Changer l’ordre du monde... |
Un discours de Blinken sans grandeur, stéréotypé comme d’habitude, mais où pointe la panique et la fureur de la réalisation que les Russes veulent, à partir d’Ukrisis changer l’ordre du monde et congédier l’hégémonisme US. Cela est apparu en pleine lumière à Bali à la conférence des ministre des affaires étrangères du G20. Cela constitue un choc terrible pour les psychologies des dirigeants US, pour lesquelles la puissance et la domination sans conteste des USA sont une référence absolue de leur propre stabilité, mais aussi de leur survie.
Rapportée hier, on découvrait déjà la profonde tristesse exprimée dimanche, – certains parlent de crise de nerfs, ce qui nous paraît excessif, –– du Haut Représentant de l’UE Borrell, retour de Djakarta où les ministres des affaires étrangères des membres du G20 se rencontrèrent. Le constat terrible du Haut Représentant, confronté avec quelques amis à la marée des ministres des pays du ‘Grand Sud’, fut que les seconds n’avaient pas du tout, mais pas du tout la même narrative de vérité pure du bloc-BAO lorsqu’il s’agit d’Ukrisis.
Hier encore, l’on fit un pas de plus, qui consiste en fait en une traduction stratégico-économique de ce constat de Borrell, exprimé par le Secrétaire d’État US Blinken, dans un discours en Thaïlande. Bien entendu, ce discours fut ce qu’il fut parce que, deux jours plus tôt, Blinken avait assisté la même réunion de Bali d’où Borrell rapporta la triste nouvelle. Mais l’apport de Blinken est extrêmement important parce qu’il va au-delà des jérémiades de Borrell qui n’a qu’une posture de supériorité morale auto-affirmée à défendre tandis que Blinken est en charge de l’hégémonie globale que les exceptionnalistes États-Unis assurent au nom de Dieu. Cette hégémonie est manifestée (“hégémonie manifeste”, si l’on veut) par « l’ordre [international] fondé sur des règles » que seuls les États-Unis connaissent précisément et pratiquent avec un brio sans pareil. (Ils ne disent même plus “principes” ? Sont-ils trop flics ? Comme s’ils étaient inconsciemment influencés par le constat subconscient du prodigieux effondrement de ces choses sous leurs propres coups de boutoir obscènes, qu’on ne puisse plus les nommer “principes”.)
Ce sont ces “règles” que Blinken déclame, sous-entendant que les USA les maîtrisent et les imposent tout en laisser entendre comme une évidence-bouffe, comme un maquillage de clown, qu’ils les respectent eux-mêmes plus qu’aucun autre ; et cela marche, tout le monde garde son sérieux ! Pour dire le vrai en allant au plus simple, c’est toujours une sorte d’expérience psychédélique, comme un film d’Andy Warhol revu par Salvador Dali et Jean-Luc Godard, que d’entendre un ministre américaniste des affaires étrangères égrener des “règles” que son pays, depuis un demi-siècle, un siècle, deux siècles, bafouent imperturbablement et avec une résilience hors du commun, un mouvement de botte entre pas de l’oie et boogie-woogie, comme pour faire la démonstration absolument a contrario de leur très grande vertu !
« Les règles internationales existantes sont fondées sur “certaines notions de base”, a affirmé M. Blinken, citant le “respect de la souveraineté, de l'indépendance, de l’intégrité territoriale et des droits de l'homme” comme “les fondements” de l’ordre centré sur l'ONU. »
Cela dit et bien compris pour ce qu’il en est dit, en complète inversion de la part des USA, Blinken nous transmet un très important message, – du moins en jugeons-nous ainsi, sans savoir si lui-même le réalise...
« Le conflit en cours entre Moscou et Kiev pourrait menacer l'ordre mondial existant, a déclaré lundi le secrétaire d'État américain Antony Blinken au radiodiffuseur public thaïlandais. Selon M. Blinken, la Russie “défie” ce qu'il appelle un ordre mondial “fondé sur des règles” et créerait une nouvelle réalité sur la scène internationale si on la laissait atteindre ses objectifs en Ukraine.
» L’“agression de la Russie contre l'Ukraine” remet tout cela en question, a déclaré M. Blinken. “Si la Russie est autorisée à faire ce qu'elle fait, cela signifie que nous allons revenir à un monde où la force fait le droit, où les grandes nations peuvent intimider les petites nations”, ce qui serait “le contraire de l’ordre fondé sur des règles”, a-t-il ajouté. »
Là-dessus, leitmotiv inévitable de toutes les interventions de cette sorte, Blinken nous dispense quelques non moins extraordinaires banalités totalement mensongères sur le comportement de la Chine, y compris l’inévitable nuance d’une colossale lourdeur, destinée à amoindrir les effets de la menace, – quelle extraordinaire souplesse de l’esprit, quelle remarquable habileté psychologique, commente-t-on, – sur la nécessité d’une coopération entre les États-Unis et la Chine... On se demande quelle touche du clavier il faudrait activer, quel mot de passe suffirait, pour tenter de faire sortir le discours de politique-étrangère des USA et du bloc-BAO de la malédiction du copié-collé moderniste-globaliste. Enfin...
