On assiste à une grande divergence entre le monde occidental et le reste de la planète. Après plus d’un an de guerre, la majorité des États de la planète ne s’interroge plus sur la responsabilité de la Russie dans son déclenchement mais sur les moyens d’arrêter le conflit. C’est dans le monde occidental qu’on entretient l’Ukraine dans une attitude jusqu’au-boutiste. Cette attitude n’est pas sans danger : on constate, ces derniers jours une montée des tensions – jusqu’à l’attaque de drones contre le Kremlin, que l’Ukraine a fini par revendiquer. Le danger de la fuite en avant – sans perspective de victoire ukrainienne – est réel.
La chute de Bakhmout est proche
A Bakhmout/Artiomovsk, l’armée ukrainienne ne contrôle plus que 5% de la ville. Il s’agit essentiellement de grands immeubles résidentiels, dans lesquels sont retranchés les derniers combattants ukrainiens qui tiennent les quartiers à l’ouest la ville. Les tentatives pour envoyer des renforts en hommes et en matériels vers Bakhmout se sont soldés par des échecs.
Du coup, les Ukrainiens se retirent, y compris en faisant exploser des immeubles qu’ils doivent abandonner, faisant des victimes parmi la population civile. Notons bien ce premier symptôme d’une tendance ukrainienne (et occidentale) à la radicalisation.
Pour l’instant, les Russes n’ont pas changé de rythme, au risque de déconcerter tous les observateurs. Ils avancent, lentement, sur le même mode qu’à Bakhmout, pour prendre Avdeïevka et Marinka, près de Donetsk.
L’Ukraine entre provocations et impuissance
On remarque une multiplication des provocations ukrainiennes. On a ainsi assisté à l’attaque d’une dizaine de drones ukrainiens contre le port de Sébastopol le 29 avril ; l’un d’eux n’a pas pu être arêté et a mis le feu à un dépôt de carburant. De nouveaux tirs du même type ont eu lieu le 2 mai.
Les médias occidentaux ne veulent pas en parler – alors que le devoir d’un journaliste, face à une guerre, est de rapporter les exactions commises des deux côtés. L’opinion européenne est abreuvée de nouvelles sur les crimes de guerre russes mais sous-informée sur les exactions ukrainiennes. Et pourtant, il faut bien parler de l’intensification des bombardements sans aucune utilité militaire sur la ville de Donetsk. Mentionnons le bombardement du quartier autour de la cathédrale de Donetsk pendant la messe de Pâques (orthodoxe, le 16 avril); puis, à nouveau, l’envoi de projectiles fournis par l’OTAN, contre des zones civiles (neuf morts) au centre de Donetsk le 28 avril.
Les Ukrainiens vont plus loin: ils essaient de frapper en profondeur dans le territoire russe. Un attentat a fait dérailler un train dans la région de Briansk. Surtout, l’Ukraine, après l’avoir nié, a fini par revendiquer un tir de drones, dans la nuit du 2 au 3 mai, sur le Kremlin. (une opération dans laquelle les Etats-Unis ont tenu à nier toute implication de leur part).
Très clairement, on assiste à une radicalisation dans la provocation, du côté ukrainien. Monte-t-elle au fur et à mesure que les chances de succès d’une contre-offensive militaire diminuent?
Une (probable) contre-offensive ukrainienne vouée d’emblée à l’échec?
Tous les médias occidentaux le répètent. L’armée ukrainienne s’apprêterait à déclencher une contre-offensive.
Visera-t-elle Zaporojie ? Les Ukrainiens mettront-ils à exécution la menace, réitérée ces derniers mois, de s’emparer de la Transnistrie ? Les Ukrainiens envisagent-ils de lancer une attaque d’envergure contre la Crimée (ce qui ne serait possible qu’avec une assistance logistique occidentale).
En tout cas, le 3 mai, on a remarqué de nombreux vols d’avions de transport militaire OTANiens dans la région d’Odessa. Et l’on a entendu parler, du côté russe, d’une mise en alerte de l’aviation pour des bombardements lourds, en particulier sur des bombardements administratifs à Kiev.
L’Ukraine semble vouloir concentrer sa future offensive sur Zaporojie. Elle va se heurter à un dispositif russe de défense consolidé depuis six mois mais aussi à des armes nouvelles (comme les drones Sirius, les bombes guidées etc….) .
On notera cependant que le président russe Vladimir Poutine a effectué une double visite sur le front : dans la région de Kherson et celle de Lougansk. C’est-à-dire au sud et au nord de Zaporojie. Soit pour vérifier que la ligne de défense russe était aussi efficace à ces endroits qu’à celui où l’on attend l’attaque des Kiéviens. Soit pour imaginer le lancement d’une nouvelle offensive russe dans le cas où l’armée ukrainienne aurait été repoussée.
