En réponse à la demande de la Russie de garanties de sécurité, notamment au retrait des forces étrangères de l’OTAN des pays d’Europe de l’Est, les États-Unis et la Grande-Bretagne y déplacent davantage de forces :
Le président Joe Biden a formellement approuvé des déploiements militaires américains supplémentaires en Europe de l’Est, a annoncé mercredi le Pentagone, les troupes américaines se déployant prochainement en Pologne, en Allemagne et en Roumanie. …
Le secrétaire de presse du Pentagone, John Kirby, a annoncé le déploiements d’environ 2.000 soldats étasuniens en Pologne et en Allemagne, dans les prochains jours. En outre, environ 1.000 soldats actuellement basés en Allemagne seront déployés en Roumanie. …
Kirby a précisé que les troupes déployées s’ajoutent aux 8.500 soldats américains qui ont été placés en état d’alerte renforcée la semaine dernière et qui pourraient être envoyés en Europe pour soutenir la force de réaction de l’OTAN si elle est activée.
Les troupes opéreront sur une base bilatérale avec leurs pays hôtes, puisque l’OTAN n’a pas encore activé une force de réaction multinationale.
Il s’agit d’une quantité plutôt symbolique de forces placées aux mauvais endroits et ayant une faible valeur de combat, mais elle est sérieuse par son caractère symbolique.
Ce sont les États-Unis qui ont lancé la campagne de propagande sur « l’invasion imminente de l’Ukraine par la Russie ». Le 30 octobre 2021, le Washington Post publiait le premier article écrit sur ce sujet :
Un nouveau renforcement des troupes russes près de la frontière ukrainienne a suscité l’inquiétude de certains responsables aux États-Unis et en Europe qui suivent de près ce qu’ils considèrent comme des mouvements irréguliers d’équipement et de personnel sur le flanc ouest de la Russie.
Ces responsables, qui se sont exprimés sous le couvert de l’anonymat parce qu’ils n’étaient pas autorisés à en parler publiquement, ont déclaré que les mouvements de troupes ont ravivé les inquiétudes nées en avril, lorsque le plus important renforcement des troupes russes près de la frontière ukrainienne depuis des années avait suscité un tollé international.
Le renforcement des troupes russes en mars/avril était intervenu après que Kiev eut déployé davantage de forces en direction de la région du Donbass, tenue par les rebelles, et fait des déclarations publiques sur la possibilité de la reconquérir par la force. La démonstration de force russe a suffi à refroidir Kiev et les troupes des deux camps sont rapidement retournées dans leurs casernes.
À l’automne, la Russie n’a déplacé que quelques troupes de et vers des exercices réguliers, de manière normale. Il n’y a pas eu d’intensification de l’activité. Alors pourquoi les États-Unis ont-ils crié à l’alarme et continuent-ils de le faire ?
Cette opération de propagande doit être considérée dans le contexte plus large de la montée de la Chine, de la résurgence de la Russie et de la perte de suprématie des États-Unis.
Dans un essai envoyé à sa liste de diffusion, le professeur Michael Brenner en explique les motifs :
La situation de la constellation internationale des forces émergentes indique deux stratégies américaines possibles. La plus évidente viserait à empêcher la solidification d’une alliance entre la Russie et la Chine. Ensemble, elles représentent un bloc formidable désormais capable de défier le bloc occidental dirigé par les États-Unis dans à peu près tous les domaines. …
La stratégie alternative consistait à augmenter la pression sur la Russie afin de tuer dans l’œuf l’aspiration de Poutine/Moscou à redevenir un acteur majeur – un acteur voué à priver les États-Unis de ses privilèges d’hégémon mondial et de maître unique de l’Europe. La force motrice est venue de l’ardente Victoria Nuland et de ses camarades néo-Con installés dans les agences de pouvoir, au Congrès et dans les médias. Puisque Anthony Blinken et Jake Sullivan étaient eux-mêmes partisans de cette stratégie de confrontation, l’issue du débat était prédestinée.
Nuland et Blinken ont des racines ancestrales en Europe de l’Est. Pour eux, la Russie est le mal. Mais il y a plus que cela. Ces personnes aimeraient que la Russie soit balkanisée en de nombreuses petites parties.
Jon Schwarz @schwarz – 20:10 UTC – 31 Jan. 2022
Dans ses mémoires intitulées « Duty », Robert Gates décrit comment, à la fin de la guerre froide, Dick Cheney, alors secrétaire à la défense, voulait démanteler non seulement l’Union soviétique mais aussi la Russie elle-même. Personne aux États-Unis ne sait ou ne se soucie de cela, mais je parie que beaucoup de gens dans le gouvernement russe le savent.
Et quand l’Union Soviétique s’écroula, fin 1991, Dick voulait voir le démembrement non seulement de l’Union Soviétique et de l’empire russe mais aussi de la Russie elle-même pour qu’elle ne soit plus jamais une menace pour le reste du monde – Agrandir
La personne qui dirige actuellement la politique américaine à l’égard de la Russie au département d’État est Victoria Nuland, dit « Fuck the EU » :
De 2003 à 2005, Nuland a été la principale conseillère adjointe en politique étrangère du vice-président Dick Cheney.
