17 février 2022

France dans l’Otan: "nos officiers ont été progressivement américanisés"

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La France doit-elle rester dans l’Otan? À la veille des élections, la question resurgit chez certains candidats. Cause de tensions avec la Russie, pourrait-elle paradoxalement être la clef de la paix en Europe si les Européens se la rappropriaient ?

"Je propose que la France ne soit plus le wagon de l’Otan, mais qu’elle soit autonome, souveraine, libre!" Lors de son dernier meeting, le 13 février à Montpellier, Jean-Luc Mélenchon a réitéré son désir de faire sortir la France de l’Alliance atlantique. "Le non-alignement est l’avenir du monde!" a assené le tribun de la France insoumise, inébranlable sur cette question. D’ailleurs, cette appartenance de la France à l’Otan fut un point de "désaccord complet" avec François Hollande lors de la campagne de 2012.

Plus mesurée, Marine Le Pen annonçait le même jour sur un plateau du service public vouloir uniquement quitter le commandement intégré de l’Alliance. Une position qu’elle avait également défendue lors de sa précédente campagne présidentielle. "Je souhaite pouvoir moduler les interventions de la France en fonction de ses intérêts", répondait la candidate du Rassemblement national au général (2 s) Dominique Trinquand. Dans l’émission C dans l’Air (France 5) du 13 février, ce dernier venait de lui rappeler que, malgré son appartenance à l’Alliance, la France avait pu librement quitter le théâtre afghan.

La France dans l’Otan, un peu, beaucoup, pas du tout?

Un rappel que le général Trinquand avait d’ailleurs formulé quelques jours plus tôt, lors de la dernière rencontre du dialogue franco-russe, le 9 février. Débattant avec d’autres officiers d’État-major ainsi qu’un diplomate russe, le bilan de l’Alliance dressé par les Français eux-mêmes n’a pourtant pas été bien flatteur.

"Le retour dans l’Otan, c’est la séparation de 700 de nos meilleurs officiers", a tenu à souligner l’amiral Jean Dufourcq auprès de l’assistance. "C’est l’abonnement à des disciplines qui ne sont pas les nôtres et c’est la perte d’une partie de notre savoir-faire en matière militaire", a-t-il poursuivi. 

Ce stratégiste est passé par le Collège de défense de l’Otan à Rome et a fait partie des officiers français en contact avec l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord avant que Paris ne réintègre son commandement intégré au printemps 2009. Il explique que "tout un pan de notre doctrine nous est fourni par l’Otan" et que celle-ci prévaut sur la pensée stratégique nationale.

"Nous avons petit à petit supprimé tout ce qui faisait l’essentiel de la doctrine militaire française", insiste l’Amiral, qui regrette également cette époque où, par son poids militaire, la France restait un partenaire de valeur aux yeux de l’Alliance. "Il était difficile de faire les opérations sans nous", insiste l’officier, pour qui la réintégration dans le commandement intégré a été une "catastrophe".

Car c’est bien là le paradoxe: depuis sa réintégration de l’Alliance, la France qui voulait participer à l’élaboration des opérations de l’Otan a vu fondre ses capacités militaires. Paris est aujourd’hui bien incapable d’assurer unilatéralement une intervention. Un constat que dresse d’ailleurs le candidat Éric Zemmour.

"La culture stratégique américaine est une culture de destruction"

"Comme on est rentré dans le commandement militaire intégré, on se repose sur l’Alliance américaine et on ne fait plus les efforts financiers et industriels", développait-il mi-janvier sur BFMTV, prenant pour exemple le cas des pénuries de munitions au Mali.
 
Un manque d’efforts matériels, mais aussi intellectuels. Le général Desportes, lui-même passé par le Centre de doctrine et d’emploi des forces de l’armée de Terre, admet que la pensée militaire française est "en train de se transformer complètement" sous l’influence de celle de l’Oncle Sam. Pour le général 2S, c’est clairement sur ce point que la France a "payé le plus cher" sa réintégration dans le commandement intégré.

"Nos officiers ont été progressivement américanisés, alors que la culture stratégique américaine est une culture de destruction, contrairement à la nôtre, qui est une culture politique de la guerre", regrette Vincent Desportes. 

Ce dernier fait part de son inquiétude, face à ce suivisme, au moment même où les intérêts stratégiques américains "sont de plus en plus divergents" avec ceux des Européens.

Aussi, le suivisme européen est-il d’autant plus dangereux qu’un cinquième élargissement de l’Otan au profit de l’Ukraine pourrait mener à une réaction en chaine cataclysmique pour l’ensemble du Vieux continent. "Il est très probable que le régime de Kiev tente [dans ce cas, ndlr.] de s’emparer de la Crimée par la force", souligne Alexandre Zezyuline, numéro deux de l’Ambassade de Russie en France, évoquant une mise en garde de Vladimir Poutine.
 
