Selon la dernière version israélienne, l’Iran n’arrive pas à se décider à riposter à l’assassinat du chef du Hamas, Ismail Haniyeh, le 28 juillet, alors qu’il était en visite à Téhéran pour l’investiture du président Masoud Pezeshkian.
L’hypothèse est qu’il doit y avoir un conflit entre Pezeshkian et les partisans de la ligne dure du Corps des gardiens de la révolution islamique (CGRI), le nouveau président s’opposant à toute stratégie agressive à l’égard d’Israël.
À première vue, il s’agit d’une interprétation ridicule. Mais l’Iran l’a néanmoins réfutée, le ministre des affaires étrangères par intérim, Ali Bagheri Kani, déclarant pas plus tard que samedi soir que Téhéran “fera payer au régime israélien agresseur le prix de son agression par une action légitime et décisive“. Des mots soigneusement choisis.
Mais comment se fait-il que l’Iran n’ait pas agi depuis quinze jours déjà ? Plusieurs facteurs entrent en jeu. Tout d’abord, Pezeshkian n’a pas encore formé son gouvernement. Ce n’est qu’hier qu’il a soumis sa liste de ministres proposés à l’approbation du Parlement. La branche exécutive du gouvernement continue de fonctionner au jour le jour.
Néanmoins, selon les médias russes, Pezeshkian a parlé d’une riposte iranienne contre Israël lors d’une réunion avec le secrétaire du Conseil de sécurité russe, Sergei Shoigu, en visite à Téhéran le 5 juillet.
Cela dit, il ne faut pas exclure la possibilité d’un certain calibrage du calendrier. Après tout, Israël est en proie à la panique et des rapports indiquent que les gens restent éveillés la nuit par crainte d’une attaque iranienne. Selon l’IRNA, le Premier ministre Benjamin Netanyahu, malgré toute sa bravade, a évacué quatre des principales bases de renseignement et de sécurité d’Israël à Tel-Aviv.
Deuxièmement, l’Iran ne jouera pas le rôle de “trouble-fête” alors que les États de la région et les États-Unis font tout pour reprendre le fil des négociations sur le cessez-le-feu à Gaza entre le Hamas et Israël. Le fait qu’Israël ait accepté les pourparlers jeudi suggère que Netanyahou voit également des avantages à revenir à la table des négociations.
Bien entendu, l’Iran évaluera également avec soin l’ampleur de son attaque contre Israël. Après tout, Haniyeh a été tué lors d’une opération secrète qui n’a fait aucune victime iranienne.
Toutefois, l’élément décisif sera l’évolution des négociations à venir. L’Iran pourrait tout à fait reporter l’opération si la partie israélienne donne des garanties lors des pourparlers de ne pas envahir le Liban et de retirer ses troupes de la bande de Gaza.
Téhéran pourrait éventuellement reconsidérer sa position si un changement radical se produisait dans la situation de la région à la suite de la conclusion d’une trêve entre le Hamas et Israël. Les attentes sont grandes. Et, ne nous leurrons pas, Téhéran est beaucoup plus proche de Yahya Sinwar que de Haniyeh.
C’est pourquoi les enjeux diplomatiques de cette semaine, qui mènent aux pourparlers prévus jeudi pour obtenir un accord sur les otages et le cessez-le-feu à Gaza, deviennent un point d’inflexion.
La mission iranienne auprès des Nations unies à New York a déclaré vendredi : “Notre priorité est d’établir un cessez-le-feu durable à Gaza. Tout accord accepté par le Hamas sera également reconnu par nous“. Le communiqué réaffirme le droit de l’Iran à l’autodéfense contre Israël, mais ajoute : “Nous espérons toutefois que notre réponse sera programmée et conduite de manière à ne pas nuire à l’éventuel cessez-le-feu“.
Téhéran est parfaitement conscient que l’issue des pourparlers entre le Hamas et Israël (avec la participation du directeur de la CIA, William Burns) en ce qui concerne la libération des otages américains constitue l’héritage présidentiel de Joe Biden, tout autant qu’elle peut améliorer les perspectives de la candidate du parti Démocrate Kamala Harris aux élections de novembre.
