Chaque élection présidentielle dessine une carte électorale riche d’information sur la situation politique et sociologique d’un pays, celle de 2022 n’ayant pas fait exception. Un clivage Est / Ouest se déploie doublé d’une ligne Nord / Sud qui dessine le vote Macron / Le Pen. Les départements de l’ouest côtier, de la Normandie au Pays basque, ont majoritairement voté pour Emmanuel Macron, à quoi s’ajoutent la vallée de la Loire, l’Anjou et le Maine. L’Est en revanche, du Pas-de-Calais à la Nièvre en passant par les Ardennes a majoritairement voté Le Pen. À quoi s’ajoutent le littoral méditerranéen et la région du Périgord.
Le vote Mélenchon, comme le vote Zemmour, n’est pas un vote de surface, mais de villes. Ce sont dans les grandes villes que les deux candidats ont obtenu leurs meilleurs scores. Nantes (33%), Rennes (36%), Bordeaux (29%), Toulouse (37%) pour Mélenchon quand Zemmour est arrivé deuxième à Versailles (18,5%), Neuilly (18,7%) et dans plusieurs arrondissements parisiens dont le 16e (17,5%, son meilleur score), le 7e et le 8e. Électorat populaire pour Le Pen, diplômé pour Mélenchon et Zemmour. Le cas du Var est symptomatique de cette différence sociologique. Dans les villes modestes, Le Pen est devant Zemmour, qui réalise néanmoins ses meilleurs scores, mais à Saint-Tropez les deux candidats sont au coude-à-coude.
Un département a basculé dans le plus grand silence, le Tarn. Terre historique de la gauche, terre de Jaurès et de l’expérience du socialisme ouvrier, le département a placé cette fois-ci Marine Le Pen en tête, alors qu’en Aveyron voisin c’est Macron qui est premier. Dans toutes les anciennes villes ouvrières, liées aux mines (Carmaux) ou au textile (Mazamet), Le Pen est devant, supplantant les candidats de la gauche officielle. À Castres, Le Pen et Macron sont dans un mouchoir de poche alors qu’à Albi, la préfecture, Macron est bien installé en tête.
La France périphérique ?
Quels motifs peuvent expliquer ces votes ? L’opposition faite par le marxiste Christophe Guilly entre France des métropoles et France périphérique ne m’a jamais convaincu. Cela ne se retrouve en effet pas dans les cartes. Brest a voté pour Macron (28,7%) et Mélenchon (28,1%) quand Boulogne-sur-Mer a mis en tête Le Pen (32,5%). Les deux sont des ports, donc des villes de la mondialisation, avec une très forte activité industrielle à Boulogne, axée sur la transformation du poisson. Boulogne n’est pas exclue de la mondialisation et ce n’est nullement une ville périphérique. L’électorat de Mélenchon est urbain, issu des métropoles. À Toulouse il est arrivé premier avec 36,7%. À Blagnac, sa voisine, là où se trouve le siège d’Airbus, il est deuxième avec 26%. Var, Bouches-du-Rhône, Alpes Maritime votent fortement pour Le Pen alors que ces départements sont très insérés dans la mondialisation économique, que ce soit par l’activité touristique ou les nombreuses industries qui s’y trouvent. À l’inverse, les territoires les plus touchés par l’insécurité et le terrorisme sont ceux qui ont le moins voté pour Le Pen et Zemmour. Outre Rennes et Nantes précédemment citées, Grenoble (15% à eux deux, Mélenchon 39%) dont le centre-ville est pourtant en pleine dépression. Dans le 11e arrondissement, celui où se sont déroulés les attentats de 2015, Le Pen et Zemmour font 9% à eux deux, Mélenchon 36%, Macron 33%.
Nous avons donc des territoires insérés dans la mondialisation qui votent Macron ou Mélenchon et d’autres qui votent Zemmour et Le Pen. Les électeurs Zemmour de Neuilly, Versailles ou du 16e sont des CSP+ dont le métier est totalement mondialisé.
