Il se murmure (ici) que le président de la République ne
souhaiterait pas célébrer le centenaire de la victoire de la France et de ses
alliés le 11 novembre prochain. A la place, il ne serait question, à travers un
« périple mémoriel », que d’évoquer les souffrances de nos soldats et
de rendre hommage à leur courage tout au long de la guerre, ce qui paraît être la
moindre des choses, mais sans évoquer le sens de ces mêmes souffrances, ce qui paraît
être une faute.
Le président, pour reprendre les termes de Bruno Roger-Petit, son « conseiller
mémoire », « regarde l'histoire en
face » et souhaiterait d'abord que l'on retienne que la Grande Guerre fut « une grande hécatombe » lors de
laquelle « les combattants, qui seront au
cœur des commémorations, étaient pour l’essentiel des civils que l’on avait
armés ». Ces mots paraissent difficiles à imaginer en 2018 tellement ils
apparaissent comme la lumière résiduelle d’une étoile idéologique déjà
morte. Ils l’ont été pourtant témoignant alors d’une histoire non pas vue de
face mais de biais. Non monsieur le président, il ne s’agissait pas de « civils que l’on avait armés » mais de
citoyens, qui pour reprendre les termes de la loi du 5 septembre 1798, étaient
forcément « aussi des soldats et se
devaient à la défense de la patrie ». Concrètement, en 1914, tout français physiquement apte était soldat jusqu’à l’âge
de 49 ans, plus tardivement encore pour les militaires.
Le citoyen défend la cité lorsque celle-ci est
menacée, c’est un des fondements de la République, or, il ne faudrait pas
l’oublier, la République française était bel et bien menacée en août 1914. Elle
fut même partiellement envahie et ravagée. Les quatre millions d’hommes qui se
sont rassemblés alors n’étaient pas des civils naïfs. C’était absolument tous
des soldats d’active ou de réserve qui répondaient sans joie mais consciemment à
l’appel à défendre la patrie. Il n’y avait alors et il n’y aura jamais aucun
doute parmi eux sur la justesse de ce combat sinon sur la manière de le mener. Même
les mutineries de 1917 ont été à cet égard bien plus des grèves que des
révoltes, l’idée d’arrêter le combat et d’accepter la défaite en étant exclue.
Ce combat, ils ne l’ont pas mené non plus sous la
contrainte impitoyable et au profit d’une classe de profiteurs et de généraux
bouchers, mais pour « faire leur devoir », selon les mots qui reviennent sans
cesse dans leurs propos ou leurs lettres. Ils n’auraient jamais combattu avec
une telle force si cela n’avait pas été le cas. Faut-il rappeler que le nombre
d’exemptés demandant à aller au combat malgré tout a toujours été très
supérieur à celui des réfractaires ? Que ce nombre très faible de réfractaires
n’a cessé de diminuer avec la guerre ? Dire que leur combat n’avait pas de
sens, ce qui est le cas lorsqu’on refuse d’évoquer la victoire, équivaudrait à
traiter ces hommes d’idiots. Ils savaient ce qu’ils faisaient, ils méritent
mieux que cela.
D’ailleurs ces « civils que l’on a armés » et qui
auraient pris sur eux toute la charge du combat, qui sont-ils ou plutôt de qui
faudrait-il les distinguer ? Des professionnels ? Car ceux-ci ne souffraient
peut-être pas, eux et leur familles, parce qu’ils étaient volontaires ? Des
officiers, dont un sur quatre a laissé la vie dans l’infanterie ? Des généraux,
ceux-là même dont 102 sont « morts pour la France » en quatre ans ? Des
dirigeants et représentants du peuple, dont 16 ont été tués par l’ennemi ?
Faut-il rappeler aussi que les uns et les autres avaient leur fils en première
ligne ? Le général de Castelnau en a perdu trois, le sénateur et futur
président de la République Paul Doumer quatre, et il n’agissait pas hélas de
cas isolés.
Faut-il rappeler encore que loin de la vision
idéologique que ce conseiller du président semble reprendre à leur compte, ces
généraux ont non seulement conduit les troupes à la victoire sur le champ de
bataille mais ont réussi également la plus importante transformation de toute
notre histoire ? L’armée française de novembre 1918 était la plus forte et la
plus moderne du monde. Cela n’a pas été pas le produit d’un heureux hasard mais
d’un immense effort et peut-être d’un peu d’intelligence.
