En gros et sans nuance, être nihiliste, c’est avoir une vision pessimiste du monde et de ses valeurs. Transposé à sa relation à la maladie, c’est considérer qu’il n’y a plus rien à faire, à part baisser les bras. La connotation est péjorative, presque coupable. Car il existe forcement une solution !
Le système médical nous a habitués à un interventionnisme décomplexé, qui permet sans doute aux plus guerriers des médecins de se rassurer en développant la sensation qu’ils « font quelque chose », pour leurs patients. Il serait plus proche de la réalité de dire qu’ils « administrent au moins quelques molécules », tant il est vrai que le paradigme médical moderne assimile fortement la médecine à ses médicaments. Supprimez les analyses et les ordonnances, et la compétence médicale institutionnelle s’effondre dans la minute.Un courant historique...
Contrairement aux apparences, le nihilisme thérapeutique est une approche médicale historique scientifique. Au XIXe siècle, la médecine est dite « héroïque ». Son artillerie lourde – poisons divers et saignées mortifères – était redoutée pour les dégâts qu’elle était capable d’engendrer. Si la maladie ne réussissait pas à emporter le malade, les médicaments « héroïques », eux, y parvenaient souvent. Les épidémies étaient de véritables pandémies qui duraient parfois des décennies, décimant les populations d’une grande partie du globe à une époque où les antibiotiques n’avaient pas encore été inventés. Avec le recul, cette solution – qui était une demi-solution de court terme – allait engendrer une série de nouveaux problèmes, avec notamment le phénomène des résistances. Car la guerre contre les germes n’a pas été gagnée. Les germes n’ont pas été éradiqués, ils se sont renforcés. Ceci est une autre histoire.
Mais pour en revenir à une période antérieure de l’histoire de la
médecine, la très reconnue école de Vienne voit éclore en son sein un
mouvement qui préconise l’absence d’intervention médicale pour laisser à
l’organisme une chance de pourvoir lui-même au rétablissement de son
équilibre. Józef Dietl (1804-1878), Carl von Rokitansky (1804-1878) et
Josef Škoda (1805-1882), cliniciens de renom de la même génération,
constatent l’inefficacité et la dangerosité des traitements en cours.
Ils décident de mettre leurs traitements entre parenthèses pour laisser
le corps se débrouiller tout seul, sans avoir un supplément de poisons à
gérer. Ils reviennent à l’hygiène vitale, à l’importance de la
prophylaxie et au repos. Une fenêtre thérapeutique radicale en somme. On
appellera ce mouvement la seconde école de médecine de Vienne. Leur
approche prend, et se diffuse bientôt à travers l’Europe [1].
Les États-Unis d’Amérique fraîchement formés se heurtent au même
problème : face à cette médecine aux effets redoutables, la population
préfère une voie plus douce, et plébiscite la médecine par les plantes,
l’homéopathie montante ou la chiropractie. Elle en sera savamment
détournée, mais ceci est également une autre histoire.
… qui revient par la petite porte
Les médicaments ne sont plus les poisons foudroyants du XIXe siècle, mais leur généralisation, leur multiplication et leurs interactions en font, avec le temps, une très bonne imitation. C’est peut-être la raison de l’émergence aujourd’hui d’une même tendance, de la part de certains médecins affolés par une escalade interventionniste aux résultats mitigés, comme de la part des patients pragmatiques. La médecine s’acharne, avec constance et application, dans une voie guerrière et matérialiste, tout en papillonnant autour de théories et de traitements en constant renouvellement. Il en découle une forme de scepticisme vis-à-vis de propositions médicales changeantes, auxquelles on ne croit plus et dont on ne veut plus faire les frais. L’avis et les préférences du malade lui-même comptent assez peu, comme s’il n’était pas partie prenante de sa maladie.
Mais comment un médecin isolé – un rouage du système – pourrait-il prétendre agir à contre-courant ? Face aux pressions juridiques et aux obligations diverses face à la loi, il ne le peut pas ouvertement. La peur de la responsabilité civile est une excellente motivation à prescrire « comme il faut » et « dans les temps », et se soustraire ainsi à de possibles représailles et poursuites diverses pouvant aller jusqu’à l’emprisonnement. Il ne peut que biaiser pour échapper à l’entonnoir protocolaire des prises en charge et des interventions chirurgicales d’intensité croissante, ou s’exclure du système et partir. Peut-être a-t-il d’ailleurs déjà été contraint de le faire.
Une partie des usagers comprend fort bien ce qui se joue, et apprécie un médecin à l’écoute, moins prompt que les autres à dégainer son ordonnance. Cela modifie les critères d’excellence d’une bonne médecine auprès du grand public. Parlant d’un médecin, combien de fois n’avons-nous entendu affirmer cela ? « Celui-là il est bien. Il t’écoute, te garde plus de quinze minutes, et il ne donne pas beaucoup de médicament ! »
Ne plus se précipiter chez le médecin est une autre réponse aux
problèmes concrets des malades : le peu de résultat durable dans les
maladies chroniques, ainsi qu’une iatrogénie grandissante. On pourrait y
voir un mouvement de réaction face à une médecine palliative qui combat
à la place du corps, mais qui ne guérit pas. La guérison, qui disparaît
progressivement du vocabulaire médical est devenu un mot douteux.
