14 juin 2022

Guerre d’Ukraine: Les canons Caesar et leurs munitions livrés par la France à l’armée ukrainienne tuent…des civils ukrainiens à Donetsk et Gorlovka !

Pierre le Grand à la bataille de Polatava en 1709

Le réalisme fait son retour chez une partie des analystes occidentaux. Cependant on commence seulement à mesurer les effets délétères de l'attitude consistant à soutenir l'Ukraine dans une guerre qu'elle ne pouvait que perdre. S'il y avait encore une opposition sérieuse en France, la campagne du second tour des législatives devrait être l'occasion de questions serrées au gouvernement sur ces canons Caesar et leurs munitions qui servent à tuer des civils ukrainiens à Donetsk, victimes des tirs de sang froid de...l'armée ukrainienne.

La Bataille d’Ukraine 

On a très clairement le sentiment d’une accélération dans la décomposition de l’armée ukrainienne. En suivant Southfront.org: 

Des dizaines d’unités ukrainiennes se sont plaintes des pertes énormes et du manque d’armes et d’entraînement, soulignant qu’elles avaient été envoyées au front illégalement.

En conséquence, un décret de Zelenski a légalisé l’envoi au front de membres non entraînés des milices du régime ( les “Teroborona”). La décision actuelle de Zelenski confirme les pertes énormes des forces armées ukrainiennes.

Le président ukrainien a déjà admis que l’Ukraine perdait face à la Russie sur le plan technologique et n’était pas capable de mener des actions offensives. Il a confirmé qu’une contre-offensive ukrainienne est impossible.

Le 12 juin, l’un des principaux propagandistes du régime de Kiev, Alexeï Arestovitch, a prétendu qu’une partie importante des militaires ukrainiens pourrait déserter ou se rendre pour rejoindre l’armée russe. La présentation des choses est quelque peu délirante: selon Arestovitch, si l’Occident n’aide pas l’Ukraine, 500.000 Ukrainiens rejoindront les 1,5 million de militaires de la Fédération de Russie et de la République du Belarus, après quoi ces forces entreront prétendument en guerre contre l’Europe. On aimerait bien savoir comment l’Ukraine pourrait aligner encore 500.000 soldats. Et, d’autre part, on ne sache pas que plus de 80.000 soldats russes aient été engagés en même temps dans la campagne d’Ukraine. Mais le délire de tels énoncés est instructif dans la mesure où les mêmes nous présentaient encore il y a quelques semaines l’armée ukrainienne comme invincible et la nation comme unanime. 

Arestovitch semble impliquer qu’il existait un sentiment pro-russe dans une partie de la population ukrainienne, y compris parmi les militaires. Il faut dire que les attributions de passeports russes dans la région de Kherson rencontrent un franc succès, tout comme la remise des dettes des populations de cette région en train de devenir russe. Et l’on remarque que les républiques de Donetsk et de Lougansk sont en train de substituer une administration russe aux gouvernements autonomes qui les régissaient jusque-là. Tout se passe comme si le refus ukrainien de négocier joint aux exactions de l’armée ukrainienne contre les civils du Donbass – pourtant naguère citoyens de la République d’Ukraine – provoquaient un basculement – accéléré, lui aussi – des territoires de l’Est ukrainien dans la Fédération de Russie.  

A l’OTAN aussi, on semble retourner sa veste. Le secrétaire général, Jens Stoltenberg, a affirmé que la paix en Ukraine n’était possible que si Kiev faisait des concessions territoriales“. 

D’une manière générale, la presse anglo-américaine est en train d’accepter la réalité et de reconnaître la défaite inéluctable de l’armée ukrainienne. Selon les sources convergentes que nous utilisons (ici, ici , ici et ici

+ Ces derniers jours, l’armée russe a continué ses tirs de missiles de précision sur des dépôts d’armes à l’ouest de l’Ukraine (ex. Ternopol), dans la région de Kharkov, dans cele de Dniepropetrovsk.