« Outre le fait que Moscou joue le rôle de fauteur de troubles international, Blinken a déclaré que Pékin “pose un défi à l’ordre en agissant de manière de plus en plus agressive dans la région et de plus en plus répressive chez lui”. Il n’a pas expliqué ce qu’il entendait exactement par "agression" de la Chine.
» Dans le même temps, Blinken a qualifié les relations des États-Unis avec la Chine de “l’une des relations les plus importantes, l’une des relations les plus complexes”, ajoutant que Washington espère toujours “trouver des moyens de coopérer” avec Pékin malgré la “concurrence” entre les deux nations. »
A toute cette “salade de mots” même pas assaisonnée ni relevée de quelque ingrédient original, on ajoutera un rapide commentaire de M.K. Bhadrakumar en provenance de Bali où se tenait la réunion. L’excellent commentateur indien nous présente un tableau objectif mais réduit aux convenances diplomatiques et aux intérêts stratégiques, et accordant selon nous un peu trop de capacité de réflexion réaliste et mesurée à la partie américaniste, alors que notre propos est plutôt, en toute simplicité et comme on le verra ci-dessous, d’aller sonder les âmes des peuples...
« Anticipant une défaite stratégique en Ukraine, l’administration Biden recherche la détente avec la Chine, – un relâchement de l'hostilité et des relations tendues - alors que la fatigue de la guerre s'installe et que les alliés européens subissent le contrecoup des sanctions. Le discours de l'administration Biden sur l'Ukraine et la Russie s'effondre, alors que les pays européens s'enlisent dans des troubles sociaux, économiques et politiques interne, – en particulier l'Allemagne, la locomotive de l'Europe.
» Washington craint, à juste titre, qu'une Russie renaissante ne laisse pas passer ce moment. Le discours percutant prononcé par le président Vladimir Poutine le 7 juillet devant les élites politiques russes lors d'une réunion au Kremlin ne laisse aucun doute à l'administration Biden. Poutine a ouvertement déclaré que l’Opération Militaire Spéciale de la Russie en Ukraine “signifie également le début d'une rupture radicale de l'ordre mondial de type américain. C'est le début de la transition de l'égocentrisme américain libéral-mondialiste vers un monde véritablement multipolaire."
» Poutine a déclaré : "Chacun doit comprendre que ce processus ne peut être arrêté. Le cours de l'histoire est inexorable, et les tentatives collectives de l'Occident d'imposer son nouvel ordre mondial au reste du monde sont condamnées... Aujourd'hui, nous entendons dire qu'ils veulent nous vaincre sur le champ de bataille. Eh bien, que puis-je dire ? Qu'ils essaient... Dans le même temps, nous ne rejetons pas les pourparlers de paix, mais ceux qui les rejettent devraient savoir que plus elle (la guerre) se prolonge, plus il leur sera difficile de négocier avec nous.” »
La grande surprise
Il s’agit donc de sortir de la “salade de mots” en question (celle de Blinken, pas les écrits de Bhadrakumar, ne pas confondre) quelque chose de cohérent sinon d’important, et même alors de très-important ; quelque chose qui va bien au-delà de ce que Bhadrakumar en a perçu très rationnellement, simplement parce qu’il entend en général cantonner son propos à cette forme.
Pour nous qui percevons intuitivement ce qu’il y a d’essentiel dans cet insignifiant discours de Blinken, – sorte de non-dit se glissant entre les lignes monotones, – il s’agit de rien de moins que de la réalisation par les USA qu’Ukrisis n’est pas simplement une machination (des USA pour faire entrer la Russie dans une guerre), qu’elle n’est pas “simplement” une manœuvre pout “épuiser” la Russie qui jusqu’ici ne donne pas du tout les résultats escomptés mais au contraire, bref une “simple” affaire USA-Russie selon la politiqueSystème, portée à son point de combustion. Il s’agit de façon complètement différente de la réalisation quasiment-opérationnelle par les USA que la Russie ne se contente pas de se défendre (son attaque en Ukraine comme une “offensive de défense”, comme l’URSS avait nommé son opération en Afghanistan en 1979), voire de contre-attaquer sur ce théâtre avec un certain succès, mais qu’elle a des projets considérables ; que l’OMS en Ukraine est, d’une façon volontaire et assumée, la première opération d’un plan stratégique qui s’est imposé de lui-même, et dont l’ambition, à mesure des événements qui la grandissent, vise à changer profondément l’ordre du monde.