Parmi
ces généraux, les plus illustres ont reçu le
titre de maréchal de France, ce n’est pas rien maréchal de France, c’est
une
dignité dans l’Etat. Ne pas les évoquer serait donc déjà étonnant. Il
est vrai
que parmi eux il y a le très gênant Pétain, futur coupable
d'intelligence avec
l'ennemi et de haute trahison, mais aussi, l’avenir ne détruisant pas le
passé,
un des artisans majeurs de la victoire de 1918. Mais il est vrai que si
on ne
veut pas parler de celle-ci il n’est pas besoin de parler non plus de
tous ses
artisans. Les maréchaux, et peut-être même les généraux, et pourquoi pas
tous les officiers pour peu qu'ils soient professionnels, seront donc
effacés de l’histoire comme les ministères
de la vérité effaçaient les indésirables des photos dans les régimes
totalitaires.
Ce
sont les nations qui font les guerres et non
les armées et la guerre est un acte politique. Célébrer la fin de la
guerre
sans célébrer la victoire, c’est refuser la politique et sans politique
l’emploi de la force n’est que violence criminelle. Refuser la politique
et
donc la victoire, c’est traiter le gouvernement de la France pendant la
Grande
Guerre comme l’on traite les organisations terroristes lorsqu’on leur
nie tout
projet politique et on les cantonne à la folie. C’est placer Poincaré ou
Clemenceau au rang de criminels et tous les soldats à celui de victimes.
Et si les événements n’ont été que pure criminalité de la part des
dirigeants de l’époque,
la suite logique en serait pour les dirigeants actuels de s’en excuser,
encore
une fois.
Sans
la défaite de l’armée allemande, concrétisée
par l’armistice du 11 novembre 1918, la France et l’Europe n’auraient
pas été
les mêmes. Il n’est pas évident qu’elles en fussent meilleures sous la
férule
du Reich. La moindre des choses serait de le rappeler et de le dire, à
moins qu’une
loi mémorielle non écrite interdise de fâcher nos amis d’aujourd’hui
parce qu’ils
ont été nos ennemis hier, ce qui conduit de fait à interdire de célébrer
une grande partie de notre passé. On peut même imaginer en
allant jusqu’au bout, d’inverser la logique expiatrice en participant
aux célébrations
des victoires de nos anciens ennemis, comme celle de Trafalgar en 2005.
Les
Britanniques, eux, n’ont pas honte de leurs combats et ils n’hésitent
pas à les célébrer dignement sans considérer que l’hommage à leurs
soldats vainqueurs
soit une insulte aux anciens vaincus. Faut-il rappeler le contraste
édifiant à
quelques semaines d’écart en 2016 entre les traitements respectifs des
batailles
de Verdun et de la Somme ?
La
victimisation est peut être une tendance
actuelle, elle n’était pas du tout celle de mon grand-père, valeureux
combattant
des tranchées qui n’aurait absolument pas compris qu’on lui vole ce
pourquoi lui et ses camarades se sont battus. Lorsque plus de trois
millions d’hommes
ont été tués et gravement blessés pour atteindre un but, on peut
considérer que celui-ci aussi a, à peine cent ans plus tard, encore des
« droits sur nous ».
Pour fêter cette victoire, nul besoin forcément de
défilé militaire grandiose mais au moins une reconnaissance, un remerciement,
un mot, un geste du chef des armées serait suffisant. Un discours de vainqueur à
la hauteur de ceux de Clemenceau, l’annonce que le centenaire du défilé du 14
juillet 1919 sera le moment principal de la célébration, entre nous ou avec
nos alliés de l’époque, voilà qui serait un minimum, en complément de l’indispensable hommage
aux soldats.
Pour le reste pour célébrer l’heureuse amitié
franco-allemande, retournement incroyable au regard de l’histoire, il sera
possible le 22 janvier de fêter l’anniversaire du traité de l’Elysée qui la
marque bien plus dans l’histoire que le 11 novembre. Nous n'étions pas du tout amis à l'époque. Il n’y a pas d’ « en même
temps » en histoire, il n’y a que des faits réel et distincts, et on peut
tourner le 11 novembre dans tous les sens, cela restera toujours l’anniversaire
de la victoire de la France.
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