Utilisez-le, et vous serez bientôt soupçonnés de charlatanisme ! Ainsi,
dans bien des cas, face au déni de réalité de beaucoup de
professionnels, et à défaut de savoir à qui s’adresser, on traite sa
maladie par le mépris ou l’automédication. Jusqu’au moment où c’est trop
tard. Dommage, car nos services d’urgence sont déjà surchargés.
Ne rien faire puis jeter l’éponge
La médecine échoue à jouer son rôle préventif. Elle est coincée dans une bande étroite de savoir-faire, entre l’inutile prise en charge médicale d’un patient en bonne santé, la sous-traitance des facteurs de santé extra-médicaux (nutrition, coach sportif, gestion du stress), et l’ignorance de la réalité énergétique du vivant. Ainsi, le réel domaine de compétence de la médecine est réduit aux maladies déjà bien développées ou lésionnelles, pour lesquelles, il n’y a déjà effectivement plus grand-chose à faire.
Mais voilà : quand la thérapeutique provoque plus de dommages, cause plus de souffrance que la maladie elle-même, le malade jette l’éponge. Beaucoup de malades, notamment en cancérologie, conscients du champ de bataille que va devenir leur corps préfèrent – ou prétendent ! – refuser le traitement. Certains seulement y parviennent, tant l’hôpital est une machine broyante et la peur de l’entourage une contrainte affective. Le syndrome de glissement observé chez les personnes âgés témoigne d’une attitude assez similaire. Lassitude, démotivation, et perte du goût de vivre accélèrent si bien le pronostic vital qu’on en vient parfois à parler de « suicide inconscient ».
Ces attitudes sont l’expression d’un refus de cette forme extrême de
médecine, dont les traitements médicamenteux musclés ne parviennent à
bout ni de la souffrance, ni de la maladie. Bien au contraire
pourrait-on dire puisqu’ils les déplacent ou les accentuent. Dans cette
perspective sans issue, on comprend qu’on puisse se poser la question
légitime d’un nihilisme thérapeutique, ou la recherche de voies
alternatives.
Le marché du goût du public
Puisque les plantes anti-inflammatoires ou le collagène n’ont pas d’AMM [2] – Faut-il incriminer l’absence de brevet à exploiter ? –, l’écrasante majorité des consultations en rhumato se terminent par une prescription de molécules induisant une iatrogénie. Ce qui fait qu’une part grandissante des plaignants se tournent vers la naturopathie pour se les procurer. Ainsi se reproduit à taille réduite l’engrenage Big Pharma, où la molécule – certes moins nocive, mais plus chère pour le malade car non remboursée – devra être prise au long cours sous peine de voir son symptôme réapparaître. Cette niche n’a pas échappé aux investisseurs qui rachètent les laboratoires de compléments alimentaires et de produits naturels, et récupèrent des parts de marché depuis deux décennies [3]. C’était prévisible puisque cet interventionnisme systématique, qu’il soit chirurgical ou médicamenteux, est poussé par les forces du marché. Dès lors que le public s’en détourne, il va logiquement chercher ailleurs où combler ce manque à gagner. À la différence que c’est le consommateur qui paye et qu’il est forcément berné sur ce qu’il croit être une prise d’indépendance. Tant mieux si les utilisateurs de médecines complémentaires sont en meilleure santé et coûtent moins chers à la collectivité [4]. Vu de plus haut, et dans la mesure où le malade paye avant impôt, il s’agit d’un simple déplacement de lignes budgétaires pour une masse d’argent toujours en constante évolution. On pourrait y voir également un très bon accélérateur de la libéralisation complète du marché de la santé.
Mais il faut voir le positif en toute chose ! La nécessité de retour au concept hippocratique d’innocuité pousse, et encourage, la médecine à élargir un peu son horizon. Par la prévention nous dit-on – quel mot passe-partout ! –, par les groupes de parole, la présence ou l’écoute. Les centres de médecine intégrative sont présentés comme une innovation, et il faut en être. Avec ce petit goût de holistic-washing qui gâche un peu la fête.
« Les centres français (Léon Bérard, Bergonié, Claudius Regaud, Curie, Gustave Roussy, l’AP-HP) ont tous lancé des programmes de thérapie intégrative, que ce soit des ateliers d’art-thérapie, de jardinage, de sport, des consultations d’ostéopathie, d’acupuncture, de nutrition… ».( Leem, les entreprises du médicament [5])
Bien que soit mise en avant une volonté d’ouverture, et la prise en
considération de la globalité de l’être humain, la nature du progrès
visé est bien pauvre. La médecine intégrative est une tentative de
réponse par la marge, sans prendre cependant le problème à bras le
corps. Car nous sommes plus sur un concept d’addition de compétences que
sur une véritable synthèse pour comprendre ce qui engendre la maladie
et ce qui ramène la santé. Les thérapies alternatives sont d’ailleurs
contrôlées et chapeautées hiérarchiquement – souvent par des
responsables qui n’y connaissent pas grand-choses – sans pouvoir
prétendre agir sur un pied d’égalité. On en fait des auxiliaires de la
médecine officielle. Il s’agit donc d’un « plus » mais pas d’un
« autrement ». Or l’émergence d’un nouveau paradigme médical demande
plus qu’une addition. Proposer une prise en charge psychothérapeutique,
ou rajouter une consultation de sophrologie dans le parcours de soin ne
réglera pas le problème, même si pour le quotidien et le le confort des
malades, c’est bien mieux comme cela.