+ Les troupes ukrainiennes ont toujours la velléité d’effectuer une contre-offensive à l’ouest et au sud d’Izioum pour essayer de couper la route d’approvisionnement de l’armée russe mais les troupes kiéviennes ont essuyé de lourdes pertes dans leurs rares tentatives d’avancer ces dernièrres semaines. 

+ L’armée russe progresse en direction de Slaviansk. 

+ A Severodonetsk, les troupes russes contrôlent désormais l’aéroport et ils ont progressé dans la ville industrielle. Les troupes ukrainiennes n’ont plus de possibilité de battre en retraite. 

+ Les troupes russes ont coupé la route qui mène de Lisitchansk à Artemiovsk/Bakhmout. La ligne de front se déplace donc de 45° le long d’une ligne Seviersk/Artemiovsk. 

+ L’armée russe encercle progressivement les positions retranchées d’Avdeïevka, d’où l’armée ukrainienne bombarde Donetsk. D’après ce qu’on sait, il y aurait dans ce qui est en train de devenir un chaudron à la fois des troupes repoussées de positions plus au nord et des combattants du “Secteur Droit”‘.  

+ Pour l’instant, on n’a pas vu l’offensive annoncée dans la région de Zaporojie. 

+ Plusieurs de nos sources affirment que les Russes ont accumulé des moyens à l’ouest de la région de Kherson; ce serait dans l’objectif de conquérir Nikolaïev.  

Un signe clair que le gouvernement kiévien sait avoir perdu la guerre, c’est la manière dont l’armée ukrainienne bombarde des zones sans aucune présence militaire dans la ville de Donetsk: la journaliste française Christelle Néant, qui se trouve dans le Donbass et qui a eu sa voiture détruite par un bombardement ukrainien il y a quelques jours écrit:

Depuis ce matin (13 juin 2022), l’armée ukrainienne mène sans discontinuer un bombardement de terreur contre les zones résidentielles de Donetsk, de l’est à l’ouest et du nord au sud de la ville, faisant des victimes parmi les civils, et provoquant d’importantes destructions.

Le bombardement de Donetsk a commencé vers 11 h du matin, lorsque l’armée ukrainienne a tiré 10 roquettes de lance-roquettes multiples Grad sur les districts de Kievski et de Kouïbychevski. Puis une heure plus tard, l’armée ukrainienne a bombardé le district de Boudionovski (celui qui est le plus au sud-est) de Donetsk, avec de l’artillerie au standard OTAN de 155 mm.

Ces tirs ont touché le marché de Maïski, en pleine heure de pointe, tuant trois civils, dont une mère et son fils de 11 ans, et blessant 15 autres civils dont un garçon de 9 ans“.

Et Christelle Néant ajoute:

“Les tirs se sont ensuite enchaînés sur les districts de Kouïbychevski, Vorochilovksi (centre-ville) Kirovski, Petrovski et Kievski, sans discontinuer pendant plus de trois heures. Puis, après une interruption de deux heures, le bombardement de Donetsk par l’armée ukrainienne a repris en fin d’après-midi, faisant de nouvelles victimes parmi les civils.

Lors de cette journée de bombardement de Donetsk, l’armée ukrainienne a tiré 339 munitions sur la capitale de la RPD (République Populaire de Donetsk, à savoir dans le détail 29 obus d’artillerie de 122 mm, 171 obus d’artillerie de 155 mm (standard OTAN), 118 roquettes de lance-roquettes multiple BM-21 Grad de 122 mm, et 21 roquettes de lance-roquettes multiple BM-27 Ouragan de 220 mm. Et puisqu’on parle des armes fournies par l’OTAN, un des obus de 155 mm tombés dans le centre de Donetsk la veille a été identifié comme étant un obus LU 211, tiré par un canon automoteur français Caesar !

En clair, les autorités françaises se sont bien rendues complices des crimes de guerre de l’Ukraine en lui fournissant armes et munitions avec lesquelles l’armée ukrainienne tire délibérément sur des zones civiles où il n’y a ni positions, ni armement ennemi !

