11 mars 2022

Ukraine : le conflit de haute intensité médiatique

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Depuis le 24 février, tous les regards sont braqués vers l’Ukraine dont le conflit sature la bande passante médiatique. Un conflit qui a débuté au moins en 2014 et qui a été quasi-quotidien dans la région du Donbass, avant que l’intensité ne monte de plusieurs crans en touchant l’ensemble du pays.

Cette guerre est passée du stade de conflit ignoré à celui de conflit saturé. Qui se souvient encore des Rohingyas, qui avaient un temps fait la une de la saturation médiatique ? Ce peuple n’a pas disparu, ni ses problèmes. Qui se souvient du Yémen, conflit débuté lui aussi en 2014 et dont l’ONU estime qu’il a engendré l’une des pires crises humanitaires des dernières décennies ? Qui parle du Soudan, déchiré entre le nord et le sud, et dont le sud indépendant est désormais tombé en guerre civile. On ne parle plus du Mali, ni de la bande sahélo-saharienne, ni de l’Éthiopie et de la Somalie. Il y a des conflits de basse intensité médiatique et d’autres de forte intensité. Mais qu’est-ce qui permet le passage de l’un à l’autre ?

Guerre médiatique, guerres oubliées

Le mimétisme bien sûr, qui fait que les médias s’emparent tous d’un même sujet au même moment. Les agences de presse publient des articles sur ce thème, les agences de photographies produisent des images et les lecteurs sont avides de ce type d’articles. Aujourd’hui, un article sur l’Ukraine est beaucoup plus lu qu’un article sur le Yémen. Les médias répondent à la loi de la demande et adoptent leur offre en conséquence.

La saturation des images est terrible et accroit le sentimentalisme. Les images de guerre, avec les villes détruites, les voitures carbonisées, les civils qui fuient sont autant de moments d’émotion. Rien ne vaut la photo d’un enfant en pleurs pour susciter une adhésion ; ce qui est tout à fait humain. Mais jusqu’à quel point ce type de photo fournit une information et à partir de quand vise-t-elle à susciter une émotion qui empêche de réfléchir ?

La proximité joue aussi. Les Français se sentent plus proches des Ukrainiens que des Yéménites et des Vénézuéliens. L’Ukraine, c’est un pays à nos portes, dans notre continent, et nous pouvons facilement avoir des amis voire de la famille qui en vient. Il n’y a pourtant pas eu ce même mouvement d’opinion lors de la guerre au Karabagh entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan ; alors que les mêmes ingrédients étaient réunis. Une guerre en Europe contre un peuple (l’Arménie) dont la France est proche, avec des combats durs et terribles contre des civils. Certes les médias ont dans l’ensemble pris le parti de l’Arménie, mais à aucun moment il n’est venu l’idée aux politiques de prendre des sanctions à l’encontre de l’Azerbaïdjan. Parce que le pays a du pétrole ? Comme la Russie, et en moindre quantité. Pourquoi alors cette émulsion sur le conflit en Ukraine et pas sur le conflit au Karabagh ? Parce que le premier peut dégénérer et toucher une plus grande partie du continent alors que le second apparaissait comme beaucoup plus localisé ? La Russie est aussi un ennemi idéal et utile, dont l’attaque a permis de ressusciter l’OTAN qui était morte. C’est Pâque avant même le Carême.

Impuissance européenne

Après 15 jours de conflit, les Européens se sont montrés tout autant impuissants et Zelensky a raison de fustiger leurs paroles et leurs inactions. Hormis quelques décisions purement symboliques rien de sérieux ne fut adopté. On a ainsi renvoyé des chefs d’orchestre et des musiciens parce qu’ils étaient Russes, ce qui est contraire à toutes les lois anti-discriminations. Dans un geste de courage absolu, les chats russes furent exclus des compétitions, ainsi que les athlètes handicapés, interdit de concourir aux jeux paralympiques, à la demande frénétique des Allemands. Autant de décisions courageuses qui vont faire reculer les chars de Poutine. Les Européens ont annoncé des sanctions économiques massives afin de « ruiner l’économie russe » selon les mots de Bruno Lemaire, avant de faire marche arrière après s’être rendu compte que c’était l’économie européenne qui allait être ruinée.

Angela Merkel, qui a régné sur l’Allemagne et sur l’Europe durant 16 ans est totalement absente alors qu’elle aurait pu jouer un rôle utile de médiateur. L’Union européenne a un ministre des Affaires étrangères, dont chacun peut mesurer la grande utilité au cours de cette crise. Encore une fois, quand la guerre est là ce sont les nations et les États qui prennent en main le problème. Pour témoigner de son approfondissement de la construction européenne l’Allemagne a décidé de se fournir en armement auprès des États-Unis et les pays d’Europe de l’Est de renforcer leur présence dans l’OTAN, qui est la seule et unique armée européenne qui vaille. Les discussions diplomatiques se font uniquement entre l’Ukraine et la Russie, sans que les Européens ne participent à la table des négociations. On dit que Poutine a sorti son épée et que celle-ci s’est montrée rouillée, on peut en dire autant des Européens, qui n’ont, il est vrai, pas eu besoin de la sortir du fourreau pour que l’on sache qu’elle l’était.

Bâtir une paix durable

Quinze jours plus tard, nous sommes donc au même point qu’au début des opérations. Il faudra bien pourtant en sortir. La Russie a posé ses conditions, que l’Ukraine semble prête à accepter : reconnaissance de la Crimée comme terre russe, indépendance ou rattachement d’une partie du Donbass à la Russie, neutralisation de l’Ukraine pour l’empêcher d’entrer dans l’OTAN. Quinze jours de guerre, peut-être plus, pour aboutir à ce qui aurait pu être négocié sans conflit. Il faut bien pourtant penser le monde d’après, c’est-à-dire la construction d’une « maison commune européenne », une réconciliation avec la Russie et une réintégration de ce pays dans l’arc européen, c’est-à-dire là où nous avons intérêt qu’il soit, et non pas dans les bras de la Chine. Cela ne pourra peut-être se faire qu’après le départ de Poutine, dont personne ne connait le jour et l’heure. Mais qui en Europe pense au monde d’après et à ce que pourrait être le continent une fois la paix revenue en Ukraine ? On ne pensait pas avant la guerre, on ne pense pas pendant, il est donc peu probable que l’on pense après.

En Ukraine se crève l’abcès créé en 1991 après la disparition de l’URSS, quand tout le monde croyait à l’hyperpuissance américaine et à la fin de l’histoire. Quand les armes se seront tues, le plus tôt possible, il sera grand temps de reprendre le fil mal raccordé de 1991 pour bâtir cette fois-ci une vraie Europe et une vraie paix sur le continent.

Jean-Baptiste Noé

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