28 mars 2022

Quel statut juridique pour les territoires que la Russie annonce avoir libérés

La déclaration, hier, du dirigeant de LNR Passetchnik, quant à l'organisation prochaine certaine d'un référendum visant à intégrer LNR dans la Fédération de Russie, a provoqué une nouvelle avalanche de commentaires contradictoires. Au-delà de la question de la maîtrise du discours et de sa cohérence, qui est également importante, reste celle encore plus pressante de la décision politique de la Russie face à ces territoires, qu'elle annonce libérés.

Les politiciens ukrainiens, comme Oleg Tsarev, mais aussi les maires des localités, et bien sûr les habitants ont besoin de savoir quel drapeau flotte et quel droit est appliqué. Comme écrit Tsarev : soit la victoire, soit la défaite, toute autre 3ème voie est une défaite cachée.

Hier, Léonid Passetchnik, lors d'une conférence de presse, a déclaré qu'un référendum d'entrée dans la Fédération de Russie pourrait être organisé prochainement à LNR :

"Je pense que dans un avenir proche, un référendum aura lieu sur le territoire de la République, au cours duquel le peuple exercera son droit constitutionnel absolu et exprimera son opinion sur l'adhésion à la Fédération de Russie. Je suis absolument sûr que c'est exactement ce qui va se passer. (...) (Les habitants de LNR) n'ont qu'un espoir et un rêve dans leur cœur - faire partie de la Fédération de Russie, retourner, comme ils l'ont dit en Crimée, dans leur port natal et enfin commencer à travailler pour un grand et brillant avenir"

Cette déclaration, qui semble évidente et légitime, puisque s'appuyant à la fois sur une logique rationnelle de développement des territoires et des populations, autant que sur une volonté populaire largement démontrée et payée par le sang, a pourtant provoqué des réactions très différentes.

Oleg Tsarev, ancien député ukrainien et candidat aux élections présidentielles de 2014, a immédiatement félicité cette déclaration, soulignant que ce droit devrait être étendu aux autres régions ukrainiennes libérées par l'armée russe - ce doit être au peuple de décidé où et comment vivre. 

Andreï Klichas, sénateur Russie Unie, président du comité du Conseil de la Fédération pour l'ordre constitutionnel, a également soutenu la position de Passetchnik, d'une manière plus formaliste, soulignant que la Russie avait reconnu LNR avec sa Constitution, donc si la Constitution de LNR le permet, c'est effectivement envisageable.

De son côté, Léonid Kalachnikov, député communiste, président de la commission de la Douma pour les affaires concernant les pays de la CEI, s'est montré beaucoup plus critique : 

"Je ne pense pas qu'en principe cela soit souhaitable, car jusqu'à récemment, les républiques faisaient partie de l'Ukraine, même si elles étaient régies par les « accords de Minsk ». Et comme ça, vite vite ..."

Et de comparer  avec les République d'Ossétie et d'Abkhazie, que la Russie a reconnu il y a longtemps et pour lesquelles le processus d'intégration n'a pas été lancé. Si la comparaison n'est pas heureuse, beaucoup de questions se posent effectivement quant à la position stratégique de la Russie. Et Passetchnik de faire plus tard un pas en arrière - mais non, aucun référendum n'est en préparation, ce n'est que mon opinion personnelle.

Ces cafouillages politico-médiatiques dans un contexte aussi sensible sont extrêmement contre-productifs. Rien n'est pire que de donner de l'espoir, pour ensuite faire un pas, plus sur le côté qu'en arrière, en attendant que ça passe. Car les gens ont besoin de savoir à quoi s'attendre, ce ne sont pas des pions dans un jeu d'échec. Ce sont des êtres humains. Des être humains, qui se battent dans le Donbass depuis 8 ans pour revenir en Russie. Des êtres humains dans les autres régions, qui doivent avoir une idée de ce qui les attend. Soit ils attendent le retour des Ukrainiens et risquent très gros (n'oublions pas que le Premier ministre britannique a déclaré que dès le départ de la Russie, l'Ukraine serait réarmée), soit la Russie reste et ils peuvent relever la tête.