L’aviation russe et l’artillerie de la RPD ont bombardé massivement les cinq positions (Avdeyevka, Peski, Orlovka, Krasnogorovka et Pervomaïskoye) d’où venaient les tirs de l’armée ukrainienne, et le bombardement de Donetsk a cessé vers 20 h. Plusieurs roquettes d’Ouragan ont aussi été abattues par la défense anti-aérienne.

La maternité de Donetsk a été touchée par une de ces roquettes. Heureusement les patientes et les bébés avaient été descendus dans les abris anti-bombardements de la maternité, et il n’y a pas eu de victimes“.

L'OTAN dans la position de Charles XII, va-t-elle perdre la nouvelle "Guerre de Vingt Ans"?

Bhadrakumar fait le travail que les diplomates français ne font plus: observer l’évolution de la guerre d’un point de vue neutre et profondément réaliste. Dans le dernier éditorial d’Indian Punchline, il rend compte de la dernière visioconférence du Council on Foreign Relations consacrée au conflit

“Le 31 mai, le Council on Foreign Relations, basé à New York, a organisé une vidéoconférence intitulée “La guerre de la Russie en Ukraine : comment cela se termine-t-il ? Le président du think tank Richard Haas a présidé le panel d’éminents participants – Stephen Hadley, le professeur Charles Kupchan, Alina Polyakova et le lieutenant-général (retraité) Stephen Twitty. Ce fut une grande discussion dominée par le courant internationaliste libéral qui a jusqu’à présent guidé l’équipe de sécurité nationale du président Biden, qui souhaite aider l’Ukraine à mener une longue guerre contre la Russie.

Ce qui est frappant dans cette discussion, c’est qu’un ancien général qui a participé à des guerres a reconnu avec franchise qu’il était impossible de vaincre la Russie en Ukraine et qu’il fallait donc clarifier la finalité de l’opération pour “affaiblir” la Russie. Le sombre pronostic était que l’unité européenne à propos de la guerre ne tient plus.

Troisièmement, un scénario plausible serait que la Russie transforme l’Ukraine en un “conflit gelé” lorsque la phase actuelle de la guerre atteint les limites administratives du Donbass, relie le Donbass à la Crimée et incorpore Kherson et qu’une “pause stratégique et une impasse dans un avenir pas trop lointain” puissent ouvrir la porte à la diplomatie.

Il est concevable qu’un air froid de réalisme souffle sur l’establishment de Washington, selon lequel la Russie est en train de gagner la bataille du Donbass et une victoire militaire finale de la Russie sur l’Ukraine est même du domaine du possible. Notamment, le professeur Kupchan, membre de la faculté de Georgetown, a injecté une forte dose de réalisme :

“Plus cette [guerre] se prolonge, plus les répercussions négatives se font sentir sur le plan économique et politique, y compris ici aux États-Unis, où l’inflation est vraiment… ce qui met Biden dans une position difficile” ;
“Nous devons changer ce discours [ que toute personne qui parle d’un règlement territorial est un apaisement] et entamer une conversation avec l’Ukraine et, en fin de compte, avec la Russie sur la façon de mettre fin à cette guerre le plus tôt possible” ;
“Où s’arrête la ligne de front, quelle quantité de territoire les Ukrainiens sont capables de reprendre, cela reste à voir” ;
“Je pense vraiment que l’aspect guerre chaude est plus dangereux que ce que beaucoup de gens perçoivent, pas seulement à cause de l’escalade mais aussi à cause des effets de retour” ;
“Je pense que nous commençons à voir des fissures en Occident… il y aura une résurgence du républicanisme ‘America-first’ à l’approche des midterms” ;
“Tout cela m’amène à penser que nous devrions faire pression pour mettre fin à la guerre et avoir ensuite une conversation sérieuse sur une disposition territoriale.”
Aucun des panélistes n’a soutenu que la guerre devait être gagnée, ou qu’elle pouvait encore l’être. Mais aucun n’a non plus reconnu les intérêts légitimes de la Russie en matière de sécurité. Le général Twitty a averti que l’Ukraine pourrait être proche de l’épuisement militaire ; la Russie a établi un contrôle du domaine maritime dans la mer Noire – et pourtant, “si vous regardez le DIME – diplomatique, informationnel, militaire et économique – nous manquons cruellement de la partie diplomatique de cette question. Si vous remarquez, il n’y a pas du tout de diplomatie en cours pour essayer d’arriver à un certain type de négociations”.