« Une nouvelle réalité sur la scène internationale si on laissait [la Russie] atteindre ses objectifs en Ukraine » (Blinken), c’est un peu faible comme analyse mais cela va dans le sens que nous disons....
Notre perception est qu’il s’agit de la réalisation de la chose, qui suscite une réelle, une très-grande surprise pour les USA. Ils l’ont certes peu à peu incubée sans trop s’en rendre compte ces dernières semaines et ces derniers mois, au gré de lectures peu attentives des propos de Poutine & Cie, ou d’autres comme ceux des Chinois et de Lopez-Obrador ; mais la réalisation effectivement opérationnelle de cette surprise s’est concrétisée, elle a éclaté sous leurs yeux et dans leurs oreilles lors de la réunions des ministres des AE du G20 où ils ont vu se dresser contre eux les ministres du “Grand-Sud’, bien entendu autour de la Russie et la Chine.
Nous insistons sur ce constat d’une “réelle, une très-grande surprise pour les USA”. Les hommes du système de l’américanisme, leur dévotion absolue à l’hybris de l’exceptionnalisme américaniste, leur psychologie folle essentiellement définie par nous dans leurs deux grands caractères psychologiques de l’“inculpabilité” (absence de perception de la possibilité de sa propre culpabilité) et de l’“indéfectibilité” (absence de la perception de la possibilité de sa propre infériorité et/ou défaite), – tout concourt à leur refus, comme une sorte de déni fondamental, de la possibilité qu’une autre force puisse prétendre à une vaste manœuvre stratégique et culturelle, voire spirituelle, qui mette en question leur hégémonisme devenue depuis tant de décennies le constituant majeur de leur être propre.
Ainsi notre conviction est-elle qu’ils ont certes entendu Poutine (avec d’autres) parlant de la destruction des structures actuelles de l’ordre international devenu insupportable désordre pour mettre en place une alternative (disons multipolaire pour faire bref et ne rien expliquer de l’inexplicable qui est encore à venir), – ils l’ont entendu mais ne l’ont pas écouté et encore moins compris. Auparavant ils avaient rencontré des chefs d’État et de gouvernement avec leurs appréciations négatives chuchotées, effleurées, concernant leur comportement ; mais cela était trop parcellaires, et nullement acté dans une attitude collective officielle, et ils ne doutaient pas qu’ils effaceraient, qu’ils “cancelleraient” tout cela avec l’évocation d’un groupe de porte-avions d’attaque de l’U.S. Navy ou d’un paquet de milliards de dollars en papier fraîchement imprimé
Littéralement, toutes ces agitations dialectiques mettant en cause la suprématie des USA sont (étaient) de l’ordre de l’‘unthinkable’... Encore la psychologie, brièvement rappellée ci-dessous, d’hommes et de femmes de la direction des élitesSystème US, avec leur attitude quasiment “psychorigide” bloquée dans le sens qu’on a vu. (Jacques Baud, dans un entretien avec ‘Les Incorrectibles’, le 11 juin 2022, à 41’15” sur la vidéo : « Blinken est un idéologue rigide, je dirais même psychorigide. »)
Mais à Bali, au milieu des ministres du G20, il faut bien se rendre à l’évidence : ‘unthinkable’ pour eux mais bien réelle vérité-de-situation pour tout le monde, et badaboum... Notre appréciation est que cette marche forcée vers une réalité totalement nouvelle et incompréhensible, dont Bali s’avère être une étape très importante, va susciter des réactions de plus en plus folles et irrationnelles. C’est-à-dire que les mesures d’urgence dont tout le monde convient là-bas de la nécessité, au milieu d’un tourbillon d’affrontements sociétaux et sécessionnistes, vont poursuivre à un rythme accéléré dans le même sens car il ne peut y avoir d’erreur chez ces gens-là. Alors, l’évidence pour repousser ce courant de révolte devient alors qu’on n’a pas poussé la sottise jusqu’où il faut la pousser, puisque la sottise n’est pas une sottise mais au contraire un éclair du brio de tous ces gens.
Au fait, on en a déjà un exemple avec Borrell (bloc-BAO/UE, américanisation brevetée) qui, devant le refus de la narrative antirusse chez les ministres récalcitrants du G20, réagit en renchérissant sur la cause de ce refus :
« “...plus, encore plus, toujours plus [de narrative]”...
» La solution, a-t-il ajouté, est de “s’engager davantage pour réfuter les mensonges et la propagande de guerre russes”. »
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