Ripostes russes
Le test du dispositif de défense russe sur Ougledar, le 18 avril, sur Zaporojie, lundi 24 avril et mercredi 3 mai au soir, donne une bonne idée de ce qui devrait se passer : tentative de percée de l’armée ukrainienne provoquant une réponse foudroyante de l’artillerie russe. Un épisode semblable avait eu lieu dans la région de Kherson le 24 avril.
La Russie vise les centres de commandement, comme celui qui dirigeait la défense de Bakhmout, depuis les environs de Kramatorsk. (et qui doivent prendre la relève ensuite, dans la défense de la ligne suivante de forteresses ukrainiennes, après la chute de Bakhmout. 200 tonnes de munitions ont été détruites près de Kramatorsk. Pour donner une idée, pour la seule soirée du 30 avril, l’armée russe a envoyé 130 missiles sur des cibles militaires ukrainiennes. C’est en fait, chaque nuit, qu’a lieu une salve de tirs russes avec des missiles à guidage précis ou des drones. (ici, ici, ici, ici, ici). L’objectif de la Russie est d’affaiblir autant que faire se peut le potentiel ukrainien avant une offensive ; mais aussi de mettre fin aux tirs à longue portée qui visent en particulier la Crimée.
Tout donne à penser que la montée des provocations ukrainiennes est le produit d’un sentiment d’impuissance croissante. Dans l’espoir de provoquer une réponse tellement dure de la part de la Russie que les États-Unis seraient obligés d’intervenir.
La réponse aux drones envoyés sur Sébastopol a été immédiate et destructrice de la part des Russes
De fait, chaque provocation ukrainienne ou acte de terrorisme commis sur le sol russe conduit à une réponse “disproportionnée” de la part de la Russie. Un bon résumé est proposé pour la fin de semaine dernière par southfront.org :
« Le 29 avril, au moins dix drones ukrainiens ont pris pour cible le territoire de la péninsule de Crimée. L’un d’entre eux a touché le réservoir de carburant de Sébastopol. Les tentatives ukrainiennes de détruire les réserves de carburant russes constituent une étape importante à la veille d’opérations offensives.
Les frappes de représailles russes n’ont pas tardé. Dans la nuit du 1er mai, des attaques massives ont touché des installations militaires dans toute l’Ukraine.
Des explosions ont retenti dans différentes régions de l’Ukraine, notamment à Kiev, Dnipropetrovsk, Sumy, Kharkiv et Ivano-Frankivsk. Au moins cinq explosions ont retenti dans la ville de Kramatorsk, qui est un important nœud ferroviaire utilisé pour l’approvisionnement de l’armée ukrainienne dans le Donbass.
Selon les estimations de la partie ukrainienne, plus d’une centaine de missiles de croisière, ainsi que plusieurs dizaines de drones kamikazes auraient été impliqués dans l’attaque. Cependant, Kiev n’est pas pressé de révéler les dégâts.
Les médias ukrainiens ont noté que l’approvisionnement en électricité n’a pas été interrompu dans les régions ukrainiennes ciblées, ce qui souligne que les forces russes ont frappé exclusivement des installations militaires.
Le chef du bureau du président ukrainien a été contraint de lancer un appel urgent aux Ukrainiens au milieu de la nuit en leur demandant de ne pas publier les vidéos des explosions et de ne pas divulguer le travail de la défense aérienne ukrainienne.
Cependant, certains coups ont été si forts que les Ukrainiens n’ont pas réussi à les dissimuler. Une frappe puissante a touché la ville de Pavlograd, dans la région de Dnipropetrovsk. Les autorités locales ont confirmé qu’un missile russe avait frappé une installation industrielle.
On suppose que la cible était l’usine chimique de Pavlograd, qui était l’une des principales usines de l’URSS pour la production de missiles balistiques à combustible solide.
Après leur démantèlement, les missiles auraient dû être éliminés dans cette usine. Cependant, au début de l’année 2022, il restait environ 30 morceaux de combustible provenant des premiers étages des missiles, soit 900 tonnes au total. Les restes de ce carburant non traité auraient pu exploser lors de l’attaque nocturne.
La cible des frappes russes pourrait également être les ateliers de l’usine, où le carburant est produit pour les nouveaux missiles balistiques ukrainiens à longue portée baptisés “Grim”. Si tel est le cas, le programme ukrainien a été interrompu.
À Pavlograd se trouvent également deux nœuds ferroviaires d’importance stratégique, à partir desquels des échelons militaires chargés d’équipements et de munitions sont transférés vers les lignes de front.