Les internationalistes libéraux croient à tort que l’OTAN est la pierre angulaire de la sécurité nationale américaine. Malgré l’échec de la décision irréfléchie de Biden de mener une guerre par procuration contre la Russie, les États-Unis sont fixés sur l’OTAN et ne veulent pas envisager un accord de sécurité avec Moscou.

Si l’ancien récit à Washington consistait à gagner la guerre, le nouveau récit consiste à rêver d’une “activité partisane visant les forces d’occupation russes.” Bien sûr, ce récit est encore moins possible à vérifier de manière indépendante que les grandes déclarations précédentes”. 

Et puis le diplomate indien éclaire la comparaison historique récemment faite par Vladimir Poutine entre la situation présente et la “Guerre du Nord” des années 1720-1721 où le roi Charles XII de Suède commença par engranger des succès foudroyants aux dépens de la Russie avant d’être défait sur le territoire actuel de l’Ukraine, à Poltava (Au fait, qui dans notre classe dirigeante a lu l’Histoire de Charles XII de Suède de Voltaire?): 

C’est dans cette zone crépusculaire que le président Poutine a situé ses remarques moqueuses du 9 juin en faisant l’analogie historique avec la Grande Guerre du Nord de Pierre le Grand, qui a duré 21 ans, de 1700 à 1721 – la contestation réussie par la Russie de la suprématie de l’Empire suédois en Europe du Nord, centrale et orientale. Après avoir assisté à une cérémonie marquant le 350e anniversaire de la naissance de l’empereur russe emblématique, M. Poutine a discuté avec un public d’élite composé des meilleurs et des plus brillants jeunes scientifiques à Moscou.

Poutine a déclaré : “Pierre le Grand a mené la Grande Guerre du Nord pendant 21 ans. À première vue, il était en guerre contre la Suède pour lui prendre quelque chose. Il ne prenait rien, il rendait quelque chose. C’était comme ça… Il revenait et renforçait, voilà ce qu’il faisait… tout le monde reconnaissait la région comme faisant partie de la Suède. Cependant, depuis des temps immémoriaux, les Slaves y vivaient avec les peuples finno-ougriens, et ce territoire était sous le contrôle de la Russie.”

“Il est clair qu’il nous incombait d’y retourner et de le renforcer également. Et si nous partons du principe que ces valeurs fondamentales constituent la base de notre existence, nous parviendrons certainement à atteindre nos objectifs.”

Poutine a transmis ici un message complexe sur le rejet total par la Russie de la suprématie de l’OTAN. Quoi qu’il en coûte, la Russie récupérera son héritage. Il s’agit avant tout d’une promesse faite à ses compatriotes, qui se rallient à Poutine, dont la cote dans les sondages dépasse aujourd’hui 80 % (contre 33 % pour Biden).

Le fait est qu’il existe aussi des lignes de faille non exprimées. Ce n’est pas un hasard si les discours russes utilisent librement l’expression “anglo-saxon” pour désigner le défi de la frontière occidentale du pays. Des démons s’y sont déchaînés.”

Bhadrakumar semble suivre de plus près que les Européens ce qui se passe en Europe:

En effet, quel était le sens du voyage au Vatican de la présidente de la Commission européenne Ursula von der Leyen pour une audience avec le pape François à ce stade ?

Le professeur irlandais Declan Hayes a récemment écrit un essai intitulé “Holy War in Ukraine” (la guerre sainte en Ukraine) sur fond d’agressions violentes contre des prêtres orthodoxes russes à l’intérieur de leurs églises dans la ville de Striï, dans la région de Lvov et dans l’Ukraine contrôlée par Zelenski en général. Il y a vu les “marques de pattes de l’OTAN pour diviser et conquérir”. “Si les agressions fascistes contre des prêtres russes vulnérables devant leurs congrégations galiciennes sont une manifestation de la résurgence des fantômes du sombre passé de l’Ukraine, les peintures murales de la Vierge Marie posant avec des missiles Javelin américains en sont une autre”, écrit le professeur Hayes”.

