Depuis la Renaissance, la diplomatie sert à atténuer les rapports de force dans les relations internationales. Il s’agit de créer les conditions d’un dialogue constructif dans le but de trouver un accord de paix plutôt qu’une guerre. Bien évidemment, cela suppose de reconnaître les lois et coutumes des pays signataires d’accords bi ou multilatéraux et surtout de créer un réel climat de confiance. Dans ce cadre, le protocole (ou un Traité) tient un rôle important en officialisant l’engagement des parties. Reste que tout cela semble désormais appartenir à un passé très lointain : nombreux sont les États qui, finalement dans l’histoire, n’ont pas respecté pas la parole donnée. Mais ce comportement du double langage semble aujourd’hui s’intensifier : les États-Unis ont bien souvent manipulé les opinions mondiales ; le contrat entre l’Otan et l’Urss n’a jamais été respecté au regard de la réunification de l’Allemagne ; Paris et Berlin n’ont délibérément pas tenu leurs engagements dans le cadre des accords de Minsk ; et Monsieur Justin Trudeau n’assure pas la confidentialité des échanges diplomatiques, comme l’avait déclaré avec colère en novembre 2022 Monsieur Xi Jinping. Pour ne citer que quelques exemples… La récente décision des dirigeants turcs de transférer les commandants du bataillon néonazi Azov en Ukraine, selon les experts, ne restera pas sans réponse de la part de la Russie. En fait, la violation des accords précédents rompt désormais le schéma habituel des relations entre la Russie et la Turquie.
Samedi, Volodymyr Zelensky a annoncé qu’il revenait de Turquie en Ukraine avec cinq commandants du bataillon national Azov – une organisation reconnue comme terroriste et interdite sur le territoire de la Fédération de Russie. Dans une vidéo publiée sur la chaîne Telegram du président ukrainien, ce dernier, accompagné de son chef de bureau, Andriy Yermak, a rencontré des « Azovites » dans l’un des aéroports de Turquie. Puis Zelensky les a embarqués avec lui dans l’avion pour les ramener à Kiev.
Les pourparlers de Zelensky avec Erdogan ont eu lieu la veille à Istanbul. Un accord sur les céréales, qui expire le 18 juillet, devait être discuté entre les deux hommes. Les autorités turques soulignent régulièrement qu’Erdogan est le seul dirigeant mondial à maintenir des contacts constants avec Poutine et Zelensky. C’est donc à Istanbul que non seulement a eu lieu la négociation de l’accord sur les céréales, mais également la remise de prisonniers.
Le Kremlin a réagi de façon sévère sur ce qui s’est passé
Le secrétaire de presse du président russe, Dmitri Peskov, a qualifié la décision de la Turquie de violation des termes des accords précédents : « Dans cette décision, les conditions ont été violées à la fois par les parties ukrainienne et turque », a-t-il déclaré. Selon l’accord, les militants étaient censés rester en Turquie jusqu’à la fin du conflit, a rappelé également le porte-parole du Kremlin. Il a également noté que personne n’avait informé la Russie du transfert de néonazis à Kiev.
Une source diplomatique en Turquie estime qu’une telle décision ne pouvait être prise qu’à un haut niveau. Il a également attiré l’attention sur le fait que la partie turque ne l’avait pas annoncée. La Russie a donc appelé à une réponse proportionnée à cet incident. Le politologue, rédacteur en chef du magazine « Russia in Global Affairs », Fyodor Lukyanov, estime qu’« il existe suffisamment de lignes de contact sensibles du Caucase à la Syrie », et suggère d’évaluer l’évènement de manière rationnelle. Lukyanov a souligné que la Turquie n’était pas et ne sera pas un allié de la Russie, ne l’a jamais été et n’a d’ailleurs pas aspiré à cela. Il en va de même pour la Russie par rapport à la Turquie.
Une relation d’équilibre complexe malgré de nombreux désaccords
Selon le politologue, les contacts d’affaires entre Moscou et Ankara découlent de la capacité, sur la base de la réciprocité, à s’apporter mutuellement certains avantages (parfois considérables) et, surtout, à ne pas se causer de préjudice significatif. Ce que chaque partie peut, si elle le souhaite, infliger à l’autre. Selon Lukyanov, ce programme fonctionne assez efficacement depuis huit ans. Dans le même temps, la clé du fonctionnement du schéma décrit est la mise en œuvre précise de ce qui a été convenu. Mais s’ils sont strictement observés, cela garantit la poursuite d’une interaction réussie, malgré le nombre possible de désaccords.