La Jordanie joue le rôle d’intermédiaire pour permettre à Washington et à Téhéran de se sensibiliser mutuellement à leurs frontières problématiques respectives. Le ministre jordanien des affaires étrangères, Ayman Safadi, s’est rendu à Téhéran le 4 août pour s’entretenir avec Ali Bagheri. Ils se sont à nouveau rencontrés en marge de la réunion extraordinaire de l’OCI à Djeddah le 7 août (qui a d’ailleurs été un coup diplomatique pour Téhéran.) Entre-temps, Joe Biden s’est entretenu avec le roi Abdallah de Jordanie.
Le communiqué de la Maison Blanche indique que Biden et Abdullah “ont discuté de leurs efforts pour désamorcer les tensions régionales, notamment par le biais d’un cessez-le-feu immédiat et d’un accord de libération des otages. Le président a remercié Sa Majesté pour son amitié et a affirmé le soutien indéfectible des États-Unis à la Jordanie en tant que partenaire et allié dans la promotion de la paix et de la sécurité régionales“.
Pendant ce temps, Joe Biden utilise tous les moyens à sa disposition pour modérer l’attaque de l’Iran contre Israël. Les Américains se sont également ouvertement désolidarisés de l’assassinat de Haniyeh. Ils auraient fait savoir à Téhéran qu’une escalade comportait le risque d’un conflit entre les États-Unis et l’Iran, ce qui est évitable.
Enfin, dans l’éventail des discours sur les représailles de l’Iran, on oublie généralement que les Iraniens ont invariablement une stratégie, contrairement aux Israéliens qui ont recours à des réactions spontanées. C’est pourquoi il est important d’avoir une vue d’ensemble.
L’Iran ne cherche pas la guerre, d’autant plus qu’il a très bien réussi jusqu’à présent à limiter les pertes et à retourner la situation contre Israël de manière rentable. L’image internationale d’Israël est dans la boue et toute l’eau douce de la mer de Galilée ne suffira pas à la laver.
La priorité numéro un de l’Iran sera d’obtenir la levée des sanctions occidentales. L’accord entre le Guide suprême Khamenei et Pezeshkian se résume essentiellement à améliorer l’économie en se débarrassant des sanctions et en permettant à l’Iran d’occuper la place qui lui revient dans l’ordre international en utilisant ses vastes ressources de manière optimale.
Toutes les déclarations importantes de Pezeshkian ont montré qu’il donnait la priorité aux relations de l’Iran avec l’Occident. De toute évidence, Pezeshkian marche sur une corde raide, comme le montre l’annonce par Javad Zarif de sa démission du poste d’adjoint du président pour les affaires stratégiques. Zarif serait en effet mécontent que le comité directeur chargé de la sélection des candidats n’ait retenu que trois noms sur les 19 qu’il avait proposés pour les postes ministériels !
Quoi qu’il en soit, Abbas Araghchi, présenté comme le nouveau ministre des affaires étrangères, a été pendant 8 ans l’adjoint de Zarif sous la présidence de Hassan Rouhani, jouant un rôle clé dans les négociations nucléaires (JCPOA) avec l’administration Obama. Les puissances européennes considèrent Araghchi comme un “modéré“. En effet, il est un interlocuteur efficace pour Téhéran dans les capitales occidentales – et c’est le signal le plus clair jusqu’à présent que la trajectoire de la politique étrangère de l’Iran penche vers un engagement constructif avec l’Occident.
Une pensée intelligente implique que le cerveau prenne le pas sur les muscles. C’est là que l’Iran l’emporte sur les sionistes purs et durs de Tel-Aviv, qui se complaisent encore dans la culture de la Nakba.
L’Iran a très tôt estimé que les contradictions étaient inévitables dans les équations Biden-Netanyahou après le 7 octobre et que l’agenda du Grand Israël et la stratégie indo-pacifique des États-Unis allaient dans des directions opposées.
De même, l’Iran a tiré les bonnes conclusions de l’impasse d’avril, au cours de laquelle il a démontré sa formidable capacité militaire à infliger des souffrances à Israël, tout en incitant les États-Unis à convaincre ce dernier de ne pas réagir ! Dans toute la chronique du tango américano-iranien depuis 1979, une telle chose ne s’était jamais produite auparavant.
Pourquoi Téhéran renoncerait-il à cette voie menant à la roseraie ? Certes, Téhéran infligera à Israël des souffrances encore plus grandes qu’en avril. Mais, fondamentalement, le gorille de 400 Kg de Tel-Aviv doit être dompté par un savant mélange de puissance dure et douce – et cela implique également l’Occident. À cette fin, l’Iran se restreindra et restera un État au seuil du nucléaire.
M.K. Bhadrakumar
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