Comme Céline et Bernanos Céline combat les robots. Le mot « robot » revient trente-sept fois dans Bagatelles pour un massacre, ce qui est énorme. Car comme je l’ai montré ce que combat Céline dans les Pamphlets c’est le monde moderne ; voyez dans mon livre le chapitre sur le Loup des steppes, ouvrage jadis en vogue, et qui lutte aussi – comme Stefan Zweig à la même époque, qui préféra mourir au Brésil (dans une ville magique, Petrópolis, où j’ai vécu deux fois) que vivre riche à Hollywood dans la terre de la grande uniformisation qu’il avait magnifiquement dénoncée.
Comme les robots ont gagné la partie, et que l’on est déjà remplacés, numérisés, transsexuels, lobotomisés, éliminés et même affamés par les autorités US en la matière (redécouvrir Georges Duhamel), il me semble important de citer quelques bonnes pages céliniennes sur les robots (mot inventé dans les années vingt par Carel Capek).
On commence p. 102 :
« C’est le français idéal pour Robots. L’Homme véritablement, idéalement dépouillé, celui pour lequel tous les artistes littéraires d’aujourd’hui semblent écrire, c’est un robot. On peut rendre, notons-le, tout Robot, aussi luisant, « lignes simples », aussi laqué, aérodynamique, rationalisé qu’on le désire, parfaitement élégantissime, au goût du jour. Il devrait tenir tout le centre du Palais de la Découverte le Robot… Il est lui l’aboutissement de tant d’efforts civilisateurs « rationnels »… admirablement naturalistes et objectifs (toutefois Robot frappé d’ivrognerie ! seul trait humain du Robot à ce jour)… Depuis la Renaissance l’on tend à travailler de plus en plus passionnément pour l’avènement du Royaume des Sciences et du Robot social. Le plus dépouillé… le plus objectif des langages c’est le parfait [168] journalistique objectif langage Robot… Nous y sommes… Plus besoin d’avoir une âme en face des trous pour s’exprimer humainement… Que des volumes ! des arêtes ! des pans ! et de la publicité !… et n’importe quelle baliverne robotique triomphe ! Nous y sommes… »
Puis Céline parle de nos écrivains modernes qu’il ne supporte pas (on sait qu’il pense que l’on a perdu le combat littéraire au seizième siècle quand le latin-grec d’Amyot traducteur de Plutarque s’est imposé à notre langue) :
« Ils pontifient en style « public », impeccable, envers et contre tout, saltimbanques, devins cocus… Ils grandissent avec leur cuirasse … Ils crèvent avec leur cuirasse, dans leur cuirasse, étreints, bandagés, saucissonnés au plus juste. bouclés, couques, polis, reluisants robots, scaphandres rampants sous l’attirail énorme, emprunté de dix mille tuyaux et ficelles à peu près immobiles, presque aveugles, à tâtons, ils rampent ainsi vers le joli but lumineux de ces existences, au fond au fond ténèbres… la Retraite… Il n’émane des pertuis de leur armure, des fissures de ces robots « d’élite » que quelques gerbes, bouquets graciles, d’infinis minuscules glouglous, leurs bulles qui remontent. à l’air libre. On ne les félicite jamais de ce qu’ils sont enfin parvenus à crever un jour, dépecer leur extraordinaire carcan métallique, mais au contraire de ce qu’ ils réussissent parfois à s’harnacher encore plus pesamment que la veille… »
Il y a un aspect nietzschéen chez Céline : le lion contre le chameau. Il y a aussi un aspect guénonien : la Renaissance qui avec le siècle de Louis XIV mène aux catastrophes culturelles ; Balzac, Nerval ou Flaubert (dans sa correspondance) en avaient pris conscience. L’âme française disparaît peu à peu aux temps modernes, quand les latinistes-hellénistes-grammairiens-Vaugelas-femmes-savantes prennent le pouvoir (Bernanos en parle très bien aussi – et du paganisme gréco-romain et du culte étatique qui va avec).
