06 janvier 2023

Macron va envoyer de quoi équiper un bataillon ukrainien


Commençons par les termes. On appellera « char de bataille », ce qui est communément appelé « char » ou « tank », un engin porteur d’un canon lourd - au minimum de 75 mm- et fortement protégé, ce qui induit un engin d’au moins une trentaine de tonnes et l’usage de chenilles, pour également d’une bonne mobilité tout terrain.

On considère communément que l’armée ukrainienne disposait au début de la guerre d’un peu moins de 900 chars de bataille, tous ex-soviétiques et pour une large majorité des T-64 modernisés en version BM Bulat et surtout BV (plus de 600) avec une petite minorité de T-72 de différents modèles et quelques T-80. Contrairement à la France, l’Ukraine a eu également la sagesse de conserver des chars de bataille en stock, au moins un millier de T-64 et de T-72 à la disponibilité il est vrai très incertaine.

L’Ukraine a reçu ensuite 40 T-72 M de la part de la Tchéquie et 250 T 72 M, M1 et PT-91 de la Pologne, des engins rapidement utilisables par l’armée ukrainienne, car, à quelques détails près, déjà utilisés. On peut y ajouter une part des 533 chars de bataille russes capturés à ce jour selon le site OSINT Oryx et également utilisables pour ceux qui ont été remis en état. On notera à cet égard, l’importance de la Tchéquie et de la Slovaquie, qui ont conservé la capacité de réparer et de moderniser à grande échelle – environ 150 chars/mois- des engins ex-soviétiques et servent largement d’atelier de réparation pour les Ukrainiens.

De l’autre côté, Oryx comptabilise 441 chars de bataille ukrainiens, toutes origines confondues, perdus au combat. Comme toujours, il s’agit là de pertes documentées et donc inférieures à la réalité. Notons par ailleurs que même parmi ceux qui n’ont pas été détruits, dix mois de guerre et de surutilisation ont induit une grande usure des matériels. Le taux d’indisponibilité du parc restant doit être élevé et s’accroître. En résumé, l’Ukraine a perdu définitivement plus du tiers de ses chars de bataille et qu’un bon tiers doit être en mauvais état. Il y a donc en la matière, comme dans toutes les matières en réalité, urgence et après l’artillerie et la défense sol-air, le débat se porte maintenant sur la fourniture d’engins blindés et notamment de chars de bataille occidentaux.

Le problème est que les pays occidentaux ne fabriquent plus que très peu de chars. Tous leurs modèles datent de la guerre froide et seule l’Allemagne est capable de fabriquer un ou deux châssis de char lourd par mois, châssis qui peut servir pour construire un Léopard 2 ou un PzH 2000, l’obusier fourni à l’Ukraine. Dans les autres pays, on se contente de réparer et moderniser l’existant. Les pays ouest européens hésitent également à engager au loin leurs parcs réduits d’engins de gamme 60 tonnes au service, à la maintenance et à la logistique compliqués. On a préféré, en fait l’Allemagne, qui produisent encore un peu, et les États-Unis qui ont des stocks, mais pas la France qui n’a ni l’une ni l’autre de ses capacités, agir en « roque » en fournissant Léopard 2 et Abrams aux pays est européens qui acceptaient de fournir des chars ex-soviétiques.

C’est dans ce contexte que la France vient de jouer un coup diplomatique en proposant d’envoyer les premiers chars de conception occidentale en Ukraine (après le renoncement de l’Espagne en août). Dans les faits, l’AMX-10RC n’est pas vraiment un char de bataille. L’AMX-10 Roues-Canon et pour les derniers modèles également « Rénové » est un engin de reconnaissance, rapide, mobile et suffisamment léger (moins de 20 tonnes) pour être assez facilement déployé. Il se trouve, performance française, qu’on a pu adjoindre un canon de 105 mm sur ce véhicule léger. C’est ce qui nous permis de l’employer de fait comme « char de bataille déployable » dans presque toutes les opérations extérieures depuis quarante ans, tandis que les vrais chars de bataille français, les AMX-30 B2 et surtout les Leclerc, ne l’étaient que pendant la guerre du Golfe, au Kosovo et au Liban.

C’est un excellent engin dans son rôle, très utile par sa mobilité opérationnelle pour servir dans les unités de « pompiers » en arrière du front ou exploitation « cavalière » d’une brèche de celui-ci, comme pendant la bataille de septembre dans la province de Kharkiv. Il est plus simple à utiliser qu’un Leclerc et bien moins complexe à nourrir et entretenir, sauf peut-être pour les munitions de 105 mm qui sont spécifiques et dont on ignore les stocks en France. Il n'est pas fait cependant pour le combat face à des chars de bataille, aux canons plus lourds et de plus grande allonge, et se trouve bien moins protégé que ces derniers face à tout l’armement antichar du champ de bataille moderne.

Comme tout ce que l’on fournit, l’AMX-10 RC n’est également disponible qu’à peu d’exemplaires. Au début de 2021, il y avait 250 AMX-10 RC dans l’ordre de bataille théorique français (mais combien de réellement opérationnels ?) et a commencé depuis cette époque à être remplacé par l’EBRC (Engin blindé de reconnaissance et de combat) Jaguar à raison de 3 par mois environ. À moins de prendre dans l’ordre de bataille, et même ainsi, on pourra difficilement engager plus de quelques dizaines d’unités. On pourra par la suite fournir les AMX-10 RC au fur et à mesure des livraisons des Jaguar, mais il y a intérêt à accélérer la production de ces derniers.

En résumé, la France va envoyer de quoi équiper dans les semaines qui viennent un bataillon des brigades de reconnaissance ou peut-être des brigades de chars ukrainiennes d’un bon engin plutôt rustique, endurant et mobile dont ils sauront sans doute faire un excellent usage, mais qui ne va pas changer le cours de la guerre. Au passage, on communique beaucoup moins sur la livraison des Bastion APC de la société Renault Trucks, un excellent véhicule léger de transport de troupes blindé, un besoin au moins aussi important pour les Ukrainiens que les chars de bataille alors qu’ils subissent de lourdes pertes en étant obligés d’utiliser des pick-up non protégés. Là encore, on n’évoque cependant que quelques dizaines d’unités. La France fait de l’artisanat.

Le plus important est sans doute ailleurs. Pour une fois, la France apparaît en pointe dans un domaine dans ce conflit, même si c’est un peu exagéré, et espère y jouer un rôle moteur. On verra si c’est suivi d’effets. Si l’Allemagne décidait d’engager des Léopards 2 A4 en Ukraine ou si les États-Unis y déployaient des Abrams M1 ou M2, on pourra se féliciter d’avoir initié le mouvement à peu de frais. Le problème est qu’il sera difficile d’expliquer pourquoi on n’engage pas non plus de chars Leclerc.

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