Cheney et Nuland ont le même état d’esprit néoconservateur néfaste.
Revenons à ce qui se passe autour de l’Ukraine telle qu’analysée par Michael Brenner :
Les événements d’avril ont donné le coup d’envoi du maelström turbulent que nous connaissons aujourd’hui. Quel scénario les gens de Biden voulaient-ils voir se dérouler ? Toute tentative de réponse doit tenir compte d’un fait essentiel : personne, à Washington, ne s’est soucié de ce que cela signifiait pour la stabilité de l’Ukraine ou le bien-être du peuple ukrainien. Leurs yeux étaient fixés sur la Russie. Leur objectif était de créer une raison d’imposer un ensemble de sanctions économiques paralysantes qui mettraient un terme aux ambitions supposées de Poutine en Europe, et au-delà. Au moins, cela permettrait à l’Occident de consacrer toute son énergie à traiter avec la Chine. Idéalement, cela ferait de Moscou un fac-similé mendiant du modèle souple d’Eltsine ou un inoffensif satrape néolibéral. Tout ce que les États-Unis ont fait vis-à-vis de l’Ukraine au cours de l’année écoulée a été dicté par cet objectif primordial.
Ils ont entrepris de fabriquer un scénario qui leur permettrait d’atteindre ce but. La clé serait une contre-action russe à une provocation ukrainienne, d’une ampleur incertaine, qui pourrait servir de casus belli pour imposer des sanctions draconiennes et pour obtenir la pleine coopération de ses alliés. La réponse inattendue, énergique et peu accommodante de Moscou a jeté un trouble dans ce plan, mais n’a pas modifié la voie dans laquelle Washington s’était engagé. …
Les hommes de Biden ont tout fait pour convaincre les Européens continentaux qu’ils devaient signer un ensemble de sanctions économiques sévères qui seraient déclenchées presque automatiquement si les Russes faisaient quelque chose de flagrant. Ils ont supposé que c’est Washington qui jugerait de ce qui constitue une action flagrante.
L’Allemagne, la France et l’Italie, entre autres, ont refusé d’adhérer à cette stratégie. Ils ne font pas confiance à Washington, ils ne veulent pas d’une confrontation avec Poutine et ils redoutent l’impact perturbateur des sanctions sur leurs propres pays (avec des conséquences politiques intérieures évidentes). La réticence de l’Allemagne à s’aligner docilement derrière Washington est particulièrement frustrante. …
Pour convaincre l’Allemagne, la France et les alliés de même sensibilité, Biden, Blinken et consorts ont commencé en octobre à attiser la fièvre de la guerre en prédisant une invasion russe « imminente ». Ils ont évoqué une « attaque éclair », c’est-à-dire le genre de « démarrage inattendu », directement vers la Manche, qui agitait les planificateurs de l’OTAN à l’époque de la guerre froide. Les mauvais plans ne meurent jamais, ils attendent juste le prochain épisode de paranoïa.
Washington a été déstabilisé lorsque les russes ont refusé de jouer le rôle qui leur était assigné. Ils n’ont rien dit ni fait pour étayer cette accusation. La russophobie a pris une ampleur telle que la Maison Blanche s’est retrouvée acculée. Le niveau de désespoir a été mis en évidence par la tournée des capitales européennes effectuée par le directeur de la CIA, William Burns, avec une mallette remplie de preuves « infaillibles » générées par la CIA, pour montrer qu’une invasion était imminente et que, par conséquent, les Européens devaient s’engager immédiatement à appliquer des sanctions afin de dissuader l’invasion, en réalité fantaisiste. Les documents les plus brûlants étaient des photographies satellites censées montrer des unités blindées russes en formation de combat « à la frontière ukrainienne » (à seulement 180 miles). Nous savons maintenant que ces photographies étaient falsifiées. Les chars et autres équipements se trouvaient dans leurs bases permanentes, à côté de casernes et d’autres installations fixes. Les photos de la CIA avaient été recadrées. La CIA, la Maison-Blanche et les agences de Washington qui les accompagnaient ont tenté de faire accepter des preuves frauduleuses dont la sophistication était du niveau d’un élève de CM2.
Nous en sommes toujours là. Les États-Unis appellent à la guerre et augmentent les risques d’une guerre dans l’espoir d’amener la Russie à faire quelque chose qui justifierait de « nouvelles et sévères sanctions ».
Mais à la mi-décembre, la Russie a commencé à contrer la démarche des États-Unis. Elle a publié deux projets de traités, l’un avec les États-Unis et l’autre avec l’OTAN, qui comportent des exigences strictes en matière de sécurité :
- Plus d’expansion de l’OTAN vers les frontières de la Russie.
- Retrait de l’invitation à entrer dans l’OTAN adressée, en 2008, à l’Ukraine et à la Géorgie.
