05 juillet 2024

Twitter (X) et la désinformation

Depuis que le RN est arrivé premier aux Européennes et au premier tour des législatives, un grand nombre d’études sont publiées pour expliquer qu’un tel score est dû aux Russes. Preuve en est : ceux-ci manipulent Twitter, donc les électeurs. Pas si simple.

On se souvient de la campagne victorieuse de Donald Trump en 2016 : c’était la faute des Russes puisque ceux-ci avaient manipulé les réseaux sociaux et envoyés de nombreuses fausses informations qui avaient eu pour conséquence de détourner l’électeur américain du seul candidat légitime, à savoir Hillary Clinton. Rien ne pouvait expliquer sa défaite, si ce n’est la manipulation et le complot. De même pour le Brexit. Il est évident que les Britanniques ne pouvaient pas voter pour sortir de l’UE puisque celle-ci est pure et parfaite. Donc le Brexit ne pouvait être que la conséquence des manipulations informationnelles.

Le même discours est ressorti au sujet du RN : si autant de Français ont voté pour ce parti lors des deux dernières élections, c’est en raison de l’activité menée par les Russes sur les réseaux sociaux, et notamment Twitter.

Cette explication est bien pratique : elle permet d’évacuer les autres causes du vote RN (insécurité, immigration, pauvreté, par exemple), de maintenir vivant l’épouvantail de l’ennemi russe (hackers russes = Vladimir Poutine, sans démonstration qu’il puisse y avoir un lien effectif entre les deux). Une explication pour évacuer les problèmes intérieurs et pour réactiver l’ennemi extérieur, voilà qui est bien commode.

Des études à l’appui

De nombreuses études sont menées par des sociologues et des spécialistes des réseaux sociaux, dont beaucoup dépendent du CNRS, pour prouver ce que l’on cherche à démontrer. TF1 s’en est fait l’écho dans un reportage publié le 1er juillet : « Élections législatives : des tentatives de déstabilisation massives du scrutin français venu de Russie ». S’il y a « tentatives », c’est qu’a priori la déstabilisation a échoué. Mais peu importante, ici on ne retiendra que la notion de « déstabilisation massive », bien évidemment « venu de Russie ».

Que nous dit ce reportage ?

« Un rapport publié ce dimanche décrypte les manœuvres russes en ligne visant les élections législatives en France. En analysant des millions de publications, les chercheurs ont pu observer l’instrumentalisation d’un « renversement du front républicain ». »

Bravo à ces chercheurs qui ont réussi la prouesse d’analyser « des millions de publications » et donc d’avoir pu démontrer une « instrumentalisation » visant à « renverser le front républicain ». C’est-à-dire à rendre LFI méchant et le RN présentable. L’article souligne toutefois que « Une stratégie dont les conséquences doivent toutefois être nuancées ». C’est bien là le problème, et nous y reviendrons : oui il y a des offensives russes sur Twitter, mais cela ne sert à rien et n’a aucune incidence sur le scrutin, sauf à justifier les crédits d’officines du CNRS et à permettre de publier des articles qui ne sont pas « complotistes », mais « d’investigation ».

L’œil de Moscou

Il s’agit donc « d’un « cocktail » minutieusement préparé par le Kremlin », rien que ça. On imagine des Russes en bouse blanche, dans une cave du Kremlin, préparant les attaques massives contre les réseaux français.

« À partir d’une base de données de quelque 700 millions de messages, émis par près de 17 millions d’utilisateurs, le directeur de recherche a pu observer « les stratégies de subversion » qui ont favorisé le délitement de ce qu’il appelle le « front républicain » de lutte contre l’extrême droite. Parmi elles : celles venues du Kremlin. » Notons déjà que les messages venus du Kremlin ne sont qu’une partie des 700 millions de messages étudiés. Il serait intéressant de savoir quel pourcentage cela représente et d’où proviennent les autres messages.

« Autre exemple, le rapport identifie la manière dont cette communauté œuvre depuis 2021 pour amplifier le terme « islamo-gauchisme ». Une tactique amplifiée dès le premier jour de la campagne des législatives afin de discréditer les candidats de gauche et réaliser ce fameux « renversement du front républicain ». » Comme chacun sait, l’islamo-gauchisme est une théorie créée de toutes pièces par l’extrême droite. Il n’y a jamais eu de soutien aux terroristes du Hamas, de noyautage des universités au nom de la Palestine ni de débordements dans les manifestations, de casses de vitrines et de dégradations de magasins.

