La guerre d'Ukraine marque la fin d'une idée aussi répandue que fausse : la France ne pourrait pas peser seule dans le monde. Au contraire, nous allons payer très cher notre suivisme atlantisme et européiste. Désormais, nous n'avons plus qu'un chemin possible si nous voulons sortir du trou où nous avons allègrement sauté avec nos camarades occidentaux: réapprendre la diplomatie et la stratégie militaire de l'indépendance nationale. Nous avons une chance à saisir, malgré le renoncement de nos dirigeants: la France n'est pas seulement occidentale et européenne. Notre pays est présent sur tous les océans.
Rappelons-nous le triomphalisme de la fin février 2022: la machine de propagande occidentale s’était mise en route et nous expliquait que la Russie avait présumé de ses forces, qu’elle allait perdre la guerre, qu’elle serait brisée économiquement et que ce serait la fin du régime Poutine.
Trois mois et demi plus tard, les voix occidentales sont moins assurées. Le mantra de la défaite russe inéluctable est toujours prêt à redémarrer mais le ton est plus lugubre. La guerre va être longue, nous dit-on; il va falloir tenir. Certes nous allons souffrir économiquement mais c’est nécessaire car Poutine ne peut pas, il ne doit pas gagner.
La chute de Boris Johnson, lui qui disait encore il y a quelques semaines, que Poutine tomberait, résume à elle-seule l’erreur d’appréciation de l’Occident.
L'échec de l'instinct grégaire
Pour comprendre ce qui s’est passé, il faut bien voir que l’échec occidental est un échec collectif. A force de répéter qu’il n’y avait rien de mieux que d’être ensemble au sein de l’Union Européenne et de l’OTAN, les dirigeants occidentaux ont créé un système de réassurance mutuelle, sans comprendre que le monde changeait complètement.
C’est pourquoi nos dirigeants ne comprennent pas ce qui se passe hors d’Occident. Le fait que la plus grande partie de la planète ne se soit pas jointe aux sanctions apparaît incompréhensible à nos classes dirigeantes. Emmanuel Macron et Olaf Scholz ont fait pression en vain pendant deux mois sur les pays d’Afrique pour qu’ils prennent Vladimir Zelenski en visioconférence. Pour finir seuls quatre Etats sur les cinquante-cinq que compte l’Union Africaine ont assisté au triste spectacle de l’acteur qui aurait bien voulu être un homme d’État.
L’Ukraine perd la guerre, implacablement, et va finir, vu le refus de négocier de son gouvernement, comme un État croupion. L’Union Européenne est en train de ruiner son économie – à commencer par l’Allemagne. Aux États-Unis, la popularité de Joe Biden est en chute libre, à 23%.
Jamais la France n’avait été aussi engagée dans l’OTAN et l’Union Européenne. Et jamais ces deux ensembles n’ont été plus faibles. Les États-Unis sont pour l’instant incapables de faire fonctionner un missile hypersonique.
Retrouver le chemin de l'indépendance nationale
En réalité, nous assistons à la fin de l’idée reçue selon laquelle la France est trop petite pour peser seule dans le monde. Que pèse l’Union Européenne, dans l’affrontement géopolitique mondial? De moins en moins. Que pèse l’OTAN? L’Alliance est entrée, derrière les apparences, dans une phase de déclin.
Valéry Giscard d’Estaing avait dit prendre acte que la France fût une puissance moyenne. Et depuis son septennat, le Général de Gaulle a été regardé comme un original, qui portait une idée de la France plus grande qu’elle ne l’était en réalité. François Mitterrand a enfermé la France dans l’euro pour faire contrepoids à l’Allemagne réunifiée. Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy ont fait rentrer la France dans le commandement intégré de l’OTAN. François Hollande et Emmanuel Macron ont poussé jusqu’au bout une logique d’alignement qui rend la France inaudible, alors même que l’Occident est de moins en moins écouté dans le monde.
Mettez onze joueurs inexpérimentés face à Diego Maradona: il gagnera le match à lui tout seul. A quoi sert d’être ensemble si c’est pour se précipiter, tels les moutons de Panurge dans la mauvaise direction?
Par suivisme, la France s’est désindustrialisée; elle a négligé de moderniser sa dissuasion nucléaire; elle a laissé filer son Éducation Nationale; elle est endettée à 112% de son Produit National Brut.
La seule manière de nous en sortir, c’est de retrouver le chemin de l’indépendance nationale. Il s’agit d’échapper à l’enlisement qui est le nôtre, létal, dans l’Union Européenne et dans l’OTAN. Or, nous disposons d’une série d’atouts: la France est présente dans tous les océans du monde, dans les deux hémisphères. Grâce à ses territoires ultramarins, elle possède le deuxième domaine maritime mondial derrière les États-Unis. La langue française est parlée par environ 200 millions de personnes dans le monde. C’est la langue officielle de 32 pays. ajoutons à cela que nous n’avons pas encore perdu les instruments de notre rayonnement diplomatique, à commencer par notre siège permanent au Conseil de sécurité.
Bien entendu, ces atouts sont fragiles et, au rythme actuel de démission nationale, nous pourrions les avoir perdus dans une génération. Mais nous pourrions aussi nous dire que la configuration géographique de notre pays et la croissance démographique du français sont des chances: elles nous permettent de reprendre pied, si nous le voulons, en particulier dans le Pacifique, là où va se jouer une partie de l’avenir du monde.
Évidemment, il va falloir changer d’état d’esprit, recommencer à croire dans nos capacités. C’est à ce point que l’on doit se rendre compte de la réalité de la troisième révolution industrielle, telle que Jean-Jacques Rosa l’a magnifiquement analysée dans son ouvrage Le second XXè siècle. Plutôt que les effets de masse, ce qui va déterminer la puissance dans les décennies qui viennent, c’est la maîtrise de l’information et notre capacité à la transformer en valeur ajoutée. L’avenir n’est plus aux Etats-mastodontes ou aux alliances supranationales: il est aux unités de taille petite ou moyenne qui traitent mieux l’information que les autres, sont capables de réagir rapidement. Il n ‘est pas sûr, d’ailleurs, que la Chine ou l’Inde soient totalement avantagées à l’ère de l’information. La bonne taille, c’est paradoxalement, celle des nations européennes. A condition qu’elles agissent de manière autonome – et de temps en temps se constituent en flottille quand elles ont constatées qu’elles peuvent aller ensemble au même endroit. Les paquebots géants, comme l’Union Européenne rêve encore d’en construire un sont voués au sort du Titanic. Quant aux unités navales regroupées autour d’un porte-avion – pour filer la comparaison et saisir la réalité de l’OTAN – elles seront de plus en plus vulnérables aux attaques des sous-marins ou des petits navires de l’ennemi.
Nous parlons d’un espace terrestre, physique. Mais ce que nous disons s’applique d’autant plus à l’espace virtuel, où la maîtrise de l’information compte encore plus. Là aussi, il n’y aura pas d’autre souveraineté que nationale; d’autre politique qu’indépendante.
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