Enfin, Bhadrakumar donne quelques éléments solides sur les buts de guerre russes tels qu’ils commencent à se dessiner:

“Le ministre russe de la défense, Sergueï Choïgu, a annoncé la semaine dernière qu’un “pont terrestre” avait été établi vers la Crimée, l’un des principaux objectifs de guerre de Moscou, et qu’il fonctionnait ! Il a fallu réparer des centaines de kilomètres de voies ferrées. Simultanément, les médias ont rapporté que le trafic ferroviaire entre l’Ukraine et la frontière avec la Russie avait été rétabli et que des camions avaient commencé à transporter vers la Crimée des céréales prélevées dans les silos de la ville de Melitopol.

M. Choïgu a promis un “trafic complet” depuis et vers la Russie jusqu’à Kherson, puis vers la Crimée. Parallèlement, un flux constant de rapports indique que l’intégration des régions du sud de l’Ukraine dans la Russie progresse rapidement : citoyenneté russe, plaques d’immatriculation des voitures, internet, banques, pensions et salaires, écoles russes, etc.

La semaine dernière, le journal influent Izvestiïa a cité des sources militaires anonymes affirmant que tout accord de paix à ce stade devrait également inclure l’acceptation par Kiev des régions de Kherson et de Zaporojie en tant que régions séparatistes, en plus du Donbass et de la Crimée. La question clé n’est plus de savoir si Kiev peut reprendre le sud capturé, mais comment il peut empêcher le “pont terrestre” de la Russie d’avancer plus à l’ouest vers la Moldavie.

D’un autre côté, l’obstination dans les pourparlers de paix pourrait obliger Kiev à accepter ultérieurement la perte d’Odessa. Mais qui, en Europe, est en mesure de tirer la sonnette d’alarme et de raisonner Zelenski ? En outre, Zelenski est aussi sur un tigre. Il survit grâce au soutien des Anglo-Saxons et, à leur tour, les Anglo-Saxons nagent ou coulent avec lui

Les effets inattendus des sanctions et de la guerre sur l'économie russe

+ le taux directeur russe est retombé à 9,5%, là où il était avant le déclenchement de la guerre, le 24 février.  On s’attend à une nouvelle baisse des taux dans les prochaines semaines pour faire baisser (!) un peu le rouble dont la solidité retrouvée pèse sur les exportations russes. 

+ Intéressant article de Dimitri A. Simes dans The American Conservative. Les plus lucides, aux Etats-Unis, commencent à regarder la réalité en face: 

“Pour mieux comprendre les nouveaux défis posés par les sanctions, j’ai parlé à plusieurs entrepreneurs russes de différents secteurs d’activité pour savoir comment leur vie avait changé et ce qu’ils attendaient de l’avenir. À ma grande surprise, j’ai découvert que nombre d’entre eux étaient convaincus qu’ils pourraient non seulement s’adapter, mais aussi prospérer dans leur nouvelle réalité.

“Les sanctions ont activé et mobilisé le monde des affaires russe”, a déclaré Nikolai Dunaev, vice-président d’Opora Russie, une association nationale de propriétaires de petites et moyennes entreprises qui compte des centaines de milliers de membres.

“Au cours des trois derniers mois, presque tous ceux à qui nous parlons ont trouvé des moyens de s’adapter”, a expliqué M. Dunaev. “Certains ont trouvé d’autres fournisseurs en Chine, en Inde, en Turquie et dans les pays du Moyen-Orient, tandis que d’autres ont dû réduire temporairement leur production ou modifier l’assortiment de produits qu’ils fabriquaient. Cependant, l’important est que chacun trouve des solutions à ses problèmes, d’une manière ou d’une autre.”