Terres d’épées, terres de paix
À cette théorie de la France périphérique, qui a été battue en brèche par d’éminemment géographes comme Jacques Lévy (Théorie de la justice spatiale : géographie du juste et de l’injuste, 2018), s’opposent d’autres explications.
L’histoire tout d’abord qui fait que certains territoires ont toujours été plus modérés (comme l’ouest) et d’autres, plus radicaux (le Midi, les villes). Cette permanence de l’histoire demeure dans la géographie électorale et explique en partie cette coupure est / ouest et nord / sud. Ce qui renvoie à la transmission de la conscience politique. De façon assez générale, les enfants votent comme leurs parents, même si des exceptions existent. Cette tradition politique se transmet donc malgré les changements sociaux et géographiques des dernières décennies, les électeurs se rabattant sur les candidats qui correspondent à leurs demandes politiques.
Une hypothèse ici, la ligne de partage entre la France modérée et la France radicale peut se lire à l’aune des invasions du territoire français. L’Est a connu les invasions de la Révolution, de la Prusse et de l’Allemagne. Le pourtour méditerranéen a connu, de longs siècles durant, les attaques des Barbaresques qui ont laminé leurs côtes. En 1944, le débarquement s’effectue en Corse puis à Fréjus / Saint-Raphaël. Nous sommes là, dans la zone géographique du vote lepéniste, dans les terres de guerre, celles qui ont connu les invasions et les libérations, le passage des troupes ennemies. L’ouest en revanche, hormis des bombardements localisés sur les ports, n’a pas connu d’invasion dans les temps récents. L’Allemand s’est arrêté bien en amont ; les champs de bataille remontent à loin dans les siècles, ceux de la guerre de Cent Ans et des guerres de religion. D’où probablement ce rejet des « extrêmes », cette recherche passionnée de la modération, du centrisme, ce refus du mot de trop ; ces territoires n’ont pas été façonnés par l’épée. Cette hypothèse pourrait être contredite par le cas de l’Alsace, qui vote Macron quand tous ses voisins votent Le Pen. L’Alsace qui a longtemps vécu en dehors de la France et qui depuis son retour à la France a un très fort tropisme européen, donc macroniste aujourd’hui. Son histoire est finalement différente de celles des autres départements de l’est.
Un autre facteur a joué, c’est celui de l’âge. Les plus de 60 ans ont massivement voté pour Macron : 60-69 ans : 30% Macron, 22% Le Pen, 70 ans et plus, 41% Macron, 13% Le Pen selon une analyse de l’IFOP. Pour toutes les autres catégories d’âge, Le Pen est devant Macron, l’écart le plus important étant pour les 18-24 et les 50-59 ans. Nul effet géographique ici mais une démonstration de la pertinence de la théorie des choix publics : les électeurs votent pour les candidats qui défendent leurs intérêts. La même matérialisation du choix public se manifeste dans le vote ethnique.
Vote ethnique
La nouveauté grandissante de cette élection est celle du vote ethnique, qui croit selon la croissance des nouvelles populations. Un vote préempté par Jean-Luc Mélenchon, qui se manifeste dans son succès dans les outre-mer et en Seine-Saint-Denis (49%, Macron 20%). Si Sarcelles a majoritairement voté Mélenchon (48%), les bureaux de vote qui correspondent aux quartiers juifs ont placé Zemmour en tête, lui permettant de faire un de ses meilleurs scores urbains (11,5% pour la ville). Le même phénomène se retrouve à Marseille et à Lyon où le vote Mélenchon Macron épouse les différences ethniques des villes. Ici, ce ne sont ni la géographie, ni l’histoire, ni la sociologie ou l’économie qui importent, mais l’appartenance à un groupe humain. La question est de savoir si cette tendance va croître avec le temps, avec des élections qui seront de plus en plus structurées par la question ethnique, comme cela se déroule en Afrique, où si à terme ces populations vont se fondre dans la pratique démocratique française et voter en fonction d’intérêts autres. Il y a là un enjeu majeur pour la poursuite de l’aventure démocratique en France.
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