02 avril 2024

Carte des communes rackettées par l'État pour manque de « mixité sociale »

En même temps qu’il accentue la pression sur les élus, le gouvernement veut élargir le champ de la loi SRU. Le JDD et DataRealis se sont penchés sur les données comptables des collectivités pour dresser la carte des communes pénalisées par l’État pour non-respect leurs quotas de logements sociaux.

Gabriel Attal et son ministre du Logement Guillaume Kasbarian. © SIPA

Attention, sujet inflammable ! D’autant plus depuis que Bruno Le Maire s’apprête à mettre la pression sur les collectivités locales pour les inciter à un sérieux tour de vis budgétaire. Les associations représentatives des élus locaux sont convoquées le 9 avril à Bercy et ne manqueront pas de monter au créneau sur l’élargissement annoncé de la loi sur la solidarité et le renouvellement urbains (SRU).

Car l’État a ponctionné près de 115 millions d’euros sur les municipalités qui n’ont pas atteint les objectifs de « mixité sociale » en 2022, un montant en hausse constante depuis des années. La mise sous pression de l’État est d’autant plus forte que les municipalités et les intercommunalités doivent approuver leur budget initial pour 2024 avant la mi-avril.

La bataille politique qui vient

Le gouvernement met la pression sur les élus tout en leur donnant un peu d’oxygène. Le nouveau ministre du Logement, Guillaume Kasbarian, veut honorer les promesses formulées par Gabriel Attal lors de son discours de politique générale en janvier. Il portera un projet de loi sur le logement des classes moyennes autour du mois de juin au Sénat, qui inclura une modification de la loi SRU (qui impose un minimum de 25 % de logements sociaux dans les communes de plus de 3.500 habitants en zone urbaine).

L’affrontement politique promet d’être houleux : la gauche des métropoles dénonce une « déclaration de guerre », la droite des villes côtières salue l’initiative. Le maire de Nice, Christian Estrosi, a exprimé son soutien à Gabriel Attal. Rejoint par 80 autres maires, il a signé une tribune sur le site du JDD pour dénoncer une « insulte au bon sens », critiquant la loi SRU actuelle comme étant un « véritable racket de la part de l’État ! »

Évolution des pénalités liés à la loi SRU.

Évolution des pénalités liés à la loi SRU. © Data Realis

Outre les 115 millions d’euros de pénalités, une étude du ministère de l’Économie couvrant les années 2014 à 2022, correspondant aux trois derniers cycles triennaux d’application de la loi SRU, offre une vue d’ensemble des villes sanctionnées financièrement par l’État. Surprise, les villes les plus sévèrement pénalisées ne sont pas nécessairement celles affichant le plus fort potentiel d’augmentation de leur parc de logements sociaux.

À titre d’exemple, Nice, qui accuse un déficit de 20 000 logements sociaux pour atteindre le seuil de 25 % fixé par la loi SRU, a été partiellement exemptée lors de la dernière période triennale 2020-2022, bien qu’elle n’ait pas atteint les objectifs fixés lors du cycle précédent. En février 2022, le Parquet national financier a d’ailleurs ouvert une enquête préliminaire pour concussion à l’encontre de l’ancien préfet des Alpes-Maritimes, le soupçonnant d’avoir indûment exonéré la ville de ses contributions. L’arrêté signé le 28 février par le nouveau préfet du département, Hugues Moutouh, impose à la municipalité de Christian Estrosi de s’acquitter de 7,23 millions d’euros cette année, alors qu’elle n’avait contribué que de 2,28 millions d’euros durant la période 2020-2022.

Saint-Maur-des-Fossés, Bandol et Gémenos en tête

Mais Christian Estrosi dispose d’un carnet d’adresses et d’une capacité de communication, d’influence et de négociation que la plupart des maires carencés par les préfets n’ont pas. De 2020 à 2022, des villes telles que Saint-Raphaël (36 000 habitants) et Agde (29 000), ont en réalité versé à l’État des sommes supérieures à celle de Nice (340 000), s’élevant respectivement à 3,71 millions d’euros et 2,87 millions d’euros. Même Roquebrune-sur-Argens, une commune du Var de 14 000 âmes, a eu une obligation financière plus lourde que Nice, avec une contribution de 2,42 millions d’euros pour cette période !

Pour bien mesurer l’effort financier imposé par l’État aux communes ne répondant pas avec assez d’empressement aux exigences de la loi SRU, le plus souvent faute de foncier disponible, nous avons dressé la carte de France des pénalités par commune, cumulées sur la période 2014-2022, avec le détail des trois dernières périodes triennales.

En sus, nous avons dressé le tableau des communes les plus matraquées sur la dernière période triennale (2020-2022) et sur l’ensemble de la période 2014-2022 (9 années), en fonction du coût par habitant. Trois communes figurent systématiquement sur le podium : Saint-Maur-des-Fossés (Val-de-Marne, 74 500 habitants), Gémenos (Bouches-du-Rhône, 6 700 habitants) et Bandol (Var, 8 359 habitants). Ce sont, et de loin, les villes les plus pénalisées sur la dernière décennie.

En montant net de pénalités, elles n’ont cessé de payer de plus en plus : de 766 000€ en 2014-2016 à 1,6 million en 2020-2022 pour Gémenos ; de 3,1 millions en 2014-2016 à 18,5 millions en 2020-2022 pour Saint-Maur-des-Fossés.

Classement des 10 communes les plus pénalisées sur la période 2014-2022 :

Commune

Pénalités par habitant (en euros)

Population

Total des pénalités (en euros)

Saint-Maur-des-Fossés (94)

518

74 520

38 600 891

Bandol (83)

446

8 359

3 723 898

Gémenos (13)

429

6 698

2 871 745

Saint-Palais-sur-Mer (17)

405

3 920

1 588 486

Carry-le-Rouet (13)

400

5 705

2 279 640

Pégomas (06)

382

7 956

3 036 906

Roquebrune-sur-Argens (83)

365

14 335

5 228 856

Carqueiranne (83)

359

9 462

3 397 764

Chaponnay (69)

335

4 411

1 477 348

Éguilles (13)

323

8 076

2 608 556

Un racket que Roland Giberti, maire de Gémenos depuis 2001, et Sylvain Berrios, maire de Saint-Maur-des-Fossés, estiment aussi inopérant qu’aveugle. L’un comme l’autre ont accueilli avec intérêt les déclarations du Premier ministre qui, dans son discours de politique générale devant les députés, le 30 janvier, s’est dit prêt à inclure les logements intermédiaires dans le décompte SRU. « Tout ce qui peut modifier cette loi en redonnant aux maires un minimum de pouvoir de décision en matière de politique de logement est le bienvenu. En l’état actuel, la loi SRU est une loi ridicule, infondée et illogique », résume Roland Giberti.

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