Certains entrepreneurs ont même déclaré que les sanctions donnaient un coup de pouce inattendu à leur entreprise. Valentina Andreeva est la propriétaire de Mme Ruby, une entreprise de meubles haut de gamme basée à Moscou. Elle m’a confié qu’au cours des cinq derniers mois, son entreprise avait déjà généré une année entière de revenus. “Pour l’instant, nous ne pouvons pas traiter de nouvelles commandes car notre capacité de production actuelle n’est tout simplement pas suffisante”, a-t-elle déclaré. “Nous sommes en train d’étendre notre capacité de production pour répondre à cette croissance de la demande, car de nouvelles commandes arrivent chaque jour.”

Andreeva a expliqué qu’auparavant, les producteurs nationaux de meubles de luxe, comme elle, étaient confrontés à la concurrence féroce des marques italiennes, qui avaient dépensé des ressources considérables au cours des dernières décennies pour s’implanter solidement sur le marché russe. Toutefois, à la suite de l’imposition de sanctions, les chaînes logistiques et financières reliant la Russie et l’Italie ont été rapidement rompues. Dans le même temps, les sanctions ont contribué à déclencher une “vague de patriotisme” parmi les Russes aisés, les amenant à se ruer sur les marques nationales en signe de défi.

“Pour les gens en Russie qui se sont habitués à des meubles exquis, il n’y a rien au monde qui puisse les amener à se détourner de ce luxe”, a déclaré Andreeva. “Et puisque l’argent est toujours là, ils continuent à commander de nouveaux meubles. La seule différence maintenant, c’est qu’ils les achètent en Russie et non plus en Italie.”

Andreevna a prédit que même si les sanctions sont levées au cours des deux prochaines années et que les marques italiennes peuvent revenir en Russie, elles auront du mal à regagner leur part de marché antérieure. Après tout, pourquoi se donner la peine et prendre le risque de commander quelque chose à l’étranger alors que vous pouvez tout aussi bien l’acheter plus près de chez vous ?

“Si les producteurs russes peuvent démontrer qu’ils peuvent produire aussi bien que l’Italie, personne ne commandera à l’Italie à l’avenir, car les obstacles sont nombreux”, a-t-elle déclaré.

M. Butrimov, de BJet, est également convaincu que les sanctions profiteront à son secteur à long terme. C’est sans aucun doute une position audacieuse si l’on considère que l’aviation est largement considérée comme l’un des secteurs de l’économie russe les plus vulnérables aux sanctions. M. Butrimov admet qu’il sera difficile pour les fabricants d’avions de trouver des substituts à certaines importations occidentales, notamment les composants de haute technologie tels que les moteurs et l’électronique de pointe. Il estime toutefois que la Russie sera en mesure de développer ses propres alternatives au cours des cinq prochaines années.

En attendant, M. Butrimov a affirmé que les fabricants russes avaient des moyens de “simplifier” leurs conceptions sans sacrifier de manière significative la qualité ou la sécurité. “Par exemple, si vous avez un cockpit avec des moniteurs électroniques, rien ne vous empêche d’installer temporairement une solution plus ancienne”, a-t-il expliqué. “Oui, nous devrons faire quelques pas en arrière sur le plan technologique, mais une fois que nous serons en mesure de développer et de produire nos propres moniteurs, cela nous aidera à faire un grand bond en avant.”

Selon M. Butrimov, l’un des principaux avantages de la Russie est qu’elle possédait sa propre industrie aéronautique bien développée il y a seulement quelques décennies. À l’époque soviétique, le pays ne se contentait pas de concevoir ses propres avions, mais contrôlait aussi entièrement leur cycle de production. Bien qu’une grande partie de cette capacité se soit dégradée dans les décennies qui ont suivi l’effondrement de l’Union soviétique, M. Butrimov m’a dit que la Russie conservait encore une grande cohorte d’ingénieurs bien formés et la capacité de produire des modèles exploitables.

“La Russie possède encore des usines pour la production d’avions militaires, et dans la situation actuelle, tout ce que nous avons à faire est d’étendre la production d’avions militaires au secteur civil”, a-t-il déclaré. “Par exemple, nous sortons encore les avions Il-96 et Il-76. Rien ne nous empêche d’augmenter notre production de l’Il-96, mais cette fois avec un moteur amélioré et une nouvelle avionique.”

