La douleur, cette « expérience sensorielle et émotionnelle désagréable » est le signe d’une véritable maladie. En France, trois malades sur dix consultant un médecin souffrent de douleurs chroniques. La régulation de cette sensation active un ensemble de mécanismes (neurotransmetteurs et récepteurs). Le paracétamol et le cannabis thérapeutique sont les principaux remèdes utilisés pour la soulager. Quels sont les points communs et les différences entre ces deux solutions ? Alain Eschalier, professeur de pharmacologie médicale nous dévoile tout.
Les personnes qui souffrent de douleurs chroniques ressentent des douleurs continuelles et récurrentes pendant au moins trois mois consécutifs. Touchant 12 millions de patients en France, ce phénomène bouleverse la vie des sujets en touchant leur capacité physique, morale et sociale. Il constitue une véritable maladie « perpétuelle » qui rend pénible la vie quotidienne de la personne souffrante. The Conversation, à travers son étude a publié qu’en France, les professionnels de santé n’administrent pas les traitements adéquats pour plus de 70% des malades de douleurs chroniques.
Les spécialistes de cette pathologie manquent terriblement par rapport à l’importance de la demande de soins, alors qu’économiquement et socialement, elle joue un rôle majeur. En effet, ses effets sur la performance des salariés et leur absentéisme, couplées à la forte consommation de soins pénalisent inévitablement la vie sociale et économique.
Ces circonstances ont alors motivé l’utilisation du cannabis thérapeutique pour compléter la gamme des produits curatifs mis en circulation et pour accompagner le patient. Soulager la douleur chronique est la première raison qui a incité certains pays à adopter la légalisation du cannabis thérapeutique et dont la fabrication suit de sérieux standards pharmaceutiques.
Afin de réguler les douleurs chroniques, un ensemble de mécanismes comprenant les neurotransmetteurs et les récepteurs interagissent. Les molécules d’origine végétale se fixent aux récepteurs et provoquent un effet analgésique. Alain Eschalier, spécialiste en pharmacologie médicale, précise que les propriétés des molécules divergent en fonction des récepteurs visés. Pour fabriquer des médicaments antidouleurs, on fait interagir la morphine avec les récepteurs d’opioïdes endogènes comme les endorphines et les enképhalines, ou la capsaine provenant du piment rouge avec les récepteurs des cannabinoïdes endogènes comme l’anandamide.
Actuellement en cours de recherches cliniques, les molécules THC (delta-9-tétrahydrocannabinol) et CBD (cannabidiol) du cannabis se fixent aux récepteurs des cannabinoïdes endogènes.
Des récepteurs bien identifiés dans le cannabis thérapeutique
Le système endocannabinoïde, relativement complexe, est composé de ligands endogènes (endocannabinoïdes) qui se fixent aux récepteurs membranaires du système nerveux central (CB 1) et à ceux des cellules spécialisées dans la défense de l’organisme (CB2). À cela s’ajoutent les enzymes, catalyseurs biologiques servant à transporter, synthétiser et dégrader les endocannabinoïdes.
Les CB1, en combinaison avec les neurotransmetteurs localisés dans le cortex cérébral et dans la moelle épinière, agissent activement dans la régulation et la transmission du message douloureux. C’est notamment le cas de la substance grise périaqueducale qui a une influence importante sur la douleur.
Des études scientifiques ont démontré que l’utilisation ou l’inhibition des molécules « agonistes », aux propriétés réciproques à celles des endocannabinoïdes, chez l’animal provoque un effet analgésique. Bien que les études cliniques ne démontrent pas des données claires et précises, et qu’il soit nécessaire de mettre en place les critères d’identification des malades pouvant répondre aux traitements, les cannabinoïdes produiraient un effet analgésique significatif en fonction des types de douleurs.
De nos jours, pour lutter contre les douleurs résistantes, les médecins prescrivent des traitements sous THC entre autres le dronabidiol ou le Marinol ou sous THC combiné au CBD comme le nabiximolls ou le Sativex en respectant des conditions particulières.
L’action antalgique du paracétamol
Des travaux de recherche par imagerie du cerveau ont démontré l’implication de la matière grise périaqueducale dans le mécanisme d’action du paracétamol. Ces études sur le rongeur et sur l’homme ont fait apparaitre que l’administration de paracétamol déstabilise son rôle de conduction de la douleur et ses connexions avec les diverses régions du cerveau.
Les récepteurs CB1 sont inhibés lorsqu’on les associe à des molécules antagonistes, l’effet analgésique disparait alors. L’injection directe de ces molécules dans la substance grise périaqueducale désactive également la fonction antidouleur. Une action sur les gènes codant les CB1 produit le même effet. Il est donc clair que le pouvoir antalgique du paracétamol dépend du système endocannabinoïde.
Les effets comportementaux endocannabinoides induisent chez l’animal des réponses bien déterminées :
- L’analgésie (diminution ou suppression de la sensibilité à la douleur) ;
- L’hypolocomotion ;
- L’hypothermie et la catalepsie (suspension complète des mouvements volontaires).