- Retrait des forces étrangères de l’OTAN placées en Europe de l’Est.
- Garantie juridiquement contraignante qu’aucun système de frappe pouvant cibler Moscou ne sera déployé dans les pays proches de la Russie.
- Aucun « exercice » de l’OTAN ou d’un organisme équivalent (Royaume-Uni, États-Unis) à proximité des frontières russes.
- Les navires et les avions de l’OTAN doivent respecter certaines distances par rapport aux frontières russes.
- Discussions régulières entre militaires.
- Pas d’armes nucléaires américaines en Europe.
La Russie demande des réponses écrites et menace de prendre des mesures « militaro-techniques » si les réponses sont négatives. La Russie a également prévu, et même déjà lancé, de nouveaux exercices militaires.
Les réponses ont été reçues mais, suite à une demande des États-Unis, la Russie s’est abstenue de les publier. Elles ont été divulguées par El Pais, publiées aujourd’hui et peuvent être téléchargées ici (pdf).
La réponse des États-Unis aux projets de traités de la Russie est professionnelle. S’ils rejettent les principales demandes de la Russie, en particulier un statut de neutralité pour l’Ukraine, ils cèdent sur des questions mineures et proposent des discussions supplémentaires à leur sujet. La réponse de l’OTAN est en revanche hautement idéologique et rejette tous les points soulevés par la Russie tout en formulant de nouvelles exigences à l’égard de la Russie, conçues pour être rejetées. (Il est désormais probable que les futures négociations excluent l’OTAN).
La Russie n’a pas encore répondu officiellement aux lettres reçues. Au cours d’une conférence de presse tenue après des entretiens avec le premier ministre hongrois, le président russe a fait une remarque sur les lettres :
Tout en ignorant nos préoccupations, les États-Unis et l’OTAN font référence au droit des États de choisir librement des méthodes spécifiques pour assurer leur sécurité. Mais il ne s’agit pas seulement de donner à quelqu’un le droit de choisir librement des méthodes pour assurer sa sécurité. Il ne s’agit que d’une partie de la formule bien connue de la sécurité indivisible. La deuxième partie inaliénable implique qu’on ne doit pas renforcer la sécurité de quiconque au détriment de celle des autres États.
Le ministère russe des Affaires étrangères a envoyé une lettre à plusieurs pays de l’OTAN dans laquelle il leur demande leur avis officiel sur plusieurs accords qu’ils ont signés et qui comportent des clauses sur l’indivisibilité de la sécurité :
L’essence même des accords sur l’indivisibilité de la sécurité est que soit il y a la sécurité pour tous, soit il n’y a de sécurité pour personne.
Comment la signature de ces traités et la sécurité indivisible pour tous sont-elles compatibles avec l’expansion agressive de l’OTAN visant la Russie ? Les ministères des affaires étrangères « occidentaux » auront du mal à répondre à cette question.
La stratégie américaine visant à « bloquer » la Russie en Europe en lui imposant des « sanctions écrasantes » pour ensuite attaquer la Chine est un échec. C’est parce qu’elle a été totalement mal conçue.
La Russie est le pays le plus autarcique du monde. Elle produit presque tout ce dont elle a besoin et possède des produits hautement désirables qui font l’objet d’une demande mondiale, dont l’Europe a particulièrement besoin. La Russie dispose également d’énormes réserves financières. Une stratégie de sanctions contre la Russie ne peut pas fonctionner.
L’utilisation de l’Ukraine pour pousser la Russie à l’agression et appliquer ensuite des sanctions est également une tentative plutôt folle. Il n’y a rien en Ukraine qui puisse inciter la Russie à l’envahir. Tout dommage à l’Ukraine peut être fait depuis le territoire russe par des missiles russes ou par les forces aériennes et navales russes.
Au lieu de séparer la Russie de la Chine, les États-Unis ont involontairement fait de leur mieux pour les pousser vers une alliance plus étroite. C’était l’erreur stratégique la plus grave que les États-Unis pouvaient commettre.
Au lieu d’adopter une nouvelle position stratégique qui soutiendrait une stratégie de pivot vers l’Asie, les États-Unis ramènent maintenant leurs troupes en Europe.
Le sectarisme étroit des décideurs américains, nourri par la croyance en l’exceptionnalisme des États-Unis, mais dépourvu de toute conception de leur réelle puissance, a conduit à cette défaite.
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Ajout : Je considère cela comme une reconnaissance par la Maison Blanche de son échec stratégique.
Kevin Liptak @Kevinliptakcnn – 17:55 UTC – 2 Fev. 2022
La Maison Blanche dit qu’elle n’utilisera plus le mot « imminent » pour décrire le potentiel d’une invasion russe en Ukraine. Cela envoyait un message involontaire, selon Jen Psaki.
« Imminence involontaire » ? Non seulement ces gens sont des clowns mais ils sont de mauvais clowns.
Moon of Alabama
Traduit par Wayan, relu par Hervé, pour le Saker Francophone
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