La Syrie est-elle vraiment entrée dans la dernière ligne droite ? Certainement. La question est toutefois de savoir si la Syrie progressera graduellement à travers les virages et les échelles de la fin de la partie, ou si elle redeviendra le théâtre d’un conflit lorsque des « incidents » éclateront et qu' »Israël » lancera des attaques aériennes répétées.
Dans l’enchevêtrement sanglant de la politique américaine déclenchée par l’assassinat d’Yitzhak Rabin en 1995 et l’accession de Benjamin Netanyahou au poste de premier ministre dans la foulée, la Syrie était avant tout la « tête » de ce conflit vicieux et semble aujourd’hui destinée à en être la « fin » , à mesure que le lien entre la Russie et la Chine met à mal la stratégie « diviser pour mieux régner » mise en œuvre à l’époque de l’hégémonie américaine.
La catastrophe a commencé dans la région lorsqu’un groupe de néo-conservateurs américains – qui occuperont plus tard de hautes fonctions dans l’administration Bush – a rédigé en 1996 un document politique intitulé « Une rupture nette » , destiné à guider le nouveau gouvernement intransigeant de Netanyahou en « Israël » .
Comme l’a écrit Dan Sanchez, « la rupture nette a été pour Israël (et finalement pour les États-Unis) ce que le discours Sang et Fer d’Otto von Bismarck de 1862 a été pour l’Allemagne – alors qu’il mettait l’Empire allemand sur un sentier de guerre qui allait finalement embraser l’Europe. [Ce que] l’on oublie souvent, c’est que le document proposait un changement de régime en Irak, principalement comme « moyen » d’affaiblir, de contenir et même de faire reculer la Syrie » . En d’autres termes, la Syrie a toujours été une cible privilégiée.
Et renverser Saddam Hussein en Irak, en d’autres termes, n’était qu’un tremplin pour « mettre la main » sur la Syrie. Comme l’a dit Pat Buchanan : « Dans la stratégie Perle-Feith-Wurmser, l’ennemi d’Israël reste la Syrie, mais le chemin de Damas passe par Bagdad » .
La Rupture nette préconisait essentiellement que les États-Unis changent le régime des États régionaux baasistes socialistes laïques (considérés par les auteurs du document comme des mandataires de la Russie) et qu’ils s’allient à l’islamisme et aux « monarques et émirs » .
Aujourd’hui, les « monarques et émirs » sont fermement ancrés dans l’axe eurasien en pleine ascension. La nouvelle architecture de sécurité émergente, autour de laquelle tourne tout le reste, est l’accord entre l’Arabie saoudite et l’Iran, conclu sous la médiation de la Chine.
La simple logique d’un rapprochement entre l’Arabie saoudite et l’Iran rend manifestement superflu l’espace de combat syrien actuel, défini pendant une décennie comme opposant les forces sunnites radicales aux chiites syriens, alliés de l’Iran. Cela n’a plus de sens dans le sillage de l’accord entre l’Iran et l’Arabie saoudite.
Les États du Golfe, dont l’Arabie saoudite, s’empressent donc de rétablir leurs relations avec Damas. La Turquie, qui prend également ses distances avec Washington, cherche elle aussi une formule lui permettant de se retirer de Syrie. Pour conclure l’accord, le président Erdogan souhaite une rencontre rapide avec le président Assad (avant les élections turques de mai), sous les auspices de Moscou. Tandis qu’à Damas, on préfère attendre de voir les « reçus » des élections turques avant d’entamer une réconciliation directe avec Erdogan. Pour l’instant, le retrait de la Turquie est gelé.
Paradoxalement, le président Assad est aujourd’hui devenu une sorte d’icône d’une politique arabe nouvellement affirmée : les États du CCG se présentent comme un « centre de pouvoir » mondial latent, sur le point de devenir le réseau transactionnel qui consolidera le cadre de transit eurasien, le corridor nord-sud vers le Golfe et l’Asie, et le réseau ferroviaire africain à grande vitesse.
Le corridor de la Nouvelle route de la soie passe bien sûr par la Syrie. (Il traverse également l’Iran, le corridor Nord-Sud coupant l’Iran en deux verticalement). C’est la logique qui sous-tend la vision de la mise en réseau du « centre de pouvoir » émergeant du CCG.
Alors, la Syrie est-elle vraiment entrée dans la dernière ligne droite ? Certainement. La question est toutefois de savoir si la Syrie progressera graduellement à travers les virages et les échelles de la fin de la partie, ou si elle redeviendra le théâtre d’un conflit lorsque des « incidents » éclateront – avec « Israël » menant des attaques aériennes répétées contre des infrastructures iraniennes (présumées).
L’Iran a vigoureusement mis en garde les États-Unis contre toute attaque de bases en Syrie établies « à l’invitation » de Damas, après qu’une attaque de représailles des F-15 américains contre des bases de milices a tué dix-neuf personnes la semaine dernière. Cette dernière répondait à des tirs de roquettes visant la base américaine du champ pétrolifère d’Al-Omar à Deir Ezzor. Pour la première fois, les attaques des milices ont entraîné la mort d’un « contractant » américain et blessé cinq soldats américains, selon les chiffres officiels américains.
Le nombre réel de victimes pourrait bien être plus élevé, car les États-Unis affirment qu’un certain nombre de leurs militaires auraient souffert de problèmes de santé mentale à la suite des attaques à la roquette. Le point le plus important, cependant, est que les drones iraniens ont réussi à pénétrer les systèmes de défense aérienne entourant les bases américaines.
Comme on pouvait s’y attendre, au moment même où Assad est progressivement réintégré dans le giron arabe, un groupe de près de 40 « experts » américains sur la Syrie et d’anciens fonctionnaires américains se sont levés pour demander à l’administration Biden de s’opposer vigoureusement à la normalisation de la Syrie par les États arabes. La lettre affirme que les États-Unis devraient maintenir leur empreinte militaire dans le nord-est de la Syrie, en partenariat avec les Forces démocratiques syriennes (FDS).
En clair, l’attaque des milices contre la base d’al-Omar n’était pas un « coup de tonnerre », mais a apparemment résulté d’une coordination informelle entre la Russie et l’Iran visant à expulser entièrement la présence américaine de Syrie. Un commentateur iranien de haut niveau en matière de politique étrangère a fait remarquer sur Twitter : « Le régime américain devrait réfléchir très attentivement à sa prochaine action. Ne pas tenir compte de la détermination de la résistance contre l’occupation illégale des États-Unis sera extrêmement coûteux » .
Alors que les Russes, d’une part, signalent leur mécontentement face à l’occupation américaine à Al-Tanf (par des survols réguliers de chasseurs aérospatiaux russes), la partie iranienne semble être chargée de faire pression sur la présence américaine dans les deux gouvernorats d’Al-Hasakah et de Deir Ezzor, dans le nord-est de la Syrie.
Joe Biden a indiqué que les États-Unis ne voulaient pas d’une guerre contre l’Iran. Et « Israël » n’a pas la capacité de mener une guerre contre l’Iran, sans le soutien total des États-Unis. Toutefois, Netanyahou, qui traverse une crise majeure dans son pays, pourrait se réjouir d’une « guerre » non déclarée, de faible intensité avec des successions d’attaques et de représailles contre l’Iran, afin de détourner l’attention de ces difficultés. L’équipe Biden observera la situation avec inquiétude.
Alastair Crooke
Traduit par Zineb, relu par Wayan, pour le Saker Francophone
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