A l’Élysée aussi, on viole ? «Libération» révèle qu’une enquête judiciaire a été ouverte afin de faire la lumière sur des violences sexuelles qui auraient visé une jeune militaire, le 1er juillet dernier après un pot, au sein même de la présidence de la République.
Nous sommes le 1er juillet 2021. Alors que les vacances approchent et que les restrictions sanitaires liées à la pandémie de Covid-19 tendent à s’alléger, un pot de départ se déroule à l’Elysée. Le palais, où travaillent quelque 800 personnes, en abrite régulièrement. C’était surtout le cas avant la crise sanitaire, mais après une longue diète due aux confinements et au couvre-feu, à l’Elysée comme dans la France entière, ce type de réunion conviviale organisée sur le lieu de travail reprend doucement. Rien de très exceptionnel.
Ce soir-là, ce sont trois collaborateurs sur le départ qu’Emmanuel Macron vient saluer. Le Président vient dire au revoir au général de brigade Valéry Putz, l’adjoint de son chef d’état-major particulier depuis juillet 2017, qui doit rejoindre le 1er août la Nouvelle-Calédonie en tant que commandant supérieur des forces armées de cette collectivité d’outre-mer, ainsi qu’à l’un de ses aides de camp et à une troisième personne qui quitte elle aussi le palais.
Locaux ultra-sécurisés
Devant plusieurs dizaines d’invités réunis dans le parc, en dépit d’une météo mitigée, le Président prononce quelques mots sans cérémonial avant de trinquer avec les convives. La réserve, qui sied autant à la présence du chef de l’Etat qu’à la sobriété ambiante, est de mise. De proches collaborateurs civils de son cabinet sont là, ainsi que nombre de personnels militaires – ils étaient fin 2019 quelque 325 effectifs de l’armée et de la gendarmerie à être détachés à l’Elysée, affectés à l’état-major particulier ou à la direction de la sécurité de la présidence de la République. Macron lève le camp aux alentours de 22 heures. C’est à ce moment-là que l’atmosphère semble s’échauffer. Foin de chichis, place à la détente. Certains, oubliant la réserve de mise dans ce lieu prestigieux, lèvent le coude sans hésiter.
Mais c’est en fin de soirée que les faits surviennent, des faits qui font désormais l’objet d’une enquête judiciaire. Il faut dire qu’après la triple cérémonie dans le parc, les festivités ont continué dans la structure de l’état-major particulier du président de la République, rue de l’Elysée. Ce sont des locaux ultra-sécurisés, où sont maniés au quotidien des dossiers sensibles, la plupart du temps classifiés confidentiel ou secret. Sous la houlette du chef d’état-major particulier du Président, le vice-amiral Jean-Philippe Rolland, une trentaine de personnes, essentiellement des militaires, y traitent des engagements armés de la France à l’étranger, aux opérations militaires secrètes, au renseignement, à la défense nucléaire tricolore.
C’est pourtant ici que les faits se seraient déroulés. Une jeune militaire, qui assistait auparavant au pot de son supérieur, dit avoir subi des violences sexuelles de la part d’un homme, lui aussi militaire. Les deux militaires sont affectés à l’état-major particulier, travaillent ensemble au quotidien et se connaissent. Quel a été précisément l’enchaînement des faits ? Dans les heures qui ont suivi, la victime s’est en tout cas rendue au commissariat du VIIIe arrondissement, le plus proche de l’Elysée, pour y relater le drame et déposer une main courante – entraînant de fait la saisine du procureur de la République de Paris. Selon nos informations, le parquet a décidé d’ouvrir le 12 juillet une information judiciaire pour viol, comme le confirme une source judiciaire, confiée à un juge d’instruction. Des auditions ont été menées par le service de police chargé du dossier ; la garde à vue et l’interrogatoire du suspect ont déjà eu lieu.
Réaction de l’Elysée
Sollicité jeudi par Libération, l’Elysée affirme ne «jamais» commenter «les affaires judiciaires en cours». «Néanmoins, ajoute-t-on rue du faubourg Saint-Honoré, dès que les faits ont été portés à la connaissance des autorités, des mesures ont immédiatement été prises : écoute, soutien et accompagnement de la victime, affectation immédiate, loin de l’Elysée, de la personne incriminée.» L’Elysée affirme rester «en attente de l’enquête de justice pour qualifier les faits et voir les suites à donner». Une cellule psychologique a semble-t-il été activée afin de soutenir la jeune femme. La ministre des Armées, Florence Parly, a selon nos informations déclenché une enquête administrative à l’encontre de l’homme suspecté des faits, dont le détachement à l’Elysée a été interrompu. Parallèlement à une éventuelle sanction pénale, il risque d’être traduit devant le conseil de discipline.
«Patrick Strzoda, le directeur de cabinet d’Emmanuel Macron, se veut depuis l’affaire Benalla intransigeant, intraitable et fulgurant dès qu’il y a un comportement inapproprié d’un collaborateur de l’Elysée», assure une source proche du dossier. De tels faits commis au sein même de l’Elysée – centre névralgique et symbolique du pouvoir par excellence –, l‘agissement inconsidéré de l’auteur, un sous-officier de surcroît, rendent l’affaire particulièrement sensible. Même si le dossier semble avoir été géré sans la série d’atermoiements qui avaient caractérisé l’affaire Benalla.
L’extrême discrétion, voire le secret qui, jusqu’à nos révélations, a régné sur ces faits, autant de la part de l’Elysée que du parquet de Paris, laisse un goût amer quand on sait la prégnance actuelle dans la société française de la question des violences sexuelles. L’affaire a été traitée par le chef d’état-major particulier d’Emmanuel Macron car impliquant des militaires, en liaison avec le directeur de cabinet du Président. Certains, rue du faubourg Saint-Honoré, semblent d’ailleurs vouloir croire qu’il ne s’agirait que de faits d’ordre privé qui, faisant l’objet d’une enquête judiciaire, ne pourraient être évoqués publiquement.
Quant aux restrictions sanitaires dues au Covid, elles semblent avoir été respectées lors de la cérémonie organisée en présence de Macron dans le parc de l’Elysée : à cette date, le couvre-feu vient tout juste d’être aboli, les limites de jauge dans les lieux recevant du public ont été levées et le passe sanitaire n’est exigé que pour les lieux recevant plus de 1 000 personnes. Mais quelques heures plus tard, gestes barrières et distanciation sociale n’étaient plus qu’un lointain souvenir en cette fin de soirée informelle dans les locaux de l’état-major particulier du chef de l’Etat.
L’Elysée risque en tout cas de se retrouver dans la tourmente pour la deuxième fois depuis le début du quinquennat d’Emmanuel Macron. Personne n’a oublié le nom d’Alexandre Benalla, celui du jeune chargé de mission élyséen filmé en train de frapper des manifestants, place de la Contrescarpe à Paris le 1er mai 2018, alors qu’il n’avait pas la qualité de policier. L’exécutif avait plongé dans une crise inédite. Pour ces faits datant de 2018, Benalla a été condamné le 5 novembre à trois ans de prison dont un ferme, une peine alourdie par rapport aux réquisitions du procureur de la République. Il a fait appel.
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