Selon le modus operandi tacitement accepté, une violation de l’accord par une partie doit être suivie d’une réponse d’une échelle proportionnée. Après quoi la responsabilité est « annulée » et l’équilibre est rétabli pour poursuivre les actions communes. Selon Lukyanov, c’est précisément dans cette logique que la Russie devrait répondre d’une manière ou d’une autre à la Turquie. Toutefois, les experts interrogés ne sont pas d’accord entre eux sur ce que devrait être la réponse. Mais si Ankara change vraiment d’attitude envers Moscou, cette relation, toutefois, ne peut être abandonnée.
Comprendre les raisons de la décision de la Turquie
Selon l’expert du Conseil russe des affaires internationales, l’orientaliste Kirill Semenov, « pour bien comprendre ce qui a causé une telle décision de la partie turque, vous devez connaître exactement tout le contexte. D’une part, cela peut être le résultat de pressions exercées sur la Turquie par des alliés de l’OTAN et de l’Union européenne. J’admets également que la décision semble due aussi aux problèmes internes de la Turquie, pour lesquels l’Occident a promis d’apporter une aide. Mais j’attire l’attention sur le fait que le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, à la veille de sa visite à Ankara, a annoncé la fourniture d’obusiers turcs pour les besoins des forces armées ukrainiennes. Si cela ne se produit pas dans un avenir proche, nous pouvons considérer qu’il y a eu une négociation et qu’au lieu d’obusiers, l’Ukraine a reçu les commandants « d’Azov ».
Si tel est le cas, Semyonov ne voit pas « de gros problèmes pour les relations russo-turques. Pourtant, le manque de fournitures d’armes pour nous, me semble-t-il, est une priorité. Et dans le cas des « Azov», l’effet est plus médiatique que tangible sur le champ de bataille. Mais, bien sûr, vous devez regarder le sujet dans une perspective dynamique. Si les livraisons d’obusiers sont néanmoins effectuées, nous pouvons conclure qu’il y a des changements dans la position d’Ankara. Dans ce cas, bien sûr, nous devrons réagir assez durement ».
L’expert admet également qu’il aurait pu s’agir d’une sorte de mesure préventive du président turc Recep Tayyip Erdogan parce que la Russie ne veut pas renouveler l’accord sur les céréales. « Mais dans ce cas, notre refus de le prolonger sera déjà une réponse à l’extradition des « Azov, et non l’inverse. Mais Moscou se réserve le droit à répondre de façon plus dure si la partie turque est vraiment passée à une position pro-ukrainienne ».
Pour sa part, Vadim Trukhachev – professeur agrégé au Département d’études régionales étrangères et Politique étrangère de l’Université d’État russe des sciences humaines – estime que « la Russie devrait répondre aux actions d’Ankara en refusant de prolonger l’accord sur les céréales. A mon avis, une telle mesure serait tout à fait proportionnée. En outre, il y a une question distincte des agents d’influence turcs en Russie. Tout d’abord, nous parlons des représentants de la diaspora azerbaïdjanaise, car ce n’est plus un secret pour personne que l’Azerbaïdjan est devenu le bras de la Turquie dans de nombreux domaines ».
La Turquie choisira toujours de s’assoir sur la « chaise occidentale »
Trukhachev a rappelé que les Turcs avaient gagné beaucoup d’argent grâce à l’accord sur les céréales. Il apporte en outre les explications suivantes : « En même temps, il n’y a rien d’étonnant : la Turquie n’a jamais été un allié absolu de la Russie. La Turquie est membre de l’OTAN, et elle a un accord d’association avec l’Union européenne et des bases militaires américaines sur son territoire. Et force est de constater qu’elle n’y changera rien. Si Ankara est confrontée à la question d’un choix difficile et sans ambigüité entre la Russie et les pays occidentaux, elle choisira sans aucun doute ces derniers. En tant que membre de l’OTAN, la Turquie participe à l’armement de l’Ukraine. Le fait qu’elle n’ait pas adhéré aux sanctions et entretienne des relations avec la Russie est une imitation d’une sorte de politique indépendante. En même temps, on ne peut même pas dire qu’Ankara « est assis sur deux chaises ». Elle s’assoit exclusivement sur la « chaise” occidentale, tournant simplement son visage vers la Russie »
A son tour, Konstantin Dolgov – membre du Conseil de la Fédération et ancien représentant adjoint de la Russie auprès de l’ONU – s’est dit convaincu que « l’Azov », s’il retourne sur le champ de bataille y sera détruit. Il souligne que « les actions de la Turquie et de Kiev sont une violation flagrante des accords existants. Mais la chose la plus importante maintenant est différente. Si ces nationalistes retournent vraiment dans la zone de guerre, ils seront éliminés sur place, il n’y aura pas de seconde captivité. J’en suis absolument convaincu ».
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