Les œillères médicales
Ce que révèle cet état de fait, c’est l’impossibilité de fonder une démarche thérapeutique visant le rétablissement de la santé sur des valeurs positives précises. Les œillères du paradigme médical contemporain obscurcissent la perspective d’agir en dehors de son champ limité, de cette bande étroite dont nous venons de parler. Les limites du paradigme médical actuel rendent aveugles et empêchent de concevoir que l’on soit capable de soigner par des lois médicales, et sans iatrogénie.
Prévenir, c’est s’occuper des conditions de la santé. C’est entretenir le terrain. Ce n’est pas traiter à coup de molécules une maladie putative qui ne se serait peut-être jamais déclarée. C’est savoir identifier un dysfonctionnement avant son apparition objective sous les microscopes. C’est traiter un déséquilibre, vibratoire, c’est-à-dire invisible mais bien réel, qui n’a pas encore dégénéré. Ceci demande la remise en question d’une médecine matérialiste au profit d’une médecine énergétique, capable de mettre en évidence les dérèglements du corps avant qu’ils ne se manifestent physiologiquement, et surtout capable de les réguler. C’est ce que font la médecine traditionnelle chinoise, la kinésiologie ou l’homéopathie pour ne donner que quelques exemples.
Guérir, c’est retrouver un état de santé antérieur. Ce n’est pas
faire disparaître des symptômes en en créant de nouveaux. Ce n’est pas
faire péricliter l’état général ni le « moral », c’est à dire son
équilibre émotionnel et mental, dont on ne fait pas grand cas si c’est
le prix à payer pour des analyses physiopathologiques normalisées. Un
traitement médical devrait pourtant servir à rétablir la santé perdue,
au sens large du terme, en tant qu’équilibre global, à la fois physique,
émotionnel et mental. Il ne devrait pas être cantonné à couvrir les
symptômes de plus en plus voyants d’une maladie en progression
constante. Dans cette perspective, guérir, c’est résolument s’affranchir
de médications à vie. Sans cette promesse, qui devrait être la promesse
d’une médecine digne de ce nom, il faut comprendre les malades qui
préfèrent jouer la carte du nihilisme thérapeutique. Cela laisse un vide
énorme à combler.
Conclusion
La voie radicale prônée par Ivan Illich, sur la base de constats objectifs [6], semble bien avec le temps avoir élargi son public. L’espoir illusoire que « bientôt » nous aurons la solution à toutes les maladies semble avoir fait son temps. Ce vœu pieux entre en contradiction avec la succession effrénée de théories physiopathologiques et des revirements et contradictions dans les traitements en vogue. Elle acte une rupture avec la confiance absolu dans les « progrès médicaux ». Elle signe pour la médecine la fin de la possibilité de temporiser en faisant miroiter cet espoir, tout autant que l’urgence de trouver une voie thérapeutique efficace à long terme et sans danger, s’appuyant enfin, comme toute science, sur de véritables lois, sans se contenter de la seule statistique.
L’aspect péjoratif du nihilisme thérapeutique n’existe que dans le regard de l’ignorant, pour qui l’arrêt du traitement à vie est inconcevable. Car il s’agit en réalité un aveu d’impuissance. Un nihilisme thérapeutique bien compris ne serait pas « ne rien faire », mais laisser faire ce qui peut être fait – en connaissance de cause – en dehors d’une intervention parfois risquée et souvent inutile. Cela peut faire peur comme un saut dans le vide. Le saut dans l’inconnu d’un nouveau paradigme à investir. Mais il peut être réconfortant de comprendre que pour compléter cette purge de médicaments symptomatiques toxiques, il reste bien des voies à explorer pour le mieux-être des malades.
Notes
[1] https://journals.openedition.org/ae...
[2] « Pour être commercialisée, une spécialité pharmaceutique doit obtenir préalablement une autorisation de mise sur le marché (AMM). L’AMM est demandée par un laboratoire pharmaceutique, pour sa spécialité, sur la base d’un dossier comportant des données de qualité pharmaceutique, d’efficacité et de sécurité, dans l’indication revendiquée ». https://sante.gouv.fr/soins-et-mala...
[3] Ici un petit laboratoire familial, fier de sa connaissance des plantes depuis trois générations. https://www.ouest-france.fr/pays-de...
[4] C’était le projet de l’association Amavie à sa création que de le démontrer, base de données Ameli à l’appui.
[5] https://www.leem.org/la-medecine-in...
[6] Voir son ouvrage Némésis médicale
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