Le document de référence traditionnel de BP vient de connaître sa 72ème édition, cette fois sous l’égide d’un certain « Energy Institute » (ci-après EI). Ce changement de patronage s’accompagne d’une inflexion politico-idéologique comme on peut le constater à la lecture de l’introduction et des commentaires de cette nouvelle Statistical review of world energy. Espérons que les statistiques irremplaçables publiées par BP pendant 70 ans en sortiront indemnes. Pour le moment du moins, la présentation de la base de données de cette édition 2023 reste identique aux précédentes, avec les mêmes séries longues mises à jour jusqu’à l’année 2022 incluse. Les graphiques qui suivent sont destinés à illustrer les données énergétiques principales, en laissant provisoirement de côté la question de l’électricité.
Les années 2020-2022 ont été perturbées notamment
par la crise du Covid, le rebond post-épidémique puis les hostilités en
Ukraine, mais globalement les tendances énergétiques mondiales n’ont pas
été sensiblement altérées, comme on va le voir.
Evolution de la consommation mondiale d’énergie primaire répartie entre les différentes énergies (exajoules EJ) et en surimpression l’évolution des émissions anthropiques de CO2 dues à la combustion des énergies fossiles (milliards de tonnes ou Gt de CO2).
L’évolution des émissions de CO2 (double trait) coïncide par définition avec la somme des trois énergies fossiles, selon la relation approximative : 0,07 Gt CO2 pour 1EJ fossile soit 70 Mt de CO2 pour 1 EJ fossile (en 2022, 34,4 Gt pour 494 EJ fossile) et ceci presque sans discontinuer depuis 1980.
Evolution de la consommation d’énergies non fossiles.
Dans les années récentes, leur croissance est surtout due aux énergies intermittentes, qui compensent à peu près la légère baisse des fossiles.
Répartition des énergies en 1990 et 2022
La répartition des différentes sources d’énergies respectivement en 1990 (année de référence) et en 2022 est illustrée par les deux graphiques suivants. Dans l’intervalle, la consommation d’énergie primaire est passée de 344 EJ à 604 EJ, soit une multiplication par 1,75.
En
2022, les énergies intermittentes (solaire et éolien) ne représentent
encore que 5,5% du total. De 1990 à 2022, les énergies fossiles sont
passées de 87% à 82% : le charbon est resté à 27%, le pétrole a cédé du
terrain au profit du gaz naturel. Le nucléaire a progressé en quantité
mais régressé en pourcentage.
Evolution de la consommation d’énergie primaire entre 1990 et 2022, répartition entre grandes régions du monde.
Les États appartenant à l’OCDE sont mis en évidence par une trame hachurée.
Les
pays les plus développés ont pratiquement stabilisé leurs consommations
depuis plus de vingt ans : la croissance globale est exclusivement le
fait du reste du monde, surtout le sud-est asiatique et en premier lieu
la Chine.
Evolution des émissions de CO2, qui traduit celle des consommations d’énergies fossiles (à un facteur près comme on l’a vu précédemment).
La diminution progressive – bien visible – des émissions des pays les plus développés est compensée par l’augmentation du reste du monde.
Émissions de CO2 en 2022, répartition entre régions du monde
Les États de l’OCDE dans leur ensemble (secteurs tramés sur le graphique ci-dessous) ne représentent plus que le tiers des émissions mondiales, presque rattrapés par la Chine. L’Union européenne (format UE28) représente 9% des émissions (dont la France 0,8%).
Contenu de l’énergie primaire en CO2
Le rapport entre les émissions de CO2 et la consommation d’énergie, exprimé en millions de tonnes de CO2 par exajoule est l’un des « facteurs de Kaya » particulièrement surveillé puisqu’il mesure la « décarbonation » de l’énergie à laquelle les instances internationales accordent tant d’importance. Le graphique ci-dessous montre que le contenu en CO2 de l’énergie consommée est partout en baisse régulière depuis une dizaine d’années, mais à des niveaux diversifiés.
Pour le monde entier, il faut compter 57 MtCO2 pour 1 EJ primaire (ne pas confondre avec les 70 MtCO2 pour 1 EJ fossile). Les
États de l’OCDE font « mieux » que les autres, l’Union européenne mieux
que l’OCDE en général. La France est le troisième pays le plus
« décarboné » du monde, derrière la Suède et la Norvège : ce dernier
exemple suggère qu’il existe une sorte de minimum technique aux
alentours de 15 à 20 Mt CO2 par EJ grâce à une électricité presque entièrement hydraulique.
