Le chef de l’État est venu en personne annoncer le futur projet de loi sur la fin de vie dans un entretien accordé à La Croix et Libération. Après une présentation au Conseil des ministres en avril, le sujet sera débattu en mai à l’Assemblée, quelques semaines avant les élections européennes.
Pour ne pas parler « d’euthanasie » ou de « suicide assisté », Emmanuel Macron joue sur la sémantique et l’utilisation appuyée des mots « fraternité » et « dignité ». Malgré tout, il s’agira bien de demander aux médecins de prendre la vie d’un patient ou de l’assister dans son suicide, ce qui est contraire au code de déontologie de la médecine.
Avec le recul, la loi sur l’euthanasie promulguée en 2002 en Belgique a provoqué des cassures profondes entre les générations et dans la prise en charge par la société des personnes les plus faibles. Le nombre d’euthanasies ne cesse d’augmenter chaque année et l’on autorise maintenant le suicide assisté de mineurs.
Emmanuel Macron dit vouloir « regarder la mort en face »
Tout d’abord, dans l’entretien à La Croix et Libération, Emmanuel Macron insiste pour ne pas parler d’euthanasie ni de suicide assisté mais plutôt d’une « loi de fraternité », car il faut, selon lui, « bien nommer le réel sans ambiguïté ». Pour trouver ce chemin entre les mots et les maux, le président dit s’être appuyé sur l’avis du Comité consultatif national d’éthique (CCNE) et les travaux de la Convention citoyenne.
Dans une tribune du Figaro publiée en 2023, treize organisations professionnelles et sociétés savantes, représentant 800.000 soignants avaient pourtant déclaré que l’euthanasie est une pratique «incompatible» avec le métier du soin et critiquaient le fait de n’avoir pas été associées à la Convention citoyenne.
Peu importe, le terme qui sera utilisé dans la loi sera l’ « aide à mourir » car, selon le président, le terme d’euthanasie « désigne le fait de mettre fin aux jours de quelqu’un ». Cependant, si la proposition de loi veut effacer le terme, elle n’effacera pas l’acte. Il reviendra bien au médecin de donner la mort à un patient, ce qui est contraire à son serment d’Hippocrate. Tout médecin en France a fait le serment d’Hippocrate affirmant tout faire pour « soulager les souffrances, ne pas prolonger abusivement les agonies et ne jamais provoquer la mort délibérément ».
Pour le président, il s’agit pas non plus d’un suicide assisté, même si au final ce sera le patient ou un proche qui administrera la substance létale. Selon Emmanuel Macron, la future loi stipulera que « l’administration de la substance létale est effectuée par la personne elle-même […] soit par une personne volontaire qu’elle désigne […] soit par le médecin ou l’infirmier qui l’accompagne. » Mais pas de suicide assisté ni d’euthanasie, les mots à ce stade semblent ne plus avoir grande importance.
Selon le président, qui déclare vouloir « regarder la mort en face », l’ « aide à mourir » sera réservée aux personnes majeures « capables d’un discernement plein et entier ». Il faudra avoir une maladie incurable et un pronostic vital engagé, mais seront « exclus » les patients atteints de « maladies psychiatriques ou de maladies neurodégénératives qui altèrent le discernement, comme Alzheimer ».
Une loi encadre déjà la fin de vie
Selon Claude Grange, praticien hospitalier en douleurs chroniques et soins palliatifs depuis 25 ans, le public n’est pas assez informé sur les soins palliatifs et sur la proportionnalité des protocoles de soins et de sédation déjà existants dans loi Claeys-Leonetti.
Aujourd’hui, la loi Claeys-Leonetti, dite « loi Leonetti », encadre la fin de vie des malades incurables. Adoptée à l’unanimité (fait rare) en 2005 et renforcée en 2016, elle interdit l’euthanasie et le suicide assisté, mais permet une « sédation profonde et continue jusqu’au décès » pour des malades en phase terminale et en très grande souffrance.
