Il existe (probablement peu de fois dans la vie d’un homme) des moments où l’on se demande si oui ou non les événements politiques relèvent d’une fiction hallucinante, pour ainsi dire psychopathologique, ou bien s’il s’agit d’un cours normal des choses que nous avons mal compris. La réforme des retraites appartient, finalement, à l’un de ces rares instants où le dirigeant de l’une des cinq premières puissances politiques du monde fait un usage tellement personnel du pouvoir que l’on confondrait presque son régime avec celui de Louis II de Bavière, ou avec celui de Néron incendiant Rome pour jouir solitairement de ce spectacle. Vous imaginiez que cela n’était pas possible ? Et bien, sa folie du pouvoir le rend non seulement possible, mais réel.
Il n’est pas sûr qu’un dirigeant rationnel, je veux dire un gouvernant qui « tient » son pays et qui prend des décisions sages, ait décidé un jour de réformer les retraites comme Macron l’a fait. Mais… supposons… Dès lors que Macron avait décidé de réformer les retraires (même si, à ce jour, il n’a donné aucune explication convaincante sur ce sujet), le bon sens pour un Président était de ne pas choisir la voie qui mettrait le pays à feu et à sang pour arriver à ses fins.
Ce qu’un Président devrait dire quand il réforme les retraites
Donc, dès lors qu’Emmanuel Macron décidait personnellement de réformer les retraites, sans que personne n’ait bien compris les motivations qui l’y poussaient, il lui appartenait de réunir lui-même les organisations syndicales (sans le déléguer en TOTALITE à la Première ministre et au ministre du Travail) pour fixer les grandes lignes d’un accord, et il lui appartenait d’expliquer lui-même au pays le sens de cette réforme.
Dans la déroulement des opérations, le bon sens voulait que le Président ouvre ses portes toutes grandes aux syndicalistes, prenne des avis variés, divergents, urticants, consulte, arrondisse les angles, et manifeste sa volonté de concorde pour apaiser le pays.
Après plusieurs journées de manifestations et de grèves « ascendantes », le bon sens voulait aussi qu’il manifeste haut et fort au petit peuple sa volonté de l’entendre, de l’écouter (même pour la forme) et qu’il reçoive les syndicats pour donner le sentiment de ne pas être inutilement, sottement, puérilement, inflexible. Cela s’appelle le sens des responsabilités.
Au surlendemain d’une journée de mobilisation réussie comme celle de mardi dernier, après une série de défaites au Sénat, suivant une monumentale défaite à l’Assemblée, le bon sens consistait à apaiser les ardeurs en recevant ostensiblement les syndicats pour donner le sentiment qu’ils étaient écoutés. Ce genre d’opérations sert, très cyniquement, à apaiser les passions et à éviter, si la réforme est appliquée, qu’elle ne signifie pas pour les perdants une défaite humiliante. Ne jamais condamner son adversaire à sortir d’un conflit la tête basse : une règle élémentaire de la vie ensemble.
Ce que fait Macron
Il se trouve que Macron ne respecte aucune de ces règles élémentaires du code démocratique et semble même faire tout le contraire.
La décision de faire porter la réforme des retraites par une loi de financement de la sécurité sociale rectificative était en soi un « appel au crime », puisque ce véhicule législatif permet d’utiliser le 49-3 sans grever le plafond annuel de recours à ce dispositif. La procédure d’urgence, utilisée en plus de cet artifice, permettait de limiter la durée des débats, sans avoir besoin d’un vote formel à l’Assemblée Nationale. Bref, Macron a parié sur la machinerie bureaucratique, sur les règlements d’Assemblée, pour se substituer au débat et faire passer un texte qui n’a convaincu personne.
Initialement, le jeu partisan des forces parlementaires devait suffire : une majorité relative à l’Assemblée, alliée aux Républicains, une majorité de Républicains au Sénat, acquise à la cause macroniste. Là encore, le bon sens consistait à ménager les alliés pour les pousser à voter dans le bon sens. Entretemps, Dupont-Moretti a fait quelques bras d’honneur à Marleix, et des sénateurs LR ont osé exposer leur malaise face aux pratiques macronistes.
Il faut dire que le gouvernement a fait très très fort dans son mépris de l’opinion publique. On en veut pour preuve le flou qui a régné sur la « retraite minimum » à 1.200€ dont on ne sait toujours pas avec certitude à combien de personnes elle profitera. Selon toute vraisemblance, cette incertitude est due à la profonde incompétence de la CNAV et du ministère du Travail, mal tenus par Olivier Dussopt. Simplement, dans un dossier aussi sensible, le flou gouvernemental ne peut être interprété que comme du mépris pour les petites gens.
Mépriser ? Macron a visiblement décidé de pousser le vice jusqu’au bout. Ce soir, le gouvernement a décidé d’en appeler, au Sénat, au vote bloqué, une espèce de 49-3 sénatorial qui ne dit pas son nom, au terme duquel le débat complet sur le texte de loi n’aura pas lieu. Les sénateurs seront pour ou contre, mais pas dans le détail.
Ce passage en force suit le débat non abouti à l’Assemblée Nationale où aucun vote n’a eu lieu sur le report de l’âge de départ à la retraite à taux plein à 64 ans. Autrement dit, Emmanuel Macron n’aura pas obtenu un vote de sa majorité à l’Assemblée sur le départ à 64 ans, et il n’aura pas obtenu un vote sur l’ensemble de son texte au Sénat. Dans le même temps, les manifestants battent le pavé pour protester contre le texte.
Le refus du dialogue social
Pire ! alors que les organisations syndicales ont officiellement demandé, mercredi matin, à être reçues en urgence après la mobilisation massive de mardi, le Président vient de leur répondre par lettre… Imagine-t-on un pays démocratique où les principales organisations syndicales demandent officiellement à être reçues par le Président de la République, au nom de l’intérêt général, et où ils se prennent une veste en bonne et due forme ?
Bien entendu, ce type de méthode s’appelle « mettre le feu aux poudres » et soit, la méthode relève d’une maladresse suprême, soit elle vise à établir une sorte de rapport de force maladif qui pose de vraies questions sur le sens de la gouvernance en France aujourd’hui.
Une chose est sûre : là où le dialogue devrait régner pour éviter les radicalisations en tous genres, Macron a installé le rapport de force, le silence, la confrontation.
Et c’est précisément ce que nous ne comprenons pas. Nous vivons un moment de raidissement du pouvoir, similaire à ce que Macron nous a infligé durant l’hiver 2018, à cause duquel le pays se raidit inutilement et dangereusement. Certains Présidents fautent par excès de mots, Macron faute par excès de raideur et de silence. Cette stratégie comporte une vraie prise de risque : entre claquements de talons et mutisme, le Président s’enferme personnellement dans une stratégie de l’arrogance qui peut très bien déboucher sur le pire.
Louis XVI n’avait pas fait mieux, et Macron ne peut l’ignorer.
Y a-t-il chez lui de l’inconscience, de l’incompétence, ou une simple jouissance à pousser le pays à bout pour jouir, in fine, de l’incendie de Rome ?
L’histoire proche nous le dira.
Source : https://lecourrierdesstrateges.fr/2023/03/10/retraites-quand-macron-joue-aux-neron-qui-incendient-rome-pour-jouir/
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