Au Kivu (est du Congo), les semaines se suivent et se ressemblent : massacres, viols, déportations des populations civiles, pour un bilan qui atteint 10 millions de morts depuis trente ans. Des massacres qui s’expliquent par la rivalité entre le Congo et le Rwanda.
Rwanda, année 0
Tout commence au Rwanda dans les années 1990. Le pays est constitué de deux ethnies principales : les Hutus (les plus nombreux) et les Tutsis. Ces derniers ont toujours dirigé le Rwanda. C’est de cette ethnie qu’est issue la famille royale quand un roi dirigeait le pays. Au moment de la décolonisation, le choix fut fait, comme partout en Afrique, d’imposer le suffrage universel uninominal. Et comme partout en Afrique, ce type de vote se fait non pas selon des logiques nationales, mais selon des logiques ethniques. L’ethnie la plus nombreuse remportant l’élection, les Hutus ont pris le pouvoir, chassant les Tutsis. À cette révolution politique s’ajoute un accroissement de la population qui fait que les deux ethnies rivales sont désormais plus imbriquées et peuvent moins vivre en autonomie les unes des autres. D’où des massacres réguliers au cours des années 1970-1980. Jusqu’au moment où vint le grand massacre, le génocide de 1994, dans lequel périrent un million de personnes en quelques semaines. Massacres mutuels qui virent des Hutus tuer des Tutsis et des Tutsis se venger sur les Hutus.
Le chef tutsis et héritier de la famille royale rwandaise Paul Kagamé profita de la situation pour prendre le pouvoir. Ce fut le retour des Tutsis à la direction du Rwanda. Mais pour conserver ce pouvoir, Kagamé mène une double politique : chasser les Hutus du Rwanda et prendre le contrôle du Kivu, région située à l’est du Congo, mais peuplée par de nombreux Tutsis. Et qui en outre regorge de ressources minérales majeures, ce qui excite bien évidemment bien des convoitises.
Congo : entre indépendance et influence
Étant donné sa taille et son poids démographique, le Congo pèse au centre de l’Afrique. Durant la période de guerre froide, les États-Unis ont soutenu le maréchal Mobutu en échange de sa lutte contre le communisme et de son maintien dans le camp occidental. Les choses évoluent avec la fin de l’URSS et de la menace soviétique. Mobutu est renversé en 1997 par Laurent-Désiré Kabila, lui-même soutenu par Kagamé. L’Ouganda, qui servait déjà de base arrière au FPR (Front patriotique rwandais, armée de Kagamé), accueillit les préparatifs de l’invasion du Zaïre (devenue RDC – République démocratique du Congo), jusqu’à recevoir toutes les armes destinées à la conquête. Au Zaïre même, une partie de la population tutsie habitant l’est du pays s’investit dans le projet de Kagamé pour organiser la chute de Mobutu. Ces Tutsis se plaignirent alors d’être marginalisés et persécutés, ce que les rapports américains nuancèrent constamment.
Peu importe, c’est grâce à cette base rwandaise et tutsie que Kabila put renverser Mobutu et prendre le pouvoir. En échange, des Tutsis furent nommés aux postes clefs du Congo, notamment comme chef d’état-major et comme ministres. Quand Kabila voulut se séparer de ses soutiens rwandais, il fut assassiné (2001).
Pour lui succéder, c’est son fils présumé, Joseph Kabila, qui fut installé à la tête du Congo. Il est surtout le fils de l’épouse de Laurent-Désiré, issu d’une famille du Kivu et lui-même Tutsi. Kabila fils resta au pouvoir jusqu’en 2019, année où il fut contraint de partir. C’est Félix Tshisekedi qui lui succéda, fils d’un ancien Premier ministre du Congo, issu du peuple Luba originaire du Kantanga (sud-est du Congo). Un changement politique qui était aussi un changement stratégique avec un recul de l’influence du Rwanda dans la structure politique du Congo et une moindre prédominance de l’importance du Kivu et des Tutsis.
Les problèmes congolais ne furent pas résolus pour autant.
