La réponse de Moscou aux sanctions occidentales après l'invasion russe de l'Ukraine a été rapide. L'une d'entre elles est la suspension des lancements de Soyuz au Centre spatial guyanais (CSG) en réaction à la décision du Conseil de l'Europe d'interdire les exportations vers l'industrie aérospatiale russe.
"En réponse aux sanctions de l'Union européenne contre nos entreprises, Roscosmos suspend la coopération avec ses partenaires européens pour organiser des lancements spatiaux depuis le cosmodrome de Kourou et va rappeler son personnel, y compris l'équipage de lancement consolidé, de la Guyane française"
,
a twitté samedi le patron de l'agence spatiale russe, Dmitri Rogozine.
Soit 87 russes présents en Guyane et travaillant pour les sociétés NPO
Lavochkin (étage supérieur Fregat-MT), Progress RCC (fabricant des
Soyuz) et de TsENKI, qui construit les installations de lancement
russes. Moscou tape là où cela fait mal pour l'Europe, l'accès à
l'espace. Surtout dans la période de transition très incertaine entre
Ariane 5 et Ariane 6.
Très mauvaise nouvelle pour Arianespace
Si les propos de Dmitri Rogozine se confirmaient, ce serait une très mauvaise nouvelle pour Arianespace, qui avait prévu trois lancements Soyuz à Kourou en 2022. Au total, la société de commercialisation européenne devait lancer cette année huit Soyuz, dont cinq depuis le cosmodrome russe de Baïkonour au Kazakhstan. La Grande-Bretagne et les Etats-Unis où sont fabriqués les satellites de OneWeb voudront-ils les faire lancer par Soyuz dans l'actuel contexte géopolitique ?
Sur
le plan commercial et financier, Arianespace pourrait être à nouveau
sur le fil du rasoir. La société avait annoncé en septembre 2020 avoir
réussi à sécuriser 16 lancements OneWeb sur Soyuz après la sortie de
route du fondateur de OneWeb Greg Wyler. Car OneWeb pourrait se tourner
vers un back-up. Américain avec SpaceX ou Blue Origin ou encore Boeing ?
Cette situation a toutefois le mérite de mettre le doigt sur une
situation que devra régler l'Europe : le choix d'un back-up solide et
pérenne pour Ariane 6 sur le long terme si jamais le lanceur européen
rencontrait à un moment donné des problèmes d'exploitation.
Un gros grain de sable
A court terme, la décision de Roscosmos est déjà un gros grain de sable dans le manifeste de 2022 d'Arianespace, qui a déjà opéré le 10 février dernier un des trois lancements Soyuz programmé au CSG cette année. Le lanceur russe a d'ailleurs parfaitement réussi le vol VS27 et a placé sur orbite 34 satellites supplémentaires pour le compte de la constellation OneWeb. Outre OneWeb, la filiale d'ArianeGroup avait également prévu de mettre à bord de Soyuz en avril deux nouveaux satellites de la constellation européenne Galileo.
Devant
cette situation, Thierry Breton, le commissaire en charge de la
politique spatiale européenne et notamment des infrastructures spatiales
Galileo et Copernicus, a tenu à rassurer très rapidement dès samedi en
affirmant que la suspension des activités de Roscomos à Kourou ne
portait "aucune conséquence sur la continuité et la qualité des services de Galileo et de Copernicus", ni "ne remet non plus en cause la continuité du développement de ces infrastructures".
Pour autant, il faudra soit trouver un back-up pour ce lancement, soit,
plus vraisemblablement, attendre Ariane 6... mais pas trop quand même
pour que l'Europe soit enfin dotée du fameux PRS (Public Regulated
Service), un service gouvernemental et militaire crypté et sécurisé, qui
sera disponible en 2024. Et à condition que le programme Ariane 6 ne se
plante pas.
"Nous prendrons, en temps voulu, toutes les décisions qui s'imposent en réponse et poursuivons résolument le développement de la deuxième génération de ces deux infrastructures spatiales souveraines de l'Union", a expliqué Thierry Breton.
C'est également un
éventuel contre-temps très dommageable pour le ministère des Armées, qui
a prévu de lancer en fin d'année le satellite espion CSO-3
(observation) sur Soyuz, ce lanceur ayant déjà lancé CSO-2 en 2020. Les
incertitudes entourant l'arrivée sur le pas de tir d'Ariane 6 avait
contraint fin 2021 le ministère à choisir la solution Soyuz pour que
CSO-3 soit lancé en 2022. La situation géopolitique a changé la donne.
Jusqu'à quand ?
Soyuz, le back-up naturel d'Ariane 6
Arianespace
avait identifié Soyuz comme "back-up naturel", s'il y avait des retards
d'Ariane 6, notamment pour des missions institutionnelles que Soyuz
pouvait assurer comme CSO-3. La version européanisée du Soyuz est
notamment un back-up pour les missions idéal pour Galileo. C'est
pourquoi la France négociait depuis plusieurs mois avec l'agence
spatiale russe une prolongation de Soyuz au CSG pour maîtriser la
transition entre Ariane 5 et Ariane 6. D'autant que Soyuz pouvait
également servir de back-up pour les petits satellites géostationnaires
depuis la Guyane. Le lanceur russe avait mis en 2017 deux satellites de
3,2 tonnes et 2,3 tonnes (Hispasat 36W-1 et SES 15).
Dans une interview accordée début 2021 à La Tribune, le PDG d'Arianespace Stéphane Israël avait estimé que Soyuz allait "donner de la robustesse à l'autonomie d'accès de l'Europe à l'espace pour ses missions institutionnelles. Il facilite la transition vers Vega C et Ariane 6, et c'est une excellente chose".
Michel Cabirol
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