Le robot perdure (le passage est tordant et on pense aux deux robots gay et trottinette de la Guerre des étoiles !) :
« Chaque fois, qu’ils s’agitent un peu ou beaucoup ça remue… ça bouge… il en sort des petits bruits insolites, des grêles tintements, des petites fausses notes. Et puis c’est marre, et puis c’est tout… L’invasion surréaliste, je la trouve absolument prête, elle peut déferler sans hésitation, par l’effet de la loi du nombre… Il ne reste pour ainsi dire plus rien devant l’art Robot, prêt à fondre. »
Dans mon livre sur internet j’avais insisté sur l’importance luciférienne –progressiste du Wunderkammer, du cabinet de curiosités. Céline :
« Je ne vois rien dans ces babioles qui puisse vraiment nous passionner… de quoi réveiller une vraie mouche, une mouche vivante, une mouche qui vole… la cause me paraît entendue, Renaissance, naturalisme, objectivisme, surréalisme, parfaite progression vers le Robot. Nous y sommes. »
Autre bel exemple de haine littéraire :
« M. Giraudoux, c’est un fait bien pertinent, fignolise quand il s’y donne, tout aussi bien que Prout-Proust. M. Paul des Cimetières Valéry mousse, picore, disparaît dans les vagues, beadekerinne, unanimise, surréalise s’il le faut comme un Romain… reparaît au bord comme Maurras, revient en Barrès, se perd encore, bergsonise, entesté, nous nargue de petits riens… »
Laissons de côté les « juifs » (une manière de dire chez lui) et allons au grain comme on dit chez moi :
« Une bonne standardisation littéraire internationale, bien avilissante, bien ahurissante, viendrait en ce moment fort à point, parachever l’œuvre d’insensibilisation, de nivellement artistique que les Juifs ont parfaitement accomplie déjà dans la peinture, la musique et le cinéma. Ainsi le cycle de la robotisation internationale des esprits serait chose parfaite. »
La machine à standardiser arrive avec entre autres le cinéma (je rappelle que pas mal de grands esprits Juifs la dénoncent, à commencer par Zweig, Bloom, Broch ou les plus grands cinéastes – Kubrick, Donen, Oz, Pollack…) :
« Le reste, tout ce qu’il ne peut absorber, pervertir, déglutir, saloper standardiser, doit disparaître. C’est le plus simple. Il le décrète. Les banques exécutent. Pour le monde robot qu’on nous prépare, il suffira de quelques articles, reproductions à l’infini, fades simulacres, cartonnages inoffensifs, romans, voitures, pommes, professeurs, généraux, vedettes, pissotières tendancieuses, le tout standard, avec énormément de tam-tam d’imposture et de snobisme La camelote universelle, en somme, bruyante, juive et infecte… Le Juif tient tous les gouvernements, il commande toutes les machines à standardiser, il possède tous les câbles, tous les courants, demain tous les Robots. »
Les robots ne se révoltent pas. Asimov avait raison : donc on a transformé les gens en robots, ce qui était facile, reconnaissons-le, voyez comment Lewis Mumford décrit l’antique mégamachine et comment l’immense et méconnu Lévi-Strauss décrit la construction des pyramides.
« Plus aucune révolte à redouter des individus pré-robotiques, que nous sommes, nos meubles, romans, films, voitures, langage, l’immense majorité des populations modernes sont déjà standardisés. La civilisation moderne c’est la standardisation totale. »
C’est là qu’intervient la culture industrielle moderne, très bien tancée par Debord mais aussi par Adorno :
« Les grands lupanars d’arts modernes, les immenses clans hollywoodiens, toutes les sous-galères de l’art robot, ne manqueront jamais de ces saltimbanques dépravés… Le recrutement est infini. Le lecteur moyen, l’amateur rafignolesque, le snob cocktailien, le public enfin, la horde abjecte cinéphage, les abrutis-radios, les fanatiques envedettés, cet international prodigieux, glapissant, grouillement de jobards ivrognes et cocus, constitue la base piétinable à travers villes et continents, l’humus magnifique le terreau miraculeux, dans lequel les merdes juives publicitaires vont resplendir, séduire, ensorceler comme jamais. »
Et le cinéma présumé juif (dont je suis un fervent défenseur) en prend pour son grade avec Hollywood :
« A la vénération du super-confort, des superproductions; des super-branlées platitudes youtres, aux supersmokings, super-cocktails, super-bagnoles, enfin toute la super-connerie mécanisante et robotisante des salles obscures, de ces cavernes cent mille fois plus abrutissantes que les pires idolâtriques catacombes des premiers siècles. Tous ces miséreux, ces serfs délirants, complètement vermoulus par la propagande « idéolochique » de la radio du film et du « cancan » délirent à présent de désirs matériels et de muflerie militante. Les chômeurs louent des smokings! »
Alors rassurons-nous : nous sommes des robots depuis longtemps. Et à propos de ces Juifs hollywoodiens on pourra lire mon hommage à l’âge d’or de la comédie musicale ! On reverra aussi l’excellent Woody et les robots, un des Woody Allen les plus roboratifs-sic de sa grande époque.
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