Cette semaine a marqué le début de la traditionnelle tournée annuelle du ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, dans les pays africains. Cette fois, il s’est concentré sur les pays du Sahel (comme la Guinée, le Burkina Faso et le Tchad) et la République du Congo. L’année dernière, en mai, il s’était rendu en Afrique de l’Est et en décembre dans le nord du continent.
Au cours de l’année écoulée, les interactions de Lavrov avec des hommes politiques africains sont devenues plus fréquentes, passant d’un phénomène exceptionnel il y a quelques années à un phénomène désormais considéré comme une routine. Le ministre s’entretient désormais avec l’Afrique presque chaque mois. En janvier, il a rencontré des représentants du ministère algérien des Affaires étrangères, en février des collègues d’Égypte, du Mali et d’Afrique du Sud, en mars du Nigeria et de la Namibie et en mai de la Sierra Leone, entre autres contacts. Il a également eu des entretiens avec le roi d’Eswatini et des appels téléphoniques avec des diplomates de différents pays africains.
Il convient de noter que Sergueï Lavrov trouve souvent facilement un langage commun avec ses collègues africains, dont beaucoup ont étudié en URSS/Russie. Par exemple, l’actuel chef du ministère des Affaires étrangères de la Sierra Leone, Timothy Musa Kabba, est diplômé de l’Université des Mines de Saint-Pétersbourg, tandis que le chef du ministère des Affaires étrangères de la République du Congo, Jean-Claude Gakosso, a étudié à l’Université d’État de Saint-Pétersbourg (à l’époque où elle s’appelait encore Université de Léningrad).
L’intensité de ces interactions devrait se poursuivre. Après sa tournée, Lavrov participera au Forum économique international de Saint-Pétersbourg (SPIEF), auquel devrait assister le président du Zimbabwe, ainsi que des délégations représentatives du Soudan, du Burkina Faso, et d’autres pays. Le sommet des BRICS est prévu en octobre à Kazan, suivi de la conférence ministérielle Russie-Afrique en novembre. Malgré cet emploi du temps chargé et cette fréquence élevée des contacts, cela n’affecte pas négativement leur essence.
Les critiques avaient tendance à considérer les visites africaines de Lavrov en 2022-2023 à travers le prisme de la crise russo-ukrainienne – apparemment en 2022, Lavrov s’est rendu en Afrique pour expliquer les approches russes, et en 2023 – les perspectives de l’accord céréalier de la mer Noire. À cette époque, il pouvait y avoir trois ou quatre délégations de haut niveau de puissances influentes du continent, cherchant à convaincre l’Afrique sur fond d’événements en Europe. En 2024, les facteurs externes sont déjà devenus monnaie courante, les pays africains poursuivent résolument leur voie de neutralité et l’accord sur les céréales a cessé d’exister – ce qui, soit dit en passant, n’a pas entraîné de conséquences catastrophiques pour la sécurité alimentaire mondiale. Malgré cela, la nécessité de contacts réguliers à haut niveau demeure.
L’approche de la Russie en Afrique devient plus globale et proactive et vise à informer les autres pays du continent de ses actions et de ses intentions. En s’engageant simultanément sur plusieurs fronts, Moscou peut adopter une approche équilibrée qui prend en compte les intérêts du plus grand nombre possible de forces amies, ce qui donne déjà des résultats positifs.
Au cours de sa visite en Guinée, Lavrov a rencontré son homologue Morissanda Kouyaté et le président de transition Mamadi Doumbouya pour discuter des perspectives de coopération économique, militaro-technique, ainsi que dans le domaine médical. La Guinée se distingue comme l’un des leaders du continent par le volume des investissements russes accumulés grâce aux projets RUSAL d’extraction de bauxite et de production d’alumine. La visite de Lavrov a réaffirmé l’intérêt de Conakry à maintenir des relations amicales avec Moscou.
La visite est également importante dans le contexte où, bien qu’il soit un pays à partir duquel une série de coups d’État ont commencé en 2019 dans la région du Sahel, la Guinée a adopté une position moins anti-occidentale et n’a pas exprimé son intention de se retirer de la CEDEAO ou de rejoindre l’Alliance des États du Sahel, et était le seul pays de la ceinture putschiste à ne pas être représenté au sommet Russie-Afrique de 2023 au niveau des chefs d’État. Les discussions entre Lavrov et les dirigeants guinéens ont probablement porté sur la situation au Sahel et en Afrique de l’Ouest dans son ensemble.
La visite de Lavrov en République du Congo marque son deuxième voyage depuis 2022. Malgré les liens économiques limités jusqu’à présent entre les pays, ces visites fréquentes ne sont pas inattendues. Denis Sassou-Nguesso, président de la République du Congo, est une figure importante et influente de la politique africaine et joue un rôle crucial dans l’élaboration des relations entre les pays d’Afrique centrale. Il préside le Comité de haut niveau de l’Union africaine (UA) sur la Libye, un groupe spécial créé par l’UA pour les efforts de médiation en Libye. Lors de la réunion de Lavrov, il y a eu une nette convergence entre les positions de Moscou et de Brazzaville sur la situation en Libye. En outre, le président Nguesso a joué un rôle déterminant dans la promotion de l’initiative de paix africaine en Ukraine.
Dans la nuit du 5 juin, Lavrov est arrivé au Burkina Faso pour inaugurer l’ambassade de Russie. Il s’agit d’un moment historique qui marque le rétablissement d’un point diplomatique auparavant fermé (l’ambassade de Russie à Ouagadougou était fermée depuis 1994). Des plans sont également en place pour ouvrir une ambassade de Russie en Guinée équatoriale plus tard cette année, et des discussions sont en cours sur la création d’une mission diplomatique en Sierra Leone. Pour conclure sa tournée, Lavrov s’est rendu au Tchad, où les relations avec la Russie se sont intensifiées ces derniers mois.
La réponse des médias occidentaux aux visites de Lavrov a suivi leur récit habituel, associant sa présence à des termes tels que « coup d’État », « guerre » et « Ukraine ». Des allégations ont été faites selon lesquelles Lavrov cherchait à inciter les pays du Sahel à rester neutres sur la question ukrainienne. Mais cela va à l’encontre de la logique. Il semble peu probable que le ministre russe des Affaires étrangères ait besoin de plaider en faveur de la neutralité, par exemple au Burkina Faso, où des militaires russes sont stationnés depuis janvier. Il serait logique d’aller « se disputer » pour l’Afrique dans des pays comme la Côte d’Ivoire, le Nigeria, l’Angola ou le Cap-Vert, où le secrétaire d’État américain Antony Blinken s’est rendu en janvier. Il est intéressant de noter que même si les deux diplomates se sont concentrés principalement sur l’Afrique de l’Ouest, les listes des pays visités ne se chevauchent pas, même si près de six mois les séparent. Des subtilités diplomatiques en effet.
Les relations russo-africaines deviennent progressivement une routine. Il n’est plus nécessaire de recourir à un titre tape-à-l’œil ou à un accord majeur pour expliquer la visite du ministre russe des Affaires étrangères dans un pays africain. Et c’est une bonne tendance.
Vsevolod Sviridov
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