Or, la volonté populaire est bien là, comme l'illustre cette chanson de deux chanteuses du théâtre de Donetsk, "Nous revenons à la maison" (écouter ici). Et leur "maison" n'est pas l'Ukraine. 

Illustration de ce cafouillage politique, dans la ville de Slavoutitch (région de Kiev), où un drapeau russe flotte à côté d'un drapeau ukrainien sur l'administration de la ville :


Or, cette cohabitation est illusoire ... et in fine impossible. Il va bien falloir faire un choix. Soit ces territoires restent sous législation ukrainienne et drapeau ukrainien, puisque l'Ukraine est considérée comme ayant un gouvernement légitime, et, dans ce cas, qu'y fait la Russie ? Soit le gouvernement ukrainien n'est plus légitime depuis 2014, l'Etat ukrainien est absent et ces territoires passent sous législation et drapeau russe. Comme l'écrit très justement Tsarev encore une fois hier, il faut décider des symboles et du droit applicable sur ces territoires, les gens doivent savoir comment vivre. La Russie n' a pas de choix, elle doit aller au bout de la logique, dirais-je historique, de ce qu'elle a commencé :
"Ils ont commencé à mener une opération spéciale militaire - il faut terminer par une victoire. Pour ce faire, nous devons constamment augmenter le territoire que nous contrôlons, détruire le leadership et les effectifs des Forces armées ukrainiennes. Coupez les lignes de ravitaillement de l'armée et des territoires belligérants. Au mieux cela sera fait, plus tôt la guerre se terminera. La situation actuelle ne se résoudra pas d'elle-même. Il n'y a que deux issues : la victoire ou la défaite. Les tentatives de trouver une autre issue à la situation autre que la victoire ne sont que des tentatives de faire passer la défaite comme une troisième option."

En attendant, des administrations civilo-militaires sont mises en place dans la région de Kherson et de la région de Zaporojia, les roubles commencent à circuler, la diffusion de la télé et radio russe est lancée. Sur le reste du territoire, la situation est beaucoup plus ambiguë. Des actions économiques concrètes sont lancées, visant à relancer le business local, les autorisant à ne pas payer d'impôts à l'Ukraine, mais à relancer l'activité de production et de vente, à accepter en plus de la monnaie ukrainienne le rouble et le dollar. Le business est intéressé et veut pouvoir s'approvisionner en Russie.

Mais tout cela demande la clarification du régime juridique, donc du pouvoir politique. Car si les commerçants ukrainiens s'approvisionnent en Russie, acceptent le rouble, ne paient pas d'impôts en Ukraine, ils savent très bien qu'ils risquent très gros si la Russie ne s'installe pas. Ainsi, tant qu'ils ne seront pas certains de la position stratégique de la Russie, peu de personnes bougeront en Ukraine et cela coûtera très cher à la Russie, car sans le soutien de la population, elle ne remportera pas la victoire dans ce combat.

En ce qui concerne l'intérêt de la Russie, la situation est assez simple finalement. Si elle n'intègre pas ces territoires petit à petit, en les structurant, en les institutionnalisant, en les juridicisant, elle aura les inconvénients sans les avantages. Ce territoire ne se gouvernera pas seul, il n'en a pas la force politique : soit il retombera sous protectorat atantiste et les attaques contre la Russie seront encore renforcées en raison de cette faiblesse, soit il sera intégré à la Russie, d'une manière ou d'une autre (confédération ou régions fédérées) et, dans ce cas, la Russie, qui aura certes un coût pour relancer des territoires après tant d'années de gestion catastrophique, bénéficiera d'une plus grande force de production, d'une augmentation de la richesse du territoire et surtout d'un élan populaire capable de faire bouger des montagnes.

PS : Medinsky et la Turquie annoncent des négociations russo-ukrainiennes en réel en Turquie les 29 / 30 mars. C'est bien cette 3e voie, dont parle Tsarev. 

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