Il faudra ainsi quatre séries de tests pour justifier qu’une substance possède les mêmes fonctions qu’un cannabinoïde.
On suppose que le paracétamol agit comme un cannabinoïde avec un effet sédatif. Des recherches menées sur des personnes d’un certain âge avancé ont démontré que le paracétamol consommé la nuit permettait de s’endormir profondément. Un effet semblable à la propriété « somnifère » du cannabis notamment le THC sédatif. Pourtant, les études prouvant les effets bénéfiques du THC dans le traitement des maladies l’associent aussi paradoxalement à un effet perturbateur du sommeil.
Il a également été prouvé d’après d’autres recherches sur l’animal que le paracétamol agit comme un antiépileptique, encore une propriété qui l’associe aux cannabinoïdes. De plus il possède un effet anxiolytique que les antagonistes de CB1 inhibent, mais n’agit pas sur le psychisme et le système nerveux et ne provoque pas de relaxation, ni de sensation de bien-être, ni de désinhibition. Il n’entraine pas non plus la fatigue, ni la diminution des capacités physiques, ni l’angoisse, ni la dépendance… Ce qui le différencie du cannabis qui provoque parfois tous ces effets, mais dont l’intensité varie en fonction de la quantité consommée et de l’état physique du sujet.
Le paracétamol et les cannabinoïdes partagent quelques propriétés, mais la plus importante et la plus évidente est leur fonction antalgique grâce aux récepteurs CB 1. Les recherches sur leurs autres caractéristiques communes ne permettent pas encore de confirmer leur similitude. En effet chacun soulage des douleurs différentes :
- Le paracétamol est prescrit pour traiter les douleurs nociceptives (douleurs issues de la stimulation des récepteurs de la douleur suite à des lésions des tissus : brûlure, coupure, contusion…) ;
- Les cannabinoïdes soignent les douleurs neuropathiques (douleur issue d’un dysfonctionnement du système nerveux et non de l’activation des récepteurs de la douleur).
En résumé, bien que le paracétamol ait une fonction antalgique similaire au cannabinoïde et semble posséder les mêmes activateurs, il n’agit pas comme un cannabinoïde ou le cannabis thérapeutique.
Le cannabis thérapeutique pour améliorer la qualité de vie
Les traitements à base de cannabis consistent à accompagner la vie des patients atteints de douleurs chroniques. Ils n’ont pas vocation à faire disparaître les douleurs, mais d’aider les sujets à ne plus focaliser sur ces sensations. Si les essais cliniques visent principalement à atténuer l’intensité de la douleur, le cannabis médical permettrait d’aller encore au-delà de cet objectif. En effet il pourrait aussi résoudre les autres problèmes liés à la douleur chronique, notamment les troubles du sommeil et la souffrance psychique.
Dans cette optique, tout le traitement repose sur l’amélioration de la qualité de vie de ceux qui souffrent d’une maladie chronique, en leur permettant de mieux vivre leur « douleur maladie ». Cela consiste entre autres à accepter la « douleur maladie », à se retrouver physiquement au quotidien ou encore à essayer de vivre positivement leur vie.
La France est en train d’expérimenter des stratégies thérapeutiques qui permettraient de trouver l’usage optimal du cannabis médical, les doses à prescrire et la teneur des composants à privilégier (THC, CBD) pour traiter la douleur chronique. L’étude s’intéresse également à la posologie, son adaptation à un éventuel traitement déjà en cours, mais également dans le domaine de la prévention.
Vers une médecine personnalisée
Les recherches thérapeutiques sur le cannabis doivent désormais se pencher vers une médecine de précision. Prescrire des médicaments analgésiques aux patients douloureux ne suffit plus. Il faudra désormais se concentrer sur leur environnement et leur vie sociale. Il est pertinent de se soucier de la vie quotidienne du patient douloureux et non plus de lutter seulement contre sa douleur.
Les expérimentations thérapeutiques devraient ainsi considérer toutes les possibilités d’études sur le cannabis médical en le comparant avec des essais cliniques conventionnels (placebo ou médicaments de référence comme le paracétamol) et des conditions de vie réelle dans la maladie. Un autre défi consiste à déterminer l’efficacité réelle de la plante compte tenu des nombreuses molécules qui la composent et de la grande quantité de substances que peut contenir un médicament à base de cannabis.
En effet, les chercheurs s’interrogent encore sur les différences d’efficacité entre l’usage isolé et la combinaison de tous les cannabinoïdes (THC, CBD…) dans un traitement. L’objectif étant de pouvoir préciser le composant du cannabis le plus efficace à prescrire pour chaque type de patient douloureux. Une solution vivement souhaitée pour pallier les prescriptions hasardeuses et la surmédication pour un patient qui n’aura pas finalement été soulagé de ses maux.
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