Dans les comparaisons précédentes,
il faut rappeler que les « progrès » et les scores flatteurs
enregistrés par les États de l’OCDE résultent en partie du transfert
progressif des activités industrielles vers les pays moins développés.
Cette désindustrialisation semble commencer à alarmer nos dirigeants,
comme on a pu le constater lors de la crise du covid. Mieux vaut tard
que jamais.
Globalement, la diminution du contenu en CO2 est compensée par l’augmentation de la consommation d’énergie, ce qui explique que les émissions de CO2 ne décroissent pas et ne décroîtront pas de sitôt, contrairement aux objurgations de nos maîtres à penser.
Production et réserves mondiales de produits fossiles
Les réserves n’ont pas été mises à jour par EI (sans explication), il s’agit donc ici des réserves estimées à fin 2020. Les graphiques qui suivent concernent respectivement les trois produits fossiles et sont de trois types :
1/ graphiques chronologiques (1980-2022) superposant les réserves (en tiretés échelle de gauche) et la production (en doubles traits échelle de droite) avec des échelles appropriées ;
2/
graphiques chronologiques (1980-2020) du rapport « réserves sur
production (R/P) » qui exprime le nombre d’années restant à courir avant
l’épuisement des réserves en supposant que la production annuelle se
maintienne au niveau de la dernière année connue (hypothèse toute
théorique) ;
3/ graphiques de la répartition des réserves fin 2020 entre les principaux pays détenteurs.
Pétrole
La courbe supérieure des réserves en petits tiretés bleu clair tient compte de gisements du Canada (oil sands) et du Venezuela (Orinoco belt) dont l’exploitation future n’est pas certaine : le graphique du rapport R/P n’en tient pas compte. La production de pétrole a pratiquement retrouvé son niveau des années 2015-2019, après une baisse sensible due notamment à la baisse temporaire du trafic aérien.
Gaz naturel
La baisse du rapport R/P s’explique surtout par l’augmentation importante de la production ces cinq dernières années.
Charbon
Par simplification, l’anthracite et le lignite ont été sommées. L’estimation des réserves est particulièrement erratique. BP ne publie d’ailleurs pas de séries historiques, il faut donc les reconstituer à partir des rapports annuels, c’est pourquoi la série n’est tracée qu’à partir de 1998 (quoiqu’il existe ailleurs des séries de données pour les années antérieures). La production était à peu près constante depuis une dizaine d’années, elle s’est redressée en 2022 de façon spectaculaire : l’année 2022 aura été l’année du charbon.
Synthèse des réserves et des productions
On peut synthétiser les données précédentes dans le tableau suivant (très simplifié).
Il est banal de constater que les réserves estimées de produits fossiles, qui ne sont qu’imparfaitement connues, se maintiennent sensiblement au même niveau, leur extraction progressive étant compensée par de nouvelles découvertes ou de nouveaux processus. Bref, tout laisse à penser que l’épuisement des ressources n’est pas (encore) à l’ordre du jour, malgré les incantations périodiques aux prétendus « pics » de productions.
Répartitions géographiques des productions
Les trois graphiques suivants fournissent un aperçu de cette répartition très inégale entre les régions du monde, qui reflète sensiblement celle des réserves.
Pétrole
Gaz
Charbon
Il serait fastidieux de commenter ces trois graphiques. Signalons que les feuilles relatives aux échanges internationaux de produits fossiles n’ont pas été mises à jour par EI pour 2022 : le lecteur intéressé pourra trouver des tableaux à double entrée pour 2021 dans l’article de l’an dernier, tout en se rappelant que ces échanges ont dû être sensiblement modifiés en 2022 pour les raisons que l’on sait.
Conclusion
Un simple coup d’œil sur tous ces graphiques mettent à mal les « scénarios » énergétiques du GIEC – dont quatre au moins ne sont que de fausses fenêtres – ainsi que le fameux « Net Zero » qui s’effiloche progressivement. Sous le regard ironique des quatre-cinquièmes de l’humanité, les Etats occidentaux se sont fourvoyés dans un modèle énergétique dont la frivolité et l’extravagance apparaissent de plus en plus au grand jour. Nos « autorités », qu’elles soient politiques, médiatiques ou « scientifiques », restent murées dans leur oratoire, aveugles et sourdes aux réalités. Aveugles et sourdes, mais non pas muettes, à voir la logorrhée pléthorique et répétitive dont elles nous inondent à longueur de temps, matraquage incessant qui rappelle des époques ou des régimes peu engageants. On se demande avec inquiétude si – et quand – ce moulin à prière va s’enrayer. En attendant, les opinions publiques occidentales en restent comme médusées : pour combien de temps encore ?
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