L’État est pourtant monté au créneau depuis 2022, affichant sa volonté de muscler des moyens français aux faiblesses connues de longue date. Un dossier porté directement par Emmanuel Macron l’an dernier, qui avait multiplié les annonces lors d’une visite à l’aérodrome de Nîmes-Garons (Gard). Un contrat d’acquisition de deux nouveaux Canadair de nouvelle génération – des DHC 515 – a en particulier été signé le lundi 12 août par Gérald Darmanin, ministre démissionnaire de l’Intérieur et des Outre-Mer. Une acquisition d’une valeur de 100 millions d’euros (hors droits de douane et prix des pièces de rechange).
De nouveaux Canadair qui se font attendre
Mais il va falloir attendre avant de pouvoir en faire usage : ils ne devraient être livrés qu’en 2028 et non en 2027 comme annoncé l’an dernier.
Deux autres Canadair devraient être bientôt acquis par la France, sans qu’aucune échéance n’ait été précisée, soit un total de quatre nouveaux engins. Des achats qui s’effectuent dans le cadre du programme européen de coopération RescEU, prévoyant une commande totale de 12 appareils, financés par la Commission européenne. «Nous n’attendons pas les nouveaux appareils avant 2030», tranche Thierry Loine.Il faut dire qu’aucun DHC 515 n’est pour l’heure sorti d’usine : le canadien De Havilland Canada, a cessé de produire les historiques Canadairs – les CL-415 – en 2015. Et peine à enclencher l’assemblage des nouveaux appareils, préférant amasser un certain nombre de commandes avant de réinvestir pour de bon dans ce programme réanimé en 2018. «L'industriel a mis du temps à accepter de relancer sa chaîne», confiait l’an dernier à L’Usine Nouvelle Adeline Savy, alors chef du groupement des moyens aériens à la direction générale de la sécurité civile et de la gestion des crises (DGSCGC).
Un taux de disponibilité en berne
Pourquoi une telle urgence à acquérir ces appareils pour la France ? Sur le papier, la France semble plutôt bien dotée. Sa flotte de moyens aéroportés compte 12 Canadairs CL-415, qui ont pour mission d’assurer les attaques massives contre les incendies, mais aussi 8 Dash 8, chargés du gué aérien et du largage de retardant. S'y ajoute enfin trois Beechcraft assurant la coordination et la surveillance. L’État peut également faire appel à des appareils en location, tels que des Dash 8, des Air Tractor ainsi que des hélicoptères. Mais aucun de ces aéronefs ne peut rivaliser avec les performances des Canadair, notamment face aux méga feux.
Or sur le terrain, les Canadair ne répondent que très partiellement présents. Le SNPNAC et la CGT du Service départemental d'incendie et de secours (SDIS) évoquaient même fin juillet «un record battu» cette année. Début juin la disponibilité des Canadairs oscillait entre 0 et 2 appareils, précise-t-on au sein du syndicat. Fin juillet, entre 6 à 8 avions était disponibles. «Aujourd’hui, nous avons environ sept appareils en état de voler, précise Thierry Loine. Heureusement, la saison des feux est bien moins importante cette année qu’elle ne l’avait été en 2022. Mais le manque de disponibilité de nos Canadair pourrait avoir de graves conséquences dans les prochaines années.»
Une maintenance pointée du doigt
Comment expliquer cette insuffisance aggravée de Canadair opérationnels ? Sur les 12 appareils, trois sont inutilisables, en raison notamment du besoin d'une rénovation complète de l’avionique pour l’un et d’une déformation de la coque pour un autre restant irrésolue. Surtout, c’est le maintien en condition opérationnelle qui fait défaut. «Nous constatons que l’entreprise en charge de la maintenance des appareils n’est pas capable de respecter le contrat passé avec l’État», assure Thierry Loine.
La société en cause est le français Sabena Technics, basé à Saint-Gilles (Gard), au niveau de l’aérodrome de Nîmes-Garons, où sont opérés les Canadair. Le SNPNAC pointe du doigt le manque d’effectifs au sein de cette société, qui dû faire face par ailleurs à un mouvement de grève au printemps dernier. «L’entreprise avait-t-elle vraiment les reins assez solides pour y répondre, s’interroge Thierry Loine. Ce contrat n’était-il pas trop ambitieux au vu des capacités réelles de cette entreprise ?» Sollicitée à plusieurs reprises, Sabena Technics n'a pas souhaité répondre à nos questions.
Des opérations de maintenance cruciales au vu de ce qu’endurent les avions en opération, entre chocs sur l’eau et coups de chaleur. Et d’autant plus nécessaires que ceux-ci sont de plus en plus vétustes. Une problématique bien connue, dévoilée notamment par la Cour des comptes et un rapport sénatorial : nombre des Canadair français ont plus de 25 ans. «Il y a des pannes récurrentes, en particulier au niveau du système de largage d’eau, assène Thierry Loine. Nous devons faire du rafistolage après chaque panne. Et il faut réitérer l’opération après deux ou trois vols.»
Un renouvellement de la flotte en attente
La maintenance est rendue d’autant plus délicate que les pièces de rechange se font rares en raison de l’arrêt de la production de l’appareil. «Des discussions sont en cours avec Sabena Technics pour améliorer la situation», souligne-t-on à la DGSCGC. Même son de cloche au niveau du ministère de l’Intérieur : «Il a pu y avoir des moments de crispation, mais les boulons ont été resserrés pour que la disponibilité des Canadair soit meilleure». Le manque de disponibilité des appareils affectent également la formation des pilotes.
Quant au renouvellement des 12 Canadairs actuels, aussi évoqué par la sécurité civile, elle semble pour le moment au point mort. «Pour pallier le déficit d’appareils, nous payons à prix d’or des moyens privés, des Air Tractor et des hélicoptères lourds, déplore Thierry Loine. Nous avons donc aujourd’hui plus de moyens privés mis en œuvre payés par l’État que de moyens étatiques. C’est une hérésie.» Entre la production encore inexistante de Canadair de nouvelle génération et l’absence pour l’heure de réelle alternative, les pilotes vont devoir encore compter un certain temps sur leurs vieux coucous.
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