Québec se résout à prendre « la moins pire des décisions » : le ministre de la Santé, Christian Dubé, a annoncé mercredi qu’il renonçait à imposer la vaccination aux travailleurs du réseau de la santé et des services sociaux.
À l’approche de l’échéance du 15 novembre, le ministre a admis que le réseau était incapable de se priver des 8000 travailleurs « sur le terrain » qui refusent toujours de se faire vacciner. Bien qu’ils ne représentent que 3 % des 290 000 employés du réseau, leur absence pourrait entraîner pas moins de 127 bris de services à l’échelle du Québec.
Dans le contexte, Québec prend « la moins pire des décisions », a fait valoir le ministre. Pendant des semaines, le gouvernement a maintenu la ligne dure face aux travailleurs de la santé qui refusaient de se soumettre à l’ultimatum du gouvernement. « Moi, si j’étais patient dans un hôpital, je n’accepterais pas qu’une infirmière non vaccinée soit proche de moi », avait notamment déclaré le premier ministre, François Legault, en septembre.
De Glasgow, où il se trouve pour la COP26, le chef du gouvernement a répété qu’il avait « de la misère à comprendre que quelqu’un qui a étudié en santé refuse de se faire vacciner alors que les experts dans le monde sont unanimes ». Mais « je prends la décision qui est responsable », a-t-il affirmé.
Le 14 octobre, le ministre Dubé avait causé la surprise en repoussant d’un mois, au 15 novembre, la première échéance pour la vaccination obligatoire. À cette date, 14 000 soignants du Québec n’avaient toujours pas reçu une seule dose de vaccin. Le chiffre est environ le même, un mois plus tard.
Un nouveau « plan de traitement »
Constatant l’impossibilité de se priver de la main-d’œuvre non vaccinée, Québec a donc ajusté son « plan de traitement », a illustré le directeur national de santé publique, Horacio Arruda.
« On n’abandonne pas » pour autant, a-t-il précisé en anglais. « On n’aurait probablement pas obtenu le [taux de vaccination de] 97 % [chez les travailleurs de la santé] si on n’avait pas mis la vaccination obligatoire », a-t-il aussi affirmé, pendant que M. Dubé refusait de dire que l’incapacité du gouvernement à imposer la vaccination obligatoire constituait une « erreur ».
Pour garder le « milieu sécuritaire », Québec mise désormais sur le dépistage trois fois par semaine obligatoire chez les travailleurs non vaccinés, tant au privé qu’au public. « C’est non négociable. Et je vais le dire qu’on va être intransigeants sur ça, c’est-à-dire que ceux qui ne veulent pas se faire dépister vont être “mis sans solde” », a averti le ministre Dubé. Québec paiera pour ces tests, le ministre ne voulant pas que les frais associés puissent être utilisés comme « excuse » par les travailleurs refusant de s’y soumettre.
M. Dubé a par ailleurs rappelé que les travailleurs non vaccinés ne seraient plus admissibles aux primes COVID et de rétention.
Pour justifier sa décision, Christian Dubé a déclaré que l’absence des 8000 travailleurs non vaccinés dans le réseau pourrait entraîner des bris de services — qu’il appelle « réorganisations de services » — à 127 endroits. Ce nombre passerait à 500 si on tenait aussi compte des « diminutions de services » que causeraient ces absences. « C’est majeur. C’est majeur », a-t-il répété.
En dépit des multiples scénarios étudiés par Québec — « garder les personnes qui avaient reçu au moins une dose avec un engagement de recevoir une deuxième dose », permettre « à des travailleurs non vaccinés d’œuvrer dans certains secteurs à certaines conditions », a illustré le sous-ministre Daniel Desharnais —, l’effet sur les services était trop « prononcé » pour que Québec ne recule pas sur l’obligation vaccinale.
Au cours des prochaines semaines, le ministre de la Santé espère pouvoir convaincre davantage de professionnels d’intégrer le réseau. À ceux-là, la vaccination sera imposée.
M. Dubé a laissé entendre qu’il souhaitait que les employeurs et les ordres professionnels puissent respectivement faire de la vaccination une condition d’embauche et une condition à l’obtention du droit de pratique. Dans l’immédiat, cependant, la suspension des permis d’exercice des membres non vaccinés de l’Ordre des infirmières ne tient plus, a confirmé sa porte-parole. « L’[Ordre] n’a pas l’autorité pour suspendre un permis de pratique si une infirmière n’est pas adéquatement vaccinée, à moins qu’un décret ne lui impose de le faire », a écrit Colette Ouellet au Devoir.
La cheffe de l’opposition officielle, Dominique Anglade, a reproché au gouvernement de « tourne[r] le dos aux 79,4 % de Québécois vaccinés qui ont fait leur part et qui vivent toujours les conséquences de ce virus ». Le gouvernement a « baissé les bras devant les récalcitrants et les complotistes », a-t-elle ajouté.
Vincent Marissal, de Québec solidaire, a vu « la chronique d’un fiasco annoncé » dans le recul de Québec — un « échec » à son avis. Il en a contre la méthode du gouvernement, qui consiste à « faire les tough » pour imposer un « plan mal ficelé de vaccination obligatoire dans le réseau de la santé ».
« Combien de fois a-t-on entendu le ministre de la Santé ou le premier ministre du Québec dire : “on ne reculera pas dans cet objectif” ? » a aussi demandé le député péquiste Joël Arseneau. « Le gouvernement, on le voit, il ne s’est tout simplement pas donné les moyens de mener à terme cette opération », s’est-il désolé.
Le problème des systèmes de paie dans la santé s’étend
Après les préposés aux bénéficiaires, c’est au tour des infirmières de dénoncer des retards dans le versement de paiements rétroactifs qui leur sont dus en vertu des nouvelles conventions collectives. Le problème vient de fournisseurs privés qui n’ont pu modifier à temps leur logiciel de paie après le renouvellement des conventions collectives dans la santé et les services sociaux. Le Syndicat québécois des employés de service (SQEES), affilié à la FTQ, avait dénoncé ces retards le 27 octobre. Maintenant, ce sont les membres de la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec qui vivent des problèmes semblables. « Ces retards sont inacceptables pour nos membres, qui voient repousser à une date indéterminée leur bonification salariale, alors que c’est depuis avril 2019 que les salaires n’ont pas été ajustés », avait déploré Lucie Thériault, secrétaire générale du SQEES, affilié à la FTQ. Invité à commenter, le Conseil du trésor nous a dirigés vers le ministère de la Santé. Ce dernier n’avait pas encore fait connaître ses commentaires au moment d’écrire ces lignes.
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