02 septembre 2023

Sommet des BRICS : vers une scission des organisations internationales ?


Certains jugent le sommet de Johannesburg comme ayant accouché d’un résultat en demi-teinte. On peut effectivement mesurer les résultats aux attentes qui avaient été formulées avant le sommet. Mais un point est peu mis en valeur : l’avancée des BRICS va obliger les institutions internationales nées en 1944-45 à se réformer ou être progressivement vidées de leur substance.
Le sommet de Johannesbourg s’est clos le 24 août, où les pays du Brics – Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du sud – avaient invité soixante-sept autres pays à discuter de l’avenir du monde, réaffirmant leur intention de poursuivre la mise en œuvre d’une politique commune visant à s’émanciper de l’emprise américaine. Que peut-on en retenir ?

Réformer les “institutions de gouvernance mondiale” ?

Avant toute chose, il convient de se souvenir que c’est M. Poutine qui a créé ce groupe, en 2006, avec l’intention avouée d’offrir au monde l’alternative entre l’unilatéralisme américain et une multipolarité garantie par deux puissances : une puissance économique, celle de la Chine, la deuxième du monde, et une puissance militaire, celle de la Russie, dont on sait qu’elle est entrée l’an passé en conflit avec l’expansionnisme américain menaçant ses frontières. Sans la Chine, naturellement, cette initiative n’aurait pas pu voir le jour, mais la résistance militaire de la Russie en Ukraine montre aussi que, sans elle, un front commun contre l’empire américain n’aurait pas été crédible. Les deux pays se complètent donc pour chapeauter les Brics et ceux qui doivent les rejoindre, en tout presque la moitié de la population mondiale.

Cette année, quelques décisions ont été prises, qui montrent que, depuis l’intervention de la Russie dans la guerre du Donbass, d’autres grandes puissances entendent bien poursuivre dans la direction d’un monde multipolaire. Parmi les nouveaux pays invités à s’y réunir, notons l’Iran, pourtant soumis aux sanctions américaines, et l’Arabie saoudite, naguère encore le principal allié des États-Unis dans le Golfe : c’est évidemment un camouflet pour l’Amérique, en particulier s’agissant de l’Iran. Plus radical encore, l’ordre du jour prévoyait de « travailler à une véritable réforme des institutions de gouvernance mondiale » : autrement dit, pour le moment, il n’est pas question de quitter le FMI, l’ONU, ou d’autres instances comme la Cour pénale internationale, mais on peut désormais très bien imaginer que, faute d’en obtenir une réforme globale, notamment en élargissant le Conseil de sécurité de l’ONU, les pays concernés finissent par créer des instances parallèles, donc concurrentes, ce qui marquerait un net recul du mondialisme jusqu’alors au service de l’empire américain. 

Une bombe à retardement pour les grandes institutions internationales ?

Mais regardons maintenant les faiblesses. Contrairement aux puissances grandes ou moyennes soudées à l’Amérique, les Brics et leurs nouveaux membres forment un front beaucoup moins cohérent, donc beaucoup moins solide. Le seul fait que M. Poutine ait été dissuadé de se rendre en Afrique du Sud parle de lui-même : ce pays, signataire des conventions de la Cour Pénale Internationale, eût été contraint de se saisir du chef de l’État russe pour le livrer à ses ennemis occidentaux, en vertu du mandat d’arrêt pris par cet organisme – auquel n’appartient pas la Russie – en mars dernier. En outre, l’Afrique du sud ne peut pas renoncer à une alliance implicite avec les puissances occidentales qui dominent les mers ; d’ailleurs son entrée dans le club des Brics – à l’origine, les « Bric », sans le « S » de South Africa – n’avait pas de sens économique, compte tenu de sa faible envergure, mais seulement politique : celui d’associer l’Afrique à la recherche de la multipolarité en comptant sur le poids de ses votes dans les conférences internationales.

Plus préoccupant, l’Inde est une rivale de la Chine, elle appartient même à une alliance militaire tournée contre elle conduite par les États-Unis dans l’océan Indien ; ce qui réduit à rien l’idée d’une alliance totale et inconditionnelle entre les membres des Brics ; là encore, le camp américain est beaucoup plus homogène.

Quant à l’idée – que d’ailleurs ni l’Inde ni l’Afrique du sud ne partagent – de substituer le yuan chinois au dollar, il faudrait pour cela que la Chine accepte d’avoir une balance commerciale déficitaire, sans quoi sa monnaie viendrait à manquer à l’extérieur. Or, l’économie chinoise est essentiellement tournée vers l’extérieur plutôt que vers un marché intérieur susceptible de créer ce déficit. Quant à imaginer une monnaie unique, les pays membres sont très loin de réunir les conditions d’une intégration financière, déjà problématique en Europe.

On voit donc que la route est encore longue, du moins dans l’état actuel des choses, et à supposer qu’aucun événement ne vienne en accélérer le train. Mais il demeure un désir de multilatéralisme dont les frustrations risqueraient de faire exploser les grandes institutions internationales d’aujourd’hui.

Source : https://lecourrierdesstrateges.fr/2023/08/29/sommet-des-brics-vers-une-scission-des-organisations-internationales-par-yves-marie-adeline/

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