(Paris) C’est le premier acte fort du second quinquennat : Élisabeth Borne a été nommée lundi première ministre par Emmanuel Macron, deux heures après la démission de Jean Castex. L’ancien et la nouvelle cheffe du gouvernement doivent procéder à une passation de pouvoir en début de soirée à Matignon.
Celle qui était jusqu’alors ministre du Travail, après avoir occupé les portefeuilles des Transports et de la Transition écologique depuis 2017, est la première femme nommée à Matignon depuis la démission d’Édith Cresson en 1992, la deuxième de la Vè République.
Jean Castex avait présenté lundi vers 16 h sa démission à Emmanuel Macron, qui l’avait acceptée dans la foulée. Les deux hommes ont échangé pendant environ une heure avant un tweet du chef de l’État le remerciant pour avoir « agi avec passion et engagement au service de la France », en appelant à être « fier du travail accompli et des résultats obtenus ensemble ».
Dimanche, M. Castex avait expliqué que « c’est une nouvelle ère qui s’ouvre » pour lui, « sans remords, ni regrets », après près de deux ans à être « premier ministre de l’intendance ».
Grande favorite depuis la mi-journée pour lui succéder, la ministre du Travail Élisabeth Borne a été reçue à l’Élysée en fin d’après-midi.
Emmanuel Macron avait assuré il y a une semaine à Berlin qu’il savait déjà le nom de son prochain premier ministre, doté selon lui d’un profil « social », « écologique » et « productif ».
Depuis, les rumeurs allaient bon train. Seule certitude, croyait savoir son entourage : ce sera une femme. D’autant que 74 % des Français sont pour, selon un sondage Ifop publié dans le JDD.
Pour le chef du MoDem François Bayrou, allié d’Emmanuel Macron, il faut une personne, homme ou femme, qui ait « du leadership, de l’expérience ». Et il faut une empathie assez grande avec le chef de l’État, car, « quand le président de la République déteste le premier ministre, les choses ne peuvent que tourner mal », a-t-il souligné dimanche au Grand Jury, citant le cas de François Mitterrand et de son premier ministre Michel Rocard (1988-1991).
Classe politique « machiste »
Après un week-end dominé par les noms des anciennes ministres Catherine Vautrin (ex-LR), Valérie Létard (centriste) ou Marisol Touraine (ex-PS), l’hypothèse Élisabeth Borne s’est finalement imposée.
Cette technicienne tenace, jugée loyale, est perçue par la macronie comme ayant fait ses preuves au gouvernement pendant tout le dernier quinquennat, des Transports au Travail en passant par l’Écologie.
Cette ancienne directrice de cabinet de Ségolène Royal a également le mérite d’appartenir à l’aile gauche de la macronie, un atout à l’heure où s’annoncent de nouvelles réformes sociales, à commencer par « la mère des batailles » sur les retraites.
Plaçant « la justice sociale et l’égalité des chances » au cœur de ses combats, l’hypothèse de sa nomination était toutefois vue avec circonspection par certains lieutenants d’Emmanuel Macron, jugeant le profil de cette ingénieure devenue préfète « pas assez politique », alors qu’elle doit affronter pour la première fois le suffrage universel lors des législatives de juin dans le Calvados.
Une femme à Matignon ? Édith Cresson, la seule à avoir occupé le poste (1991-1992), a souhaité dans le JDD « beaucoup de courage » avec une classe politique « machiste ».
Ce choix est d’autant plus stratégique qu’il vient confirmer l’orientation qu’entend se donner le chef de l’État, qui a promis de tenir compte de la colère exprimée par de nombreux Français pendant la crise des « gilets jaunes » et lors de l’élection présidentielle, et de changer de méthode.
« La composition du nouveau gouvernement, l’identité des grands ministres, l’identité du ou de la première ministre peut avoir une importance très forte sur les élections législatives », avait ainsi souligné dimanche soir sur LCI le sondeur Frédéric Dabi, de l’Ifop, en rappelant que « la nomination d’Édouard Philippe en 2017 avait permis à la majorité présidentielle de casser la droite en plusieurs morceaux ».
Mais, relève-t-il, « l’impatience des Français » se focalise surtout « sur des questions d’inflation, de pouvoir d’achat, d’environnement et de sécurité » auxquelles il va falloir répondre dans un contexte anxiogène de crise de la COVID-19 et de guerre en Ukraine qui favorisent l’envolée des prix de l’énergie et de l’alimentation.
La nouvelle équipe gouvernementale, promise resserrée, est désormais attendue dans les prochains jours et devra mener la bataille pour les élections législatives, prévues les 12 et 19 juin.
Pour l’heure, le bloc présidentiel est crédité de quelque 26 % d’intentions de vote et conserverait une majorité à l’Assemblée nationale, défiée toutefois par la Nouvelle union populaire écologique et sociale entre LFI, EELV, PS et PCF (Nupes), qui obtiendrait 28 % et le Rassemblement national (24 %) de Marine Le Pen.
Ces oppositions accusent M. Macron de « casse sociale », fustigeant notamment la réforme de la retraite à 64-65 ans annoncée.
Le chef de LFI Jean-Luc Mélenchon, qui a recueilli 22 % des voix au premier tour de la présidentielle, a lui annoncé dimanche vouloir porter le SMIC à 1500 euros net en cas de succès de Nupes aux législatives. Lui-même candidat au poste de premier ministre en cas de victoire de sa coalition aux législatives, il a qualifié lundi Mme Borne de « figure parmi les plus dures de la maltraitance sociale ».
Marine Le Pen a pour sa part considéré qu’en nommant Mme Borne à Matignon, Emmanuel Macron « poursuit sa politique de saccage social ».
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