La fin des ristournes pourrait être encore plus brutale que prévu. Elisabeth Borne et TotalEnergies ont annoncé que leurs remises à la pompe à hauteurs respectives de 30 et 20 centimes seraient prolongées jusqu'à la mi-novembre avant d'être réduites à 10 centimes jusqu'à la fin de l'année. Par la suite, Bruno Le Maire a indiqué que des dispositifs ciblés prendraient le relais à destination des personnes contraintes d'utiliser leur voiture.
Mais avant d'en arriver là, une mesure retentissante sera entrée en vigueur: l'embargo de l'Union européenne sur le pétrole russe. Il débutera le 5 décembre et sera suivi par une mesure similaire sur le gazole deux mois plus tard. En 2021, la France importait près de 9% de son pétrole brut et 30% de son gazole depuis la Russie d'après les chiffres du Comité professionnel du pétrole. Des pourcentages qui laissent envisager une forte hausse des prix du carburant et plus particulièrement du diesel dans les mois à venir avec la fin de ces importations.
Une redistribution des circuit commerciaux
"En réalité, cet embargo est évoqué depuis le mois de mars et aussi bien les professionnels que les pouvoirs publics s'y préparent", indique Olivier Gantois, président de l'Union française des industries pétrolières (UFIP).
Les consommateurs ne devraient donc pas manquer du précieux carburant. "Concrètement, cette préparation consiste notamment à identifier des solutions d'approvisionnement alternatifs", poursuit Olivier Gantois.
Parmi ces nouveaux relais, l'Amérique du Nord et notamment les États-Unis mais aussi les méga-raffineries indiennes (NDR : qui raffinent le pétrole russe !) ou encore le Moyen-Orient où certains pays disposent de raffineries spécialement dédiées à l'exportation. Ces deux dernières zones géographiques pourraient être largement prisées afin d'importer du diesel (NDR : à prix fort !) en raison des délais de livraison plus courts grâce à leur proximité géographique. Une source, citée par l'agence Reuters, estime ainsi que l'Europe pourrait importer environ trois millions de tonnes de gasoil sur le mois de novembre, dont deux millions provenant du Moyen-Orient. Cette zone géographique est d'ores et déjà prisée par TotalEnergies par exemple.
D'après Olivier Gantois, un effet de "vase communiquant" pourrait survenir au niveau international avec la signature de nouveaux contrats annuels puisqu'il n'est déjà plus possible de contracter avec la Russie depuis le 4 juin dernier. TotalEnergies a ainsi renoncé à toute opération de trading sur les marchés spot (à court terme) portant sur le pétrole ou les produits péroliers russes dès le lendemain de l'invasion de l'Ukraine. En revanche, le groupe détient encore des contrats à terme d'achats "dont les plus longues échéances sont au 31 décembre 2022." "Ces contrats à terme ont essentiellement pour objectifs de couvrir l’approvisionnement de la raffinerie de Leuna située à l’Est de l’Allemagne et alimentée par le pipeline Druzhba en provenance de Russie, détaille l'entreprise. Ils concernent également l’approvisionnement en diesel de l’Europe qui est déficitaire sur ce produit (environ 12% d’importations de diesel russe en Europe en 2021)."
"La théorie veut qu’il y ait un équilibre avec les pays qui n’appliqueront pas d’embargo au pétrole russe (Inde, Chine, Turquie), expliquait Frédéric Plan, le délégué général de la Fédération Française des Combustibles, Carburants et Chauffage, à Challenges au milieu de l'été. Comme ils devraient importer davantage de ce dernier [puisqu'il devrait être moins cher que le pétrole provenant d'autres fournisseurs; NDLR], ils devraient moins solliciter les autres fournisseurs (Etats-Unis, Moyen-Orient) qui auront alors plus de pétrole pour nous.”
"L'espoir" d'une récession
Cependant, la pratique a plutôt eu tendance à être différente depuis le début de la guerre avec un prix du pétrole non-russe plus élevé. Cela a d'ailleurs pu être constaté ces dernières semaines lorsque la France a été contrainte d'importer en urgence du carburant pour faire face au mouvement social dans les raffineries et dépôts qui empêchait l'approvisionnement des stations-service.
"Évidemment, acheter des produits raffinés et du pétrole dans l'urgence, et non pas dans le cadre de contrats, cela conduit à s'approvisionner à un prix plus élevé", souligne Patrice Geoffron, professeur d'économie à l'université Paris Dauphine.
Pour le directeur du Centre de géopolitique de l'énergie et des matières premières (CGEMP), seul un effondrement de la demande mondiale liée à une récession pourrait permettre d'éviter une flambée des prix. "Globalement, en 2023, ce que nous disent les organismes internationaux comme le FMI, c'est qu'on va vers une période moins dynamique en termes économiques, peut-être même une récession, poursuit le chercheur. Dans une récession, au niveau mondial, les prix peuvent baisser. Il faut se souvenir de ce qu'il s'était passé au début de la crise Covid. Le prix du baril de pétrole était quasi tombé à 0." Auprès de TF1 la semaine dernière, il insistait notamment sur le rôle déterminant de la Chine, dont la demande est encore restreinte par la politique sanitaire, dans l'orientation de la tendance internationale.
Un plateau haut virtuellement atteint?
Les prix du gazole auraient-ils donc déjà atteint un plafond? C'est en tout cas l'idée qu'avance Olivier Gantois. Le président de l'UFIP évoquent des récentes hausses qui ont déjà amené le prix du diesel à des niveaux élevés, d'abord dans la foulée de l'invasion de l'Ukraine, puis plus récemment en raison des grèves dans l'Hexagone. Mais l'entrée en vigueur de l'embargo sur les produits pétroliers venus de Russie est concomitante avec la fin programmée des "ristournes" à la pompe.
Olivier Gantois rappelle ainsi que les ristournes jouent un rôle dissimulateur sur la véritable valeur du gazole. "Le renchérissement ne va pas disparaître mais il n'y a pas de raison que ça augmente plus par rapport au brut et on risque de rester sur ce plateau haut", estime-t-il. La semaine dernière, les prix du gazole à la pompe avaient grimpé de 12 centimes. TotalEnergies annonce déjà s’engager "à répercuter de façon réactive les variations des cours des matières premières, à la hausse comme à la baisse, en toute transparence".
De son côté, Patrice Geoffron entrevoit le pire et n'hésite pas à employer l'expression de "mini choc pétrolier", qui ne se limiterait pas au seul diesel, pour résumer ses prévisions.
"J'imagine un mini choc pétrolier avec le début de l'embargo russe, qui produit une déstabilisation", anticipe le directeur du Centre de géopolitique de l'énergie et des matières premières (CGEMP).
"A ce moment, le prix du pétrole pourrait augmenter considérablement, au dessus de 2 euros par litre. Les ristournes auront disparu, le prix du pétrole aura augmenté. C'est un premier scénario, le prix au litre pourrait même être de 2,50 euros mais ça c'est pour le plus haut, prévient Patrice Geoffron. A l'inverse, on peut imaginer une dynamique mondiale qui s'affaisse. A ce moment-là, le prix du baril pourrait tomber sous les 70 dollars avec un prix à la pompe à 1,60 euro. Ça donne une fourchette qui est très large."
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