Selon Claude Grange, les patients ont besoin de mieux connaître les différents moyens thérapeutiques existants pour soulager la douleur, car les protocoles de sédation ont déjà une diversité de solutions possibles, en fonction de la durée et de la profondeur de la sédation et du consentement de la personne.
Avec son expérience prolongée dans des unités de soins palliatifs, le praticien se dit défavorable à l’aide active à mourir : «Personnellement, je ne suis pas pour la modification de la loi actuelle. Commençons déjà par appliquer celle qui existe.»
La question de l’accès aux soins palliatifs
Le problème principal de la fin de vie est surtout celui de l’accès aux soins et des moyens donnés aux soins palliatifs. Selon la Cour des comptes, la moitié des patients qui auraient pu avoir droit aux soins palliatifs, en 2022, n’a pu y accéder.
Selon Claire Fourcade, présidente de la Société Française des Soins Palliatifs (SFAP), interviewée par le Figaro, «aujourd’hui, 500 personnes par jour n’ont pas accès aux soins palliatifs en France. Toutes les 3 minutes, une personne meurt sans cet accompagnement.».
Dans ses annonces, le président affirme la mise en place d’une unité de soins palliatifs dans chaque département, alors que les unités actuelles ont déjà du mal à survivre. Selon Claire Fourcade, « avec ce projet de loi, il semble évident qu’il sera plus facile d’accéder à l’euthanasie qu’aux soins palliatifs pour un grand nombre de patients. » Une euthanasie ou un suicide assisté coûteront moins chers à l’État qu’une prise en charge plus longue par des soins palliatifs, le cynisme de cette loi sera sans appel.
Selon la présidente de la SFAP, reprenant le terme de « loi de fraternité » utilisé par le président, la fraternité serait « d’abord de proposer aux gens d’avoir accès aux soins dont ils ont besoin. » Cette fraternité étant actuellement portée à bout de bras et avec peu de moyens, par les professionnels et bénévoles des soins palliatifs, médecins et infirmières.
Le modèle de l’euthanasie belge
La Belgique a autorisé l’euthanasie en 2002 et est devenue en 2014 le premier pays européen à permettre aux enfants atteints de maladie incurable de choisir l’euthanasie, balayant les doutes sur le discernement de l’enfant. Depuis, le nombre d’euthanasies pratiquées en Belgique n’a cessé d’augmenter. Il était de 2.699 en 2021, 2.966 en 2022 pour atteindre 3.423 euthanasies en 2023, selon les données de la Commission fédérale de contrôle et d’évaluation de l’euthanasie. Un chiffre en hausse de 15% par rapport à l’année précédente.
Dans Marianne, le journaliste Pierre Jova, qui a enquêté sur le modèle de l’euthanasie en Belgique, constate qu’avoir mis l’euthanasie et le suicide assisté dans la loi a eu pour conséquence de l’appliquer à toute la société et d’obliger chaque citoyen à l’envisager.
Avec le recul sur la question, il est important, selon lui, de voir les « drames et la casse humaine » qu’a engendrés la loi belge: « Des personnes âgées obtiennent l’euthanasie et ne préviennent pas leur famille […] sans parler des euthanasies pour souffrances psychiques, qui sont rares et spectaculaires, mais immorales. » Comment une société peut-elle proposer l’euthanasie pour des cas d’autisme, de dépression ou de schizophrénie, interroge-t-il.
Pour lui, la généralisation de l’euthanasie dans la loi a été un signal envoyé aux personnes âgées et aux plus vulnérables pensant être un poids pour leur famille ou pour la société. Cela va à l’encontre du tissu moral de la société et la nature de notre humanité à prendre soin des autres et plus particulièrement des personnes les plus âgées et les plus faibles. « En réalité, on ne meurt jamais seul, c’est toujours un événement social, un événement familial, un événement culturel qui a été codifié par les civilisations à travers les âges » conclut le journaliste.
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