M. Butrimov voit déjà certains signes indiquant que le secteur de l’aviation russe a commencé à s’adapter à ses nouvelles réalités. “Nous assistons à l’émergence de nouvelles petites entreprises qui produisent des composants clés et le gouvernement tente de promouvoir la fabrication d’équipements russes”, a-t-il déclaré. “Donc, d’un côté, vous avez des problèmes, mais de l’autre, ces problèmes ont finalement donné le coup d’envoi du processus d’import-substitution, dont le résultat est que la Russie ne sera plus dépendante de tout le monde.”

À long terme, la question la plus importante est peut-être de savoir dans quelle mesure la Russie pourra continuer à produire des innovations technologiques tout en étant soumise à des sanctions. L’économie russe dispose certainement de suffisamment de ressources naturelles et de savoir-faire industriel pour survivre, mais peut-elle prospérer dans un monde où les technologies avancées règnent de plus en plus en maître ? Comme je l’ai découvert, la réponse à cette question est pour l’instant très incertaine.

Sergei Abramov est le directeur de l’Institut des systèmes de programmes de l’Académie des sciences de Russie, mais il est peut-être plus connu pour son travail de concepteur en chef du superordinateur russe “SKIF-Aurora”. Abramov m’a expliqué qu’à la suite des sanctions financières contre la Russie, son institut ne pouvait plus payer pour des services tels que les adresses IP, l’infrastructure de télécommunication, les serveurs et même des applications comme Zoom ou Dropbox. “Auparavant, vous ne pensiez pas à ces questions”, a-t-il admis. “Nous étions tous tellement habitués au fait que nous pouvions facilement faire apparaître une page de navigateur ou écrire une ligne de code, que nous ne pensions pas vraiment aux services qui rendent ces actions simples possibles.”

La question la plus urgente pour Abramov, cependant, est le danger que la Russie prenne du retard sur le plan technologique en raison des sanctions. Comme il me l’a expliqué, le développement de technologies de pointe à l’ère de l’internet n’est possible que grâce à la coopération internationale, car l’innovation nécessite d’importantes ressources financières, technologiques et de connaissances. M. Abramov a fait remarquer que lorsque son institut a mis au point le superordinateur “SKIF-Aurora”, il a formé une alliance avec Intel et la société Eurotech, basée en Italie, qui ont toutes deux contribué de manière significative au produit final.

“Pourrions-nous faire tout cela sans coopération internationale ? Non, nous ne le pourrions pas”, a-t-il déclaré. “Même si nous disposions de certaines solutions à la pointe de la technologie, elles n’étaient pas suffisantes pour créer le produit final. Un superordinateur nécessite des centaines de solutions d’avant-garde, et il est très difficile de le développer entièrement soi-même.”

Les sanctions ont également créé d’autres obstacles à l’innovation, a averti M. Abramov. En plus de restreindre les importations technologiques, les sanctions menacent de plonger l’économie russe dans un marasme prolongé, ce qui signifie que d’autres secteurs auront moins de ressources pour commander des solutions à l’industrie informatique. Peut-être plus inquiétant encore, la difficulté de travailler dans le cadre des sanctions pourrait pousser de nombreux informaticiens russes talentueux à chercher de meilleures opportunités ailleurs. Abramov a déclaré que sur ses cinq meilleurs étudiants, quatre avaient quitté la Russie.

“Le secteur informatique continuera son travail et il y aura quelques solutions nationales en matière de logiciels et de matériel, mais tout ce travail sera monstrueusement compliqué”, a-t-il déclaré. “Dans ces circonstances, il sera très difficile de parler de la Russie qui développe des produits avec une supériorité concurrentielle.”

L’exode massif des travailleurs de l’informatique depuis la fin février a fait craindre que la Russie ne soit bientôt confrontée à une importante fuite des cerveaux, bien que l’ampleur exacte du problème soit sujette à débat. L’Association russe des communications électroniques a fait sensation lorsqu’elle a indiqué en mars que 50 000 à 70 000 spécialistes avaient quitté le pays et que 100 000 autres devaient partir le mois suivant.

