Tyler Durden développe dans ‘ZeroHedge.com’ un article assez curieusement développé, nous dirions avec prudence et circonspection, – ou plutôt “avec discrétion”. Cette curieuse particularité pour un événement qu’on doit qualifier d’“historique” renvoie également à ceux qui en sont la cause : les Houthis. On en parle parce que, la semaine dernière une attaque du pétrolier MV ‘Sounion’ battant pavillon grec subissait une attaque houthie à environ 77 miles nautiques à l'ouest du port yéménite de Hodeidah, l’affaire aboutissant à une explosion massive et à une catastrophe environnementale potentielle.
Durden commence son article par une sorte de paragraphe en guise de ‘chapô’ où il expose simplement qu’un événement effectivement historique est en train de se produire, essentiellement sous l’action des Houthis.
« L'Occident est confronté à de graves conséquences si l'agression des Houthis soutenue par l'Iran dans le sud de la mer Rouge persiste. Au-delà de la menace d'inflation intermédiaire causée par les perturbations du transport maritime et la montée en flèche des tarifs des conteneurs en raison du détournement des navires marchands autour du cap de Bonne-Espérance en Afrique, le jeu à long terme est encore plus inquiétant : la “crédibilité et la dissuasion” de l'Amérique s'érodent rapidement. Cette faiblesse perçue pourrait encourager la Chine à aggraver les conflits en mer de Chine méridionale, sentant un Occident affaibli s'empêtrer de plus en plus dans de multiples conflits, notamment ceux en Ukraine et au Moyen-Orient. »
Pour substantiver cette perception et le constat qui en découle, Durden s’appuie notamment sur quelques remarques de Erik Prince, un ancien soldat des SEAL (commandos spéciaux) de l’US Navy et le fondateur de Blackwater. Prince en dit quelques mots sur un message de tweeterX en commentaire de cette récente attaque et la destruction du ‘Sounion’ (transportant quatre fois le chargement de brut de l’‘Exxon Valdez’ de 1989, soit 150 000 tonnes) par les Houthis... Ceci pourrait être la réflexion d’un vieil écologiste d’un autre temps où nous ne nous intéressions pas du sort de toute la planète, sinon du système solaire lui-même. Mais il s’agit de la Mer Rouge, loin de chez nous, et au fond, écologiquement, tout le monde s’en fout.
Selon Prince, qui juge l’occasion idéale de se faire une vertu à bon compte tout en dispensant ses avertissements de bon petit soldat du complexe militaro-industriel :
« Où est l'indignation légitime des écologistes ? Des milliers de tonnes de pétrole brut vont maintenant se déverser dans la mer Rouge. [...]
» C'est un signe clair de l'effondrement de la crédibilité et de la dissuasion américaines. Laisser les Houthis, mandataires de l'Iran, fermer une voie maritime majeure est un échec cuisant.
» L'Amérique peut et doit faire mieux ! Le leadership est important. »
On comparera l’alarme d’Erik Prince au peu de place accordé dans les canaux d’information à cet affrontement. Pourtant, il s’agit d’un enjeu extrêmement important qui était déjà évident lorsque le contre-amiral Marc Miquez, commandant le détachement naval allié déployé pour tenter d’assurer la sécurité de la zone, faisait il y a un mois et demi la constatation étonnante qu’il s’agit du plus dur engagement pour l’US Navy depuis la bataille d’Okinawa en avril 1945. Ainsi s’exprimaient Miquez et les experts de la Navy :
« La marine américaine s'est préparée pendant des décennies à combattre l'Union soviétique, puis la Russie et la Chine, sur les voies navigables du monde. Mais au lieu d'une puissance mondiale, elle s'est retrouvée aux prises avec un groupe rebelle obscur soutenu par l'Iran et basé au Yémen.
» La campagne menée par les États-Unis contre les rebelles houthis, éclipsée par la guerre entre Israël et le Hamas dans la bande de Gaza, s'est transformée en la plus intense bataille navale en cours à laquelle la marine ait été confrontée depuis la Seconde Guerre mondiale, ont déclaré ses dirigeants et ses experts à l'Associated Press. » [...]
« ... Le conflit avec les Houthis est en train de pousser l’US Navy vers un point de rupture dans sa capacité d’intervention »,
Et nous commentions pour notre part cette étrange occurrence historique :
« Autre étrangeté historique : la guerre navale du Pacifique s’est terminée par la terrible campagne (avril-mai 1945) autour de l’île d’Okinawa, théâtre d’une bataille terrestre sanglante des Marines, – autour de laquelle, justement, l’US Navy d’alors fut confrontée à la plus puissante attaque de kamikaze japonais de la guerre.
» ... Donc, les kamikaze des Houthis de 2024 retrouvant la même intensité de guerre navale que les kamikaze japonais de 1945 !... »
Il s’agit donc très certainement d’un événement militaire très important, qui met en cause la capacité de l’US Navy d’assurer la sécurité des voies maritimes essentielles pour la circulation des échanges. La campagne des Houthis n’a pourtant commencé qu’en novembre 2023, mais elle est pratiquement passée sous silence parce que dans la région toute l’attention est captée par les événements impliquant directement Israël, et qu’elle n’est pas vraiment très glorieuse pour la puissance militaire des USA, et notamment la toute-puissante US Navy.
Pauvre Gulliver empêtréDurden s’attache en fin de son commentaire à envisager cette difficile situation en Mer Rouge dans un cadre stratégique beaucoup plus large. Il a été très largement inspiré par Prince et son entourage, qui en profitent pour qualifier d’une façon exquise qui sera appréciée si elle est notée que les “principaux dirigeants européens” (les plus américanistes-occidentalistes, sans nul doute) sont “d’extrême-gauche”...
