La Commission européenne effraye les Européens par une hausse des prix et des problèmes de gaz l'hiver prochain. Ce qui est étonnant, car les experts ne voient pas de raisons objectives pour des pronostics aussi extrêmes. Au contraire, l'Europe a appris à vivre dans les conditions de livraisons minimales de gaz russe. Alors pourquoi la Commission européenne dramatise-t-elle ?
La Commission européenne prédit une hausse des prix et n'exclut pas un déficit de gaz en UE en hiver 2023-2024. Cette prévision économique a été avancée par le commissaire européen à l'Énergie Paolo Gentiloni. Parmi les facteurs de risque la Commission européenne invoque la demande intérieure qui pourrait s'avérer plus grande que prévu si la récente baisse des prix du gaz de gros se reflétait sur les prix de consommation. De plus, la consommation pourrait s'avérer plus durable, et la reprise de la demande en Chine pourrait augmenter la demande extérieure plus que prévu.
C'est pourquoi la Commission européenne voudrait que le mécanisme d'achats communs de gaz, appelé à remplir les réservoirs de l'UE pour l'hiver prochain, soit lancé avant la fin du premier semestre.
Le même avis a été exprimé plus tôt par le patron de l'Agence internationale de l'énergie (AIE) Fatih Birol, mentionnant parmi les risques, outre le retour de la Chine sur le marché en tant qu'importateur de gaz naturel liquéfié (GNL), l'absence de gaz russe et une faible augmentation de l'offre du GNL dans le monde. Le déficit de gaz en UE en 2023 est évalué par l'AIE à hauteur de 27 milliards de mètres cubes.
Mais il n'est pas exclu que la Commission européenne dramatise, et ce, intentionnellement.
Le problème du déficit de gaz pourrait effectivement survenir. Mais les risques de son apparition sont bien moindres que les experts ne l'évaluaient auparavant. Ces derniers supposaient que la météo en automne-hiver serait dans la moyenne statistique et l'épuisement des réservoirs souterrains avoisinerait la moyenne des cinq dernières années. Mais l'hiver s'est avéré extrêmement doux en Europe, et les réserves européennes ont diminué de seulement 20-30%. Ce qui signifie que d'ici la fin de la saison de chauffage il restera 40-60% de gaz dans les stocks, soit 2-3 fois plus qu'au printemps 2022, quand il restait à peine 20-25% de gaz après l'hiver.
La présence d'une telle quantité de gaz en réserve signifie que l'Europe devra faire bien moins d'efforts pour remplir ses réservoirs pour la prochaine saison de chauffage.
Un autre facteur joue en faveur de l'UE et réduit le risque de déficit de gaz l'hiver prochain. C'est un profond changement de la structure de consommation de gaz par les Européens. Ils ont effectivement besoin de moins de gaz qu'avant.
Un hiver doux a joué son rôle, mais le facteur principal est le changement de la structure de consommation de gaz en Europe. Des entreprises d'engrais et de produits chimiques consommant beaucoup de gaz ont fermé en Europe, apparemment définitivement. Une partie des entreprises délocalise, d'autres ferment et les propriétaires n'ont pas encore décidé de la démarche à suivre. Autrement dit, l'économie européenne n'existe plus sous sa forme antérieure. On ignore si c'est une bonne ou une mauvaise chose, mais elle a changé. Elle a besoin à présent de moins de gaz qu'il y a encore deux ans.
L'Europe pourrait se retrouver confrontée à une pénurie de gaz l'hiver prochain seulement si deux facteurs coïncidaient. En cas d'un hiver vraiment froid, ce qui est peu plausible vu les changements climatiques. Et en cas d'une sérieuse concurrence avec la Chine pour le GNL.
Alors pourquoi la Commission européenne dramatise-t-elle? Premièrement, pour maintenir le modèle de la demande économe de gaz établi en Europe. Il a été prescrit à tous les ménages et entreprises de réduire la consommation de gaz de 15%. Sinon, les Européens s'empresseront d'ouvrir des usines pour consommer du gaz.
Un autre objectif de la Commission européenne consiste à imposer juridiquement et au plus vite un mécanisme d'achats de gaz en commun. C'est une idée de longue date de la Commission.
Ainsi, Bruxelles veut recueillir les demandes des pays européens pour des quantités de gaz supplémentaires et en acheter sur le marché en son nom. Il pourrait s'agir de différents instruments d'achat. Il pourrait être question de l'achat sur le marché au comptant ou de la signature d'un contrat au nom de la Commission européenne avec un fournisseur concret, par exemple les États-Unis ou le Qatar.
C'est fait pour minimiser la concurrence pour le gaz entre les pays de l'UE. Le fournisseur peut dicter ses conditions en cas de déficit de gaz sur le marché. La Commission européenne souhaite renforcer la position de l'acheteur grâce à cette demande collective. Car plus la quantité demandée par l'acheteur est importante, plus il peut compter sur un prix attractif.
Cependant, ces avantages immédiats cachent un plan stratégique de la Commission.
Bruxelles cherche à renforcer son pouvoir sur les gouvernements nationaux européens. C'est pourquoi l'objectif du nouveau mécanisme d'achat de gaz consiste à réduire l'influence géopolitique des fournisseurs de gaz, tels que la Russie, sur certains pays européens.
Par exemple, la Hongrie et la Serbie reçoivent du gaz russe avec une remise importante par rapport au prix du marché. Les Européens estiment que ces pays sont loyaux envers la Russie à cause de contrats aussi avantageux. La Commission européenne veut exclure les contrats bilatéraux du commerce gazier.
Bruxelles n'a actuellement aucune emprise sur les contrats gaziers bilatéraux, mais d'ici l'expiration de ces contrats la Commission européenne espère changer foncièrement les règles d'achat du gaz - uniquement via la Commission. Une telle décision peut être imposée seulement en période de crise, c'est-à-dire maintenant.
Alexandre Lemoine
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