D’après les images filmées sur place, on estime que deux divisions de systèmes S-300 ukrainiens et leurs munitions de réserve ont pu être détruites lors de l’attaque nocturne. Si tel est le cas, ce sont les défenses aériennes ukrainiennes qui ont subi les dommages les plus importants.
À la veille de l’offensive de grande envergure annoncée par Kiev, l’intensité des frappes russes va continuer à augmenter »
Le scepticisme monte en Occident sur la capacité de l’Ukraine à effectuer une percée victorieuse.
Scott Ritter, ancien officier américain des Marines et du renseignement, l’un des meilleurs analystes de la guerre en Ukraine, depuis le début, doute pour sa part de la capacité de l’Ukraine à se remettre de la défaite de Bakhmout. Ritter insiste sur l’importance de Bakhmout/Artiomovsk dans le dispositif des lignes de défense ukrainiennes. Il répète son étonnement que l’armée ukrainienne ait englouti plusieurs dizaines de milliers d’hommes (tués et blessés) dans la défense de la ville.
Lucas Leiroz insiste sur l’importance des pertes subies par l’armée ukrainienne dans la bataille de Bakhmout (le ministre russe de la défense a parlé de 15.000 tués ou blessés graves pour le seul mois d’avril).
On ajoutera que l’Ukraine reçoi aussi de l’OTAN des matériels défectueux ou vétuste. D’une manière générale, l’OTAN est de facto cobelligérante sans en prendre les moyens (par exemple, la rencontre entre le secrétaire à la Défense américain, Lloyd Austin et son homologue ukrainien, général Alexis Reznykov à Ramstein le 21 avril dernier, n’ a permis à la partie ukrainienne de s’assurer une livraison d’avions).
Le Général Cavoli, qui commande les troupes américaines en Europe, a déclaré devant la Commission de la Défense de la Chambre des Représentants,que l’Ukraine était en train de perdre la guerre. Quant à CNN, elle a diffusé pour la première fois un reportage sur les Ukrainiens réfugiés en Russie en soulignant qu’ils n’avaient pas été déportés mais avaient fui le gouvernement ukrainien. (On notera, de fait, que presque 3 des 8 millions de réfugiés ukrainiens se sont retrouvés en Russie). Un tournant ?
Alors que le reste du monde veut la paix, USA et UE entretiennent Zelenski dans ses illusions
Quoi qu’on pense de la lenteur de l’armée russe sur le terrain (pour ma part je suppose qu’elle s’explique d’abord par le souci de Vladimir Poutine d’éviter la radicalisation occidentale qui serait inévitable s’il montrait trop ouvertement sa force), force est de constater que l’armée ukrainienne connaît une terrible attrition, quelles que soient les livraisons occidentales d’armes et de munitions.
Le bon sens commanderait de mettre fin à la guerre avant que l’Ukraine soit totalement détruite sous la puissance de feu des Russes. C’est ce qu’aurait implicitement suggéré Xi à Zelenski si l’on en croit les compte-rendus de leur conversation téléphonique. « Le dialogue et la négociation sont la seule méthode » a répété Xi, selon la presse chinoise.
Et, nous avons eu l’occasion de l’expliquer dans les synthèses géopolitiques de la semaine dernière, le point de vue exprimé par le président chinois est largement partagé hors du monde occidental. Il y a à présent, comme le montre la carte ci-dessus, dix-neuf pays qui veulent rejoindre les BRICS.
En revanche, on assiste à la radicalisation d’une partie des dirigeants occidentaux, au point d’entretenir l’Ukraine dans ses illusions.
Les Britanniques ont confirmé qu’ils avaient envoyé, malgré tous les avertissements russes, des armes à uranium appauvri. Mais on pourrait parler aussi de double jeu français vis-à-vis de la Russie. Ce sont des appareils français qui auraient effectué, depuis la Roumanie, les reconnaissances nécessaires à l’envoi des drones contre Sébastopol. Quant à Thierry Breton, il fait le tour de l’Union pour faire l’apologie de la fabrication massive de munitions. Et pendant ce temps, les Allemands expulsent des diplomates russes.
Il semble que l’on puisse parler d’une forme de déviance militariste occidentale dans un monde qui aspire globalement à des relations internationales pacifiées. Il est particulièrement frappant de constater que dans la plus grande partie du monde, même les gouvernements les plus critiques de l’attitude de la Russie en février 2024 prônent un compromis entre les deux parties. Alors que l’axe transatlantique entretient Zelenski dans son jusqu’au-boutisme.
Fuite en avant ?
Source : https://lecourrierdesstrateges.fr/2023/05/04/guerre-dukraine-jour-435-lukraine-et-lotan-tentes-par-la-fuite-en-avant/
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