évanouit, furent libérées d’un même coup les découvertes extraordinaires qu’une foule d’inventeurs formidables avaient eu à taire de leur vivant, avant de mourir de circonstances inexpliquées ou de coïncidences.
Parmi elles, la recette de l’antigravité. Et l’Humanité explosa, littéralement, elle explosa. Un siècle après la mort de l’Occident, à nouveau gorgés de vie et avides de ravissement, des couples de Pères et de Mères commencèrent à peupler l’Univers, construisant des châteaux de cristal en colliers de perles de lumière autour de Soleils jaunes, rouges ou bleus. D’autre, encore, bâtirent leur maison sur le sol ferme quoique étrange d’astres dont la beauté splendide inspirait chaque nouvelle aube ce vieux poète bavard qui occupe l’âme de chacun d’entre nous.
Et l’Homme, seul enfant de la Terre en capacité de vaincre la gravité, de gagner l’espace et d’essaimer l’Univers, l’Homme, donc, emmena avec lui toute la diversité de la Vie elle-même. Ainsi, la Vie elle aussi, évidemment, explosa. On planta partout, on fit prospérer sur les sols les plus arides du Cosmos, arbres, buissons, animaux, fleurs et insectes, et on peupla les silences interstellaires de chants de baleines et de pépiement d’oiseaux. Alors que le spectre de chaque étoile s’enrichissait des couleurs de l’écopoïèse, l’Homme devint le Jardinier, le gamète de la planète Terre.
Quant à la Terre, Ô la Terre, berceau du désir irrésistible de mouvement et de liberté qu’est la Vie, elle redevint cet Eden qui précéda la Machine collectiviste. Il y resta ceux d’entre nous qui voulaient vivre nus sur ce sol riche de millions d’années d’humus et de millénaires – tout de même ! – d’Histoire et de culture. Ils restèrent, et nettoyèrent le saccage laissé par la Machine. Un pas dans la Tradition, un pas dans la Transcendance, se permettant même parfois d’être un peu hippies, ils curèrent, soignèrent et guérirent les forêts meurtries ainsi que les océans empoisonnés.
La connaissance, quant à elle, bien sûr, elle explosa. Elle progressa vite, plus vite, trop vite pour qu’on ne puisse se mettre à la compter, à tenter de la dompter en l’étranglant de force entre les barreaux d’une échelle de critères, si bien que disparurent les comptables de tout, ces adorateurs du découpage du monde en une matrice de néant, ces imbéciles qui n’ont jamais compris qu’on ne peut pas compter ce qu’on ne sait réduire en chiffre. Il n’y eut bientôt plus d’autre université que celle de sa propre famille, du compagnonnage et du mentorat, et de la Vie elle-même, et on ne cessait d’apprendre à chaque nouvelle souffle, et l’Univers était si grand, et il était si surprenant, et l’Homme ne pouvait faire autrement que rester humble devant lui, si bien qu’il ne fut plus possible de trouver le moindre sens à ce bout de papier qu’auparavant on appelait diplôme.
Sans sabotage mental de la part de ces bourreaux de camp de concentration de la pensée que sont les professeurs diplômés, syndiqués et fanatisés, les Cultures purent se développer, croître et évoluer à leur rythme, et parfois aussi vite qu’elles le purent. Débarrassée de la vie notée et de cette existence réduite à une procédure d’escalade d’une hiérarchie tout droit vers l’abîme, l’Humanité eut la liberté de lever les yeux. La place était si vaste, et l’expansion si forte, que les Nations purent prospérer sans que ne se développe jamais un centre impérial suffisamment puissant pour les dominer tous, par la force ou par la corruption. La philosophie, les religions, et la spiritualité, purent osciller librement entre les dogmes et les schismes, les querelles profondes ou la pratique simple et humble, mais ne cessant jamais plus de chercher partout ce sens profond du divin qui meut les profondeurs du silence émouvant qui vibre au cœur du ventre de chacun d’entre nous.
Quant à l’Art, devinez, il explosa ! Si vite, si grand, si fort que nul critique ne put suivre son rythme et encore moins l’enfermer dans les cases des formulaires des rentes subventionnées. On jeta les étiquettes, on les oublia, on abandonna l’idée même de violer chaque œuvre en la marquant au fer rouge de la griffe tarifée d’une classification spécieuse. Nulle école ne réussit plus à oppresser la créativité humaine en la casant de force entre les sillons des coteries murmurantes. Demain, bientôt, un jour, dans deux ou trois éternités peut-être, chaque étoile de l’Univers chantera de milliards de voix portées par les photons ardents. Et ce seront des symphonies célestes, des opéras en cent temps célébrant, sans fin, la quête éternelle du Beau et du Sens, des émotions exacerbées, du Vivant, des Larmes, belles, et de la belle Joie.
Le monde infect de la Machine qui nous avait précédé se montra le terreau le plus fertile qui soit. Prenez courage, chers amis, car cette chute qui s’amorce, elle n’est que le prélude à tout ce qui vient de bien.
Laurent Gauthier
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