Rêves d’Afrique
Laurent-Désiré Kabila était considéré par la Banque mondiale comme celui qui ferait décoller l’Afrique dans l’économie de marché, il symbolisait la réussite future de la région. Ce n’était qu’éléments de langage de Washington qui cherchait tout simplement un pantin pour puiser inlassablement dans les ressources minières du Congo. Comprenant la situation, Kabila s’est retourné contre ceux qui l’avaient porté au pouvoir. Mal lui en pris puisqu’il fut assassiné. Dans un livre récemment paru, Holocauste au Congo (L’Artilleur), Charles Onana a étudié de nombreuses archives américaines afin de démêler l’imbroglio des années 1990. L’étude des archives du Pentagone montre aujourd’hui que l’opération du Rwanda en 1996 contre son voisin congolais était parfaitement préparée. Kagamé avait obtenu le soutien clair du gouvernement Clinton pour s’emparer de l’est Congo, en attestent les nombreux documents déclassifiés.
La succession du « fils » Kabila, au pouvoir jusqu’en 2019, laissa certains analystes contemporains dubitatifs. Joseph Kabila a été formé dans l’armée de Paul Kagamé (le FPR). Lorsque Kabila père fut assassiné, les dirigeants congolais craignirent de s’emparer du pouvoir. Il fallait alors se confronter aux forces de Kagamé, bien plus influentes qu’eux. Ils désignèrent alors Joseph Kabila à l’unanimité. Le calcul visait à limiter les déstabilisations. De nombreuses personnalités congolaises ne camouflent pas le doute sur l’origine ethnique de Joseph Kabila, mais sa nomination arrangeait tout le monde.
Le gouvernement actuel de Félix Tshisekedi chercha initialement à faire la paix avec le Rwanda, en vain. Constatant que ses voisins avaient décidé de s’emparer de l’est du Congo, il a décidé récemment de mettre en cause le Rwanda dans l’invasion de 1996.
Purification politique
Le nombre de morts s’explique sur le plan politique et militaire. Le Rwanda souhaitait dès 1994 s’emparer de la partie est du Congo pour s’approprier tous les précieux minerais riches en cobalt, coltan, etc., qui s’y trouvent. Pour cela, il fallait s’introduire dans la gouvernance congolaise. La dimension militaire s’ajoute à cette dimension politique, car pour avoir la paix, il faut vider l’est du Congo de sa population originelle. Depuis plusieurs années donc, les massacres effroyables se succèdent sans bruit pour laisser Kagamé installer des Tutsis dans la région. On estime qu’environ un demi-million de femmes a été violé. Quand les femmes partent à force de traumatisme ou d’une menace constante, les hommes et les enfants suivent.
Certaines organisations internationales avancèrent en 1994 que les réfugiés rwandais au Congo étaient un dégât collatéral du génocide et de la prise du pouvoir au Rwanda par le FPR. En réalité, comme le montre Charles Onana, la stratégie militaire de Paul Kagamé pour la conquête du pouvoir explique ce déplacement de population hutue. Soutenu par les États-Unis et les Britanniques, le FPR opérait depuis le nord où il trouvait refuge en Ouganda. Lorsque Kagamé franchit la frontière pour fondre sur Kigali, la capitale rwandaise, les populations hutues confrontées à l’avancée militaire auraient très bien pu s’exiler au sud, vers le Burundi, ou vers la Tanzanie à l’est. Elles furent volontairement poussées vers l’ouest par les forces armées du FPR.
Le véritable enjeu de l’opération visait, semble-t-il, les richesses minières se trouvant à l’extérieur du territoire rwandais, dans le Kivu congolais. Pour légitimer une attaque du Congo (à l’époque Zaïre) puis une conquête, Kagamé prétexta l’implication de toutes ces populations exilées dans les atrocités génocidaires. Si certains auteurs des massacres profitèrent en effet du mouvement pour échapper à la vengeance tutsie, la majorité était composée de civils innocents.
Les populations hutues réfugiées au Congo en 1994 n’ont pas été réinvitées au Rwanda. Kagamé veut être élu démocratiquement pour légitimer sa position et l’affaire se complique si son ethnie venait à redevenir minoritaire. Mais avec la présence de ces Hutus au Kivu, Kagamé peut justifier une intervention et ainsi s’immiscer dans les affaires internes du Congo.
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