En revanche, une étude publiée fin mai par l’association de développeurs de logiciels Russoft estimait que seuls 40 000 travailleurs du secteur informatique avaient quitté le pays depuis le début de l’année. Fait peut-être encore plus significatif, l’étude de Russoft a conclu que jusqu’à la moitié de ces spécialistes pourraient revenir en Russie avant la fin de l’année.

Valentin Makarov, directeur de Russoft, m’a dit qu’il y a plusieurs raisons pour lesquelles il s’attend à ce que tant de travailleurs russes de l’informatique rentrent au pays. Tout d’abord, l’afflux de professionnels russes bien rémunérés dans les pays voisins a entraîné une forte hausse des prix de l’immobilier dans ces pays, ce qui rend les délocalisations à long terme beaucoup plus coûteuses. Deuxièmement, de nombreux Russes qui se sont installés à l’étranger ont déclaré avoir été confrontés à l’hostilité de la population locale. Enfin, M. Makarov pense que le nouveau paquet d’incitations du gouvernement russe pour les entreprises et les travailleurs du secteur des TI, qui comprend des exemptions d’impôts et de service militaire, pourrait contribuer à inciter de nombreuses personnes à revenir en Russie.

“Perdre 20 000 spécialistes est bien sûr très mauvais, mais ce n’est pas suffisant pour affecter sérieusement la qualité du travail de l’industrie”, a-t-il déclaré. En ce qui concerne l’avenir, M. Makarov a affirmé que, même si l’adaptation à la nouvelle réalité de l’après-sanctions sera sans aucun doute difficile, le secteur informatique russe est prêt à relever le défi. Il a noté que certaines entreprises russes avaient vu leurs ventes multipliées par 2 à 8 au cours des derniers mois, alimentées par une augmentation de la demande de solutions informatiques nationales suite à l’exode des géants technologiques occidentaux de Russie. La prochaine étape, selon M. Makarov, consiste à rechercher des possibilités d’expansion sur les marchés des pays en développement, qui représentent, selon lui, 40 % de la part totale du marché mondial des TI.

Tout en admettant qu’il ne sera pas possible de compenser entièrement la perte d’accès aux technologies de pointe occidentales, M. Makarov soutient que la Russie pourrait s’associer aux entreprises des marchés technologiques émergents tels que la Chine, l’Inde, la Malaisie et l’Indonésie pour développer leurs propres innovations de pointe. M. Makarov pense que l’indépendance géopolitique vis-à-vis des États-Unis pourrait être un argument de vente puissant pour la Russie, notamment lorsqu’il s’agit d’établir une coopération technologique plus étroite avec Pékin.

“La Chine est évidemment plus intégrée économiquement à l’Occident qu’à la Russie, mais la confrontation géopolitique entre la Chine et les États-Unis n’est pas près de disparaître”, a-t-il déclaré. “Au contraire, comme de plus en plus de sanctions sont imposées à la Chine, elle devra trouver de nouveaux partenaires dans le développement technologique et dans tous les autres domaines. Étant donné que la Russie et la Chine disposent toutes deux de très bons programmeurs, il est logique que nous travaillions ensemble à la construction d’un nouvel espace technologique plutôt que de rester dépendants des États-Unis.”

En trois mois à peine, les relations de la Russie avec le monde extérieur ont été complètement bouleversées. L’ère post-soviétique de la mondialisation, dans laquelle la Russie vendait des ressources naturelles à l’Occident en échange de composants clés, de technologies et de produits finis, est probablement révolue pour de bon. Mais ce qui va suivre est loin d’être certain. La Russie trouvera-t-elle le moyen de braver les obstacles et de conserver son statut de grande économie mondiale ? Ou est-elle condamnée à devenir un paria international qui se retrouvera de plus en plus à la traîne sur le plan technologique ? Je pense que nous n’aurons une réponse définitive à cette question que dans quelques années“. 

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