« Pourquoi l’échec de l’opération militaire de liberté de navigation en mer Rouge menée par l’administration Biden-Harris est-il significatif ? Parce qu’il met en évidence l’extrême faiblesse de la première superpuissance mondiale, empêtrée dans des conflits en Europe de l’Est, au Moyen-Orient et en mer Rouge. Tout cela expose Biden et d’autres dirigeants occidentaux d’extrême gauche qui sont extraordinairement faibles. Cette vulnérabilité perçue pourrait désormais accélérer la possibilité d’une confrontation majeure entre les États-Unis et la Chine en mer de Chine méridionale.
» Ces derniers mois, les responsables militaires et les experts se sont concentrés sur l’aggravation des risques de troisième guerre mondiale en mer de Chine méridionale en se concentrant sur les affrontements entre navires chinois et philippins. [Encore un le 19 août.]
» Les États-Unis étant obligés de défendre les Philippines si la Chine attaque l'armée philippine, Pékin considère que l'Occident s'enlise dans de multiples conflits comme un signe de faiblesse majeure. En conséquence, les risques de conflit armé en mer de Chine méridionale augmentent. »
Tout cela n’est pas faux quant aux faits objectifs, mais bien plié dans le sens de la vertu américaniste d’agression constante pour le bon droit lorsque l’on passe à l’analyse des politiques et des comportements. Enfin, passons, – pour nous attacher à cette remarque du nombre extrême et de l’extrême dispersion des conflits hybrides. Nous parlons de ces conflits si nombreux où les USA sont plus ou moins indirectement impliqués, mais suffisamment pour se saigner les quatre veines au niveau de leur production étique des matériels militaires, du nombre et de l’efficacité des forces, donc d’être partout en sur-extension et nulle part en position décisive ou même confortable, – tout cela donnant l’impression frappante d’une extrême faiblesse (« Pékin considère l’enlisement de l'Occident dans de multiples conflits comme un signe de faiblesse majeure. »)
Les stratèges US, cadenassés dans leur pathologie de l’hubris inversé en paranoïa d’ennemis ne pensant qu’à l’agression, font de cette situation un danger mortel contre l’Amérique, contre lequel l’Amérique ne peut rien, – sinon continuer à s’enliser un peu plus dans d’autres conflits hybrides pour pouvoir plus encore s’effrayer de dangers terribles qu’elle voit partout. Stratégie ? Sans aucun doute, la stratégie d’une grave déficience psychologique complètement investie par la paranoïa de l’hubris positif (le sien) et négatif (celui des autres). Tout cela, sans espoir bien sûr d’un redressement réel qui passerait par la destruction des autres, et toute réflexion sérieuse est vite faite pour atteindre à la même conclusion catastrophique.
Ce qui est plus intéressant et plus fécond concerne bien sûr le conflit que mènent les Houthis soumettant l’US Navy au calvaire d’un revers permanent. Plusieurs caractéristiques font de ce “conflit” tout ce qu’on veut sauf un conflit et une sorte de “guerre” qui, si elle n’en pas une bien entendu, relègue toutes les autres au rang d’accessoires luxueux.
• La première caractéristique est que des “barbares” (l’Iran, la Corée du Nord, et même la Russie et la Chine) parviennent à produire des armements avancés, pragmatiques plutôt que sophistiqués, incroyablement rentables militairement et économiquement. Ils n’hésitent pas à les distribuer à leurs alliés utiles, en général des “hyper-barbares” du type-Houthis.
• Il n’y a aucune limite à leur utilisation et leur efficacité parce que leurs usagers n’ont aucune intention conquérante mais une volonté de “défense active”, sinon une “défense agressive” (comme les Russes contre les Ukrainiens, c’est-à-dire contre l’OTAN). Cela leur permet d’agir à partir de leurs territoires qui sont l’objet d’agressions des “civilisés”, – si possible des territoires compliqués, sans rapport avec New York ou Hollywood, – aux moindres frais et selon des circonstances et une chronologie de leur choix.
• Plus encore, – et c’est une nouveauté bien que ses préoccupations aient toujours existé, – les “civilisés” sont soumis au supplice des grands experts économiques : utiliser sans espoir de retour des Cadillac pour écraser divers modèles de ‘Dinky Toys’ faisant du hors-piste dans les déserts montagneux ; – utiliser un missile mer-air Standard SN-6 de 2-4 $millions de dollars depuis une frégate AEGIS pour détruire un drone à $8000.
• Ces guerres deviennent pour les “civilisés” des guerres comptables extrêmement coûteuses pour une comptabilité au bord de la faillite, auxquelles il faut ajouter les difficultés d’approvisionnement pour des engins comme les missiles de défense aérienne modernes et tout leur environnement. Face aux Houthis, des navires US ont dû regagner à grande vitesse une de leurs bases navales où ils pouvaient trouver des réserves d’un matériel qui, par ailleurs, se fait rare, – l’Ukraine et Israël aidant.
... Une sorte de guerre hybride-comptable par conséquent, où les folies du capitalisme (la super-technologie et l’impérialisme) donnent quelques coups de pelle vigoureux pour aider à son propre enterrement. Les stratèges ne l’ont pas encore réalisé parce que la presseSystème s’intéresse beaucoup plus à l’intelligence hors-norme de madame Harris et à la vista stratégique des Zelenski et autres Netanyahou, mais cette sorte de “conflit” est beaucoup plus le tombeau de notre civilisation qu’aucune autre par son travail de termite qui bouleverse tous nos grandes perspectives.
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