Mais l’auteur du rapport reconnait quand même qu’il n’y a pas une source unique de ces messages et il s’interroge même sur leur pertinence et leur efficacité : « Reste à savoir à quel point les effets de ce « cocktail » insidieux se font ressentir au sein de la société française. » La réponse est simple : les effets sont nuls.

Twitter, un outil fantasmé

Les effets sont nuls parce que l’influence de Twitter sur la société française est quasi nulle. Twitter est une bulle, essentiellement utilisé par les journalistes et les politiques. Cette bulle touche un nombre très limité de Français, et très peu au-delà de Paris. Ce sont des personnes qui discutent en vase clos et entre personne déjà convaincues. C’est d’ailleurs souvent l’erreur commise par les partis politiques que de croire qu’une campagne se gagne par les réseaux sociaux. Ils sont utiles, comme moyen d’influence et de connaissance sur les journalistes, donc des relais d’opinion, mais Twitter a très peu d’effets sur la population, tout simplement parce que ce réseau est très peu utilisé.

Les données utilisées dans la suite de cet article proviennent essentiellement du site Statista.

En France, Twitter arrive en 7e position des réseaux sociaux utilisés (31%), loin derrière You Tube (80%), Facebook (73%), Messenger, WhatsApp, Snapchat, Tik Tok. Puis viennent LinkedIn (24%) et Telegram (14%).

Si propagande il y a à faire, ce sont donc You Tube, Facebook et Messenger qu’il faut viser, non un réseau social sous-utilisé. Le nombre d’utilisateurs actifs mensuels de Twitter est estimé à 11,4 millions, avec une majorité d’utilisateurs dans les tranches d’âge des 25-34 ans (25%), 35-44 ans (24%), et 18-24 ans (22%). Si la politique est le principal centre d’intérêt (94 millions de tweets) viennent ensuite le football (58 millions), les médias / émissions (44 millions), le gaming (23 millions), la culture coréenne (12 millions), et la tech (10 millions). C’est donc essentiellement pour du divertissement que Twitter est utilisé, ce qui est à l’abri des attaques russes.

L’autre élément à prendre en compte est le profil des utilisateurs de Twitter, les « Twittos », dont le profil sociologique est éloigné de celui des électeurs du RN. Ils sont généralement plus instruits et disposent de revenus plus élevés que la moyenne. Une grande partie habite à Paris et dans sa région, et les utilisateurs réguliers sont essentiellement des journalistes, des politiques, des personnes médiatiques. Pour le dire plus simplement, parmi l’électorat du RN, très peu dispose d’un compte Twitter. Donc difficile pour eux d’être influencés par les comptes russes.

Pour les plus jeunes, c’est Tik Tok, Snapchat et Instagram qui sont utilisés comme source d’information, mais pas Twitter.

Comme l’explique Julien Boyadjian dans un article paru en 2016, mais qui conserve sa pertinence :

« Les individus qui publient, plus ou moins régulièrement, des messages politiques sur le réseau social Twitter sont donc le produit d’une très forte sélection sociale. Commenter la vie politique, partager des informations en lien avec l’actualité ou avoir une discussion politique sur Twitter constitue des pratiques socialement situées, exercées par des individus fortement politisés. Pourtant, bien qu’ils partagent un certain nombre de propriétés sociologiques et politiques qui les différencient très sensiblement du reste de la population – un fort degré de politisation et un important capital culturel notamment – les twittos qui publient, plus ou moins régulièrement, des messages relatifs à des sujets politiques développent des usages politiques différenciés du réseau social. »

Twitter est une niche, qui touche une population particulière et limitée. Cela ne correspond pas au profil type de l’électeur RN. Depuis quelques années, un grand nombre de publications s’intéressent à la guerre cognitive, à la présence sur les réseaux sociaux, aux influences étrangères, sans jamais se poser la question de l’utilité réelle de ces attaques. Or les données d’usage de Twitter démontrent que ce n’est pas en menant bataille sur ce réseau que l’on peut gagner la guerre. Il peut y avoir la qualité, mais il n’y a pas la quantité.

Jean-Baptiste Noé

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