Face à la presse, au lendemain de sa rencontre avec son homologue français, le Président russe avait rappelé qu’en cas de conflit en Crimée avec une Ukraine otanisée, via le déclenchement de l’article 5 du traité de Washington, les 31 membres de l’Alliance pourraient de facto se retrouver en guerre avec la Russie.

Réintégration dans l’Otan, "une mauvaise affaire"?

Pour parvenir à une situation stable et pérenne en Europe, il devient ainsi capital de prendre en compte la perception du voisin russe. En l’occurrence, son "sentiment multicentenaire" d’être un "espace vulnérable, mal défendu par ses frontières", précise le général Desportes. En somme, le fait d’avoir de tout temps "voulu un État tampon entre elle et un adversaire possible". 

"Nous, Français, comprenons parfaitement, puisque nous nous sommes battus à Versailles en 1919 pour que la Rhénanie devienne un État indépendant de l’Allemagne de manière à avoir un État tampon entre nous et notre probable futur adversaire", développe le général Desportes. "C’est un sentiment qu’on ne peut que comprendre", poursuit-il.

Carton rouge donc pour les élargissements successifs de l’Otan, qui s’étend déjà aux frontières occidentales de la Russie, au contournement de cette dernière "par les Républiques d’Asie centrale" ou encore le déploiement par Washington d’un bouclier antimissile en Pologne et en Roumanie. "On sait bien qu’en dissuasion nucléaire, à partir du moment où vous êtes protégés, vous êtes dangereux", justifie le haut gradé.

Pour l’amiral Dufourcq, qui appelle à distinguer les initiatives purement américaines de celles de l’Alliance atlantique, les Européens doivent d’autant plus redevenir maîtres de leur propre sécurité, qu’Américains, Britanniques et Canadiens n’ont pas connus les affres de la guerre sur leur sol.

"Nous avons la continuité politique, culturelle, géographique, et la mémoire collective des grandes guerres qui ont ravagé notre continent. […]nos camarades de l’Otan qui sont à l’extérieur n’ont pas cette expérience. N’ayant pas cette expérience, ils utilisent l’espace européen comme un espace de manœuvres", estime l’amiral 2s. 

"Nous devons reprendre notre histoire collective […] ce bout de continent d’un milliard d’habitants doit pouvoir gérer tout seul sa sécurité", insiste-t-il.

Face à ce constat, la sortie de la France du commandement intégré de l’Otan ne semble pour autant pas envisageable aux yeux des généraux. "Le prix que nous avons payé et lourd et nous allons continuer à payer longtemps. Je crois qu’il faut faire avec et aller franchement vers l’Europe de la Défense", estime Vincent Desportes, qui concède que la réintégration pleine et entière de la France fût "une mauvaise affaire". "Si on quitte l’Otan maintenant, on ne fera plus l’Europe de la Défense", ajoute-t-il, abondant dans le sens de Dominique Trinquand.

Prendre en compte le "sentiment multi-centenaire" russe

Comme le rappelle cet ancien responsable de la coopération avec l’Europe de l’Atlantique à l’Asie centrale à l’État-major des armées, nombre de partenaires européens sont imperméables à tout dialogue en matière de défense en dehors du cadre de l’Alliance. "Aujourd’hui, on ne peut discuter avec ces pays d’Europe de l’Est que parce qu’on est dans l’Otan", souligne-t-il. "Ils sont toujours suspicieux", notamment à l’égard de la France et de ses ambitions affichées en matière de Défense européenne.
 
"Aucun des membres du continent européen n’a envie que la France ne devienne le leader d’une défense" quelconque, renchérit l’amiral Dufourcq, pour qui le concept de défense européenne, tel que prôné par Paris depuis des décennies, n’est qu’un "anachronisme".

Tous s’entendent sur le fait que l’Otan reste une "très belle machinerie": une "bureaucratie qui a la capacité à faire fonctionner les forces", un "outil de défense interopérable" unique en Occident.

Si aux yeux des hauts gradés, les Européens ne peuvent se passer de l’Alliance, la solution serait donc qu’ils en reprennent les rênes, qui plus est après le désintérêt exprimé par plusieurs Présidents américains (Georges Bush Jr. ou plus récemment Donald Trump) à l’égard de l’Otan.

Un vœu pour le moins pieux? Si l’Otan coûte cher à Washington, elle n’en reste pas moins –a minima– un formidable outil de vente du complexe militaro-industriel américain en Europe